Peut-on citer les « textes sacrés » dans une dissertation ?
Peut-on citer les « textes sacrés » dans une dissertation ?
Oui…mais avec prudence.
Si vous êtes un expert en culture religieuse
C’est un bon point pour vous. Si vous avez lu intégralement la Torah, le Coran ou la Bible, vous possédez déjà une large culture qui vous permettra d’alimenter vos dissertations avec des références précises.
En revanche, je mets les élèves en garde contre une dérive possible. N’utilisez jamais un argument d’autorité! Ce n’est pas parce que Dieu ou un prophète a écrit ou dit quelque chose que c’est recevable.
Une copie de philosophie n’est pas une copie de théologie. Quand vous rédigez une dissertation, mettez de côté toutes vos opinions personnelles.
Exemple d’utilisation
La critique que Jésus fait des pharisiens n’est pas un argument mais constitue en revanche une belle illustration du gouffre entre la moralité d’apparence (la conformité aux moeurs) et la « vraie » moralité intérieure.
Au premier siècle de notre ère, les pharisiens étaient réputés pour être respectueux des lois religieuses pourtant Jésus les décrivait ainsi : « des tombeaux blanchis qui paraissaient beaux à l’extérieur mais qui, à l’intérieur, sont plein d’ossements de morts et de toute sorte de pourriture » Evangile selon St-Matthieu XXIII, 27. Jésus reprochait à certains croyants d’être vertueux en apparence, en obéissant aux lois, mais de n’avoir aucun sentiment sincère.
Pour traiter la notion de religion
La notion de « religion » est présente dans les programmes de toutes les séries.
En l’absence de culture religieuse, vous risquez de rencontrer quelques difficultés. Ouvrez quelques ouvrages religieux. On se doute bien que les élèves de terminale n’ont pas le temps de lire intégralement la Bible des catholiques mais vous pouvez sélectionner.
La Torah ne comporte que cinq livres (c’est ce que les chrétiens appellent le PENTATEUQUE, les cinq premiers livres de l’ancien testament).
Ouvrez un Coran et lisez quelques sourates.
Si vous n’avez pas le temps de lire le Nouveau Testament, lisez au moins un évangile, histoire de connaître le personnage de Jésus (l’évangile de Matthieu passe pour être le plus abordable).
Notez bien que les philosophes qui ont combattu la religion avaient tous une bonne culture religieuse à l’origine.
L’Etat doit-il s’occuper de notre bonheur ?
Dissertation : L’Etat doit-il s’occuper de notre bonheur ?
Rousseau: De l’état de nature à l’état civil
Rousseau
(complément de cours pour les élèves passionnés par Rousseau)
1) L’originalité de Rousseau
Contractualisme: Il s’agit de penser ce que doit être l’organisation politique en faisant de celle-ci le résultat d’un contrat, c’est-à-dire d’un accord librement et volontairement consenti par les hommes placés dans un hypothétique état de nature (l’état dans lequel sont censés se trouver les hommes en l’absence de toute organisation politique de leur vie commune).
Originalité de Rousseau : entre l’état de nature et l’organisation politique souhaitable, Rousseau introduit un troisième terme : la société, c’est-à-dire ce que sont les rapports et les comportements réels, effectifs des hommes, tel qu’il les constatait dans la réalité sociale de son temps.
Rousseau est un penseur de la société, il en est aussi l’un des plus virulent critique :
–> Valorisation contre la société de la nature et de l’homme naturel (que la vie sociale a perverti) ;
–> Elaboration contre la société du projet politique de l’Etat républicain.
L’originalité de Rousseau sur le plan politique consiste à penser la liberté à partir de l’égalité.
2) La pensée et la critique rousseauiste de la société
A) L’Homme à l’état de nature
L’essentiel de ce qu’est l’homme est culturellement acquis. Originellement l’Homme n’est qu’une sensibilité animale et une potentialité (voir le texte mis en ligne).
ISOLEMENT et INDEPENDANCE
L’homme naturel n’a d’autre relation que celles nécessaires à la reproduction. L’homme naturel se suffit à lui-même en pouvant satisfaire seul ses propres besoins.
2 tendances naturelles fondamentales (principes antérieurs à la Raison et inscrits dans notre nature sensible) :
1) L’amour de soi
Le simple souci de la conservation de soi qui fait prendre intérêt à son propre bien-être sans se soucier de celui des autres.
2) La pitié
La répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et surtout ses semblables.
A l’état de nature, les inégalités sont tout à la fois peu importantes et sans grand effet. Quand bien même les inégalités naturelles seraient importantes, elles seraient sans conséquence tout simplement dans la mesure où les hommes sont sans relation, vivant dans l’isolement.
B) L’Homme social
La société c’est l’inégalité, l’institution de l’inégalité et le progrès constant de cette même inégalité.
Le propre de la société, c’est que partout les Hommes s’y distinguent selon la richesse, le rang, la puissance, le mérite ou les qualités personnelles et cherchent à s’y distinguer selon ces critères.
L’Homme est assujetti à la société en raison de sa dimension inégalitaire.
1) Ce qui est terrible en fait, c’est la manière dont la société assujettit l’Homme.
Le pouvoir d’un homme sur un autre est identifiable et ne concerne que les dominés. La société assujettit aussi et plus fondamentalement l’Homme de l’intérieur en le transformant. Assujettissement invisible et nous concerne tous. Résulte de la soumission de tous les individus à la logique perverse du jeu social : l’OPINION.
Cette réalité impalpable, diffuse mais pourtant bien réelle est consubstantielle à la société.
Le règne de l’opinion, principe de la vie sociale, est tout à la fois ce qui naît de l’inégalité, ce qui l’entretient et ce qui l’accroît.
2) Les manifestations de cet asservissement
3 aspects : la DEPENDANCE, la COMPARAISON et la DIVISION DU MOI.
Un dominant a une liberté illusoire. Sa soumission à l’opinion est pour Rousseau l’indice de sa radicale dépendance.
L’homme social est celui qui ne cesse de se rapporter aux autres en se comparant. La comparaison, en tant qu’elle donne naissance à l’amour-propre, est source de malheur et de corruption :
– De malheur parce qu’elle donne naissance à l’insatisfaction radicale de l’homme social ;
– Elle donne naissance aux vices sociaux ;
– Elle favorise le mensonge. Chaque Homme affecte en société une posture (une image sociale). Être et paraître devinrent deux choses différentes.
Homme écartelé entre l’être et le paraître : forme d’aliénation de l’Homme à la vie sociale.
Conclusion : Rousseau est moderne parce qu’il érige la société et sa logique propre en un objet fondamental et autonome de la réflexion philosophique.
Critique de la modernité
Rousseau reste critique de cette modernité car il dévalorise la logique sociale laissée à elle-même en tant qu’elle est un facteur d’inégalité et d’aliénation.
Rousseau a implicitement critiqué :
– L’insuffisance de la problématique libérale de la société ;
– La contestation de l’optimisme libéral relatif à l’évolution de la modernité historique.
L’idée selon laquelle il suffirait d’être dégagé de la contrainte toute extérieure d’un pouvoir politique pour être libre dans la société est fondamentalement insuffisante, dans la mesure où elle n’écarte pas la possibilité qu’ont les individus dans cet espace social d’être radicalement assujettis au jeu social et à l’opinion.
L’ambivalence profonde des prétendus progrès censés résulter du développement des facultés humaines et ce qu’on appelait alors « les Lumières ». Ce développement peut avoir lieu pour le meilleur ou pour le pire (avec l’apparition de l’homme social assujetti et aliéné).
Le Contrat Social de Rousseau
1) Le projet politique du CS, ses présupposés et ses implications
Penser la possibilité que l’homme redevienne libre c’est devoir pour Rousseau repenser le politique.
Il faut construire l’organisation politique à partir de la raison elle-même et c’est à cette condition seulement que pourront être pensées les conditions d’une réorganisation politique légitime. Rousseau ne dit pas en réaliste ce qui est mais ce qui doit être (indépendamment des faits).
Repenser le politique c’est penser la possibilité que l’homme soit libre. Est-ce possible ?
Il n’y a aucune fatalité à ce que l’homme soit ce qu’il est dans la société moderne.
S’il n’y a pas de fatalité à ce que l’homme soit ce qu’il est, c’est tout simplement d’une part parce qu’il est devenu ce qu’il est d’autre part parce qu’il n’y avait aucune nécessité absolue à ce qu’il devienne ce qu’il est devenu.
Hobbes, comme bien d’autres auteurs, a constitué en nature ce qui n’était que le produit historique d’une évolution.
Il existe des éléments fondant la distinction entre homme naturel et animal :
- La liberté
- La conscience de cette liberté
- La perfectibilité (le développement des facultés humaines qui restaient en sommeil dans l’homme naturel).
La nature de l’homme c’est de ne pas avoir de nature, c’est d’être liberté et corrélativement perfectibilité.
L’homme est fondamentalement indéterminé, mieux il est cette indétermination même.
Ambivalence de la perfectibilité (pour le meilleur ou pour le pire).
Changer l’homme ce n’est pas renouer avec l’homme initial de l’état de nature.
La figure de l’homme naturel dans la pensée de Rousseau n’est valorisée que tactiquement comme motif d’opposition à la réalité sociale moderne et comme preuve théorique que l’homme social ne révèle pas la vérité définitive de ce qu’est l’homme.
La figure de l’homme naturel ne saurait constituer un modèle anthropologique positif.
L’indétermination de l’homme en tant qu’il est libre et perfectible est la condition de possibilité du projet politique de Rousseau.
-> Le citoyen
-> Le projet d’une transformation de l’homme par lui-même, fondée en raison, éclairée et guidée par celle-ci.
2) Le Contrat Social est la constitution du corps politique
Peut-il y avoir une autorité légitime ?
A) L’exclusion par Rousseau de 2 fausses solutions
L’ordre social ne peut être fondé ni sur l’idée d’une quelconque autorité naturelle ni sur la force qui ne relève que de l’état de fait.
L’homme est naturellement libre au sens où il est indépendant c’est-à-dire il est son propre maître pour décider de ce qui convient à sa propre conservation.
Dire qu’il n’y a aucune autorité naturelle c’est dire qu’il n’y a rien à quoi les hommes doivent naturellement obéissance.
Le lien enfants-parents n’existe naturellement que pour le temps où les enfants ne sont pas en mesure de pourvoir eux-mêmes à leurs propres besoins (lien temporaire). Si ce lien perdure au-delà c’est de manière volontaire et donc conventionnelle.
Rousseau réfute l’idée que certains hommes seraient par nature supérieurs aux autres et qu’il serait par conséquent naturel et donc juste qu’il domine et commande les autres.
Rousseau se moque de l’idée d’une souveraineté héritée d’Adam conformément à la volonté divine.
La force définit simplement un simple état de fait à savoir la domination du plus fort sur le plus faible (voir texte en classe).
La force est incapable de fonder un ordre social qui suppose puisqu’il est ordre, tout à la fois stabilité et permanence.
La légitimité de l’ordre social suppose formellement la reconnaissance d’une obligation et d’un devoir d’obéissance par ceux qui prennent part à cet ordre.
B) La solution conventionnelle
Avancer sans plus de précision la notion de convention comme solution au problème de l’origine et du fondement de l’ordre social légitime est loin d’être en soi suffisante.
Toute convention n’est pas en soi légitime à nullité de toute convention dont l’objet implique pour l’une des parties contractantes la renonciation à la liberté :
– Contre nature
– Irrationnelle
– Sans fondement.
Il faut préciser la nature de cette convention. Elle doit être comprise comme un contrat d’association qui explique beaucoup plus radicalement la constitution même du peuple, c’est-à-dire le fait même que le peuple existe en tant que peuple.
Un peu d’histoire de la philosophie
(On n’exige pas des élèves de terminale qu’ils connaissent l’histoire de la philosophie et des idées mais ce dernier passage peut vous éclairer).
La notion de contrat de sujétion est ancienne à idée selon laquelle l’autorité politique légitime repose sur un contrat entre peuple et gouvernant mais…
1) Le respect du contrat étant soumis au bon vouloir des deux parties contractantes, il ne reste guère que Dieu comme garantie.
2) Il est fondé sur un présupposé : l’existence même du peuple n’y fait pas question, celui-ci étant considéré comme un donné.
Parce que, dans la représentation de l’époque sous-tendant la logique du contrat de sujétion, toute volonté est censée viser la même fin objective : l’avènement d’un ordre juste par conformité à une loi divine-naturelle inscrite dans l’ordre des choses. Or, parce que tous les hommes veulent objectivement la même chose, leur union en un peuple ne pose pas problème : l’unité du peuple est toujours déjà donnée dans la mesure où il y a (ou est censé y avoir) identité des volontés visant la même fin. Mais si tous les hommes veulent tous objectivement la même chose, ils peuvent cependant diverger sur les moyens de l’atteindre. Et c’est précisément parce que certains d’entre eux sont plus sages, clairvoyants et mieux à même de réaliser cette fin commune qu’ils sont naturellement amenés à représenter et à conduire le peuple (d’où sa structure hiérarchique).
Or une telle représentation est bouleversée avec l’avènement de la modernité et l’émergence de la figure de l’individu. A l’identité des volontés se substitue une multiplicité des volontés. Mais du même coup, ce qui était auparavant une évidence non questionnée cesse de l’être : à savoir l’existence même d’un peuple doté d’emblée d’une unité propre et non problématique.
Dans cette mise en question s’inscrit la problématique du contrat social compris comme contrat d’association (et non plus seulement de sujétion). Comment une multitude, c’est-à-dire une collection éparse d’individus ayant chacun sa volonté propre et ses fins subjectives potentiellement divergentes, devient un peuple, c’est-à-dire une entité collective dotée d’une unité et d’une volonté commune ?
Cours composé à partir des œuvres de Rousseau et des spécialistes de Rousseau (Starobinsky, Spitz et Bourne-Branchu).
Epicure: Calcul des plaisirs, doctrine de l’autarcie et prudence
Epicure
(ceci n’est pas une explication de texte mais un complément de cours pour ceux qui achopent sur la doctrine)
Amorce et thème
Nombre d’étudiants finissent le vendredi matin avec un terrible mal de crâne qui dure un long moment. Pourquoi ? Parce qu’en général, le jeudi est le soir des soirées étudiantes et que les étudiants aiment boire. Pourquoi ? Le sens commun dirait que les humains cherchent naturellement le plaisir. On fait la fête, on boit. On prend du plaisir. Puisqu’on prend du plaisir c’est forcément bien. Mais que dire des désagréments engendrés par l’alcool ? Se pourrait-il qu’un plaisir entraîne une douleur plus grande et que par moment, il soit préférable d’éviter un plaisir pour s’épargner une grande peine ? C’est ce que nous verrons dans ce texte.
Magic/bac de philo: même combat
Magic / Bac de philo
Même combat
Certains élèves de terminale jouent au jeu de stratégie Magic the gathering. Un jeu intéressant qui suppose, contrairement aux échecs, une stratégie en amont. Le joueur doit constituer lui-même son deck, son paquet de cartes. Il doit choisir par exemple 20 terrains et 40 sorts pour constituer un jeu équilibré.
Comment rédiger une fiche de lecture ?
Comment rédiger une fiche de lecture ?
Exemple avec un texte d’Hegel et son explication.
« Le génie et le talent sont, du moins sous un certain aspect, des dons naturels. Mais ce qu’on ne doit pas perdre de vue, c’est que le génie, pour être fécond, doit posséder une pensée disciplinée et cultivée, et un exercice plus ou moins long. Et cela, parce que l’œuvre d’art présente un côté purement technique dont on n’arrive à se rendre maître que par l’exercice. Ceci est plus particulièrement vrai des arts qui comportent une dextérité manuelle, par laquelle ils se rapprochent plus ou moins des métiers manuels. Tel est le cas de l’architecture et de la sculpture, par exemple. La dextérité manuelle est moins nécessaire en musique et en poésie. Mais même dans celle-ci, il y a tout un côté qui demande, sinon un apprentissage, tout au moins une certaine expérience : la prosodie et l’art de rimer constituent le côté technique de la poésie, et ce n’est pas par l’inspiration qu’on en acquiert la connaissance. Tout art s’exerce sur une matière plus ou moins dense, plus ou moins résistante, qu’il s’agit d’appendre à maîtriser. »
Friedrich Hegel, Introduction à l’esthétique
Malebranche: des motifs dans le choix…
« Quand je dis que nous avons le sentiment intérieur de notre liberté, je ne prétends pas soutenir que nous ayons le sentiment intérieur d’un pouvoir de nous déterminer à vouloir quelque chose sans aucun motif physique ; pouvoir que quelques gens appellent indifférence pure. Un tel pouvoir me paraît renfermer une contradiction manifeste (…) ; car il est clair qu’il faut un motif, qu’il faut pour ainsi dire sentir, avant que de consentir. Il est vrai que souvent nous ne pensons pas au motif qui nous a fait agir ; mais c’est que nous n’y faisons pas réflexion, surtout dans les choses qui ne sont pas de conséquence. Certainement il se trouve toujours quelque motif secret et confus dans nos moindres actions ; et c’est même ce qui porte quelques personnes à soupçonner et quelquefois à soutenir qu’ils ne sont pas libres ; parce qu’en s’examinant avec soin, ils découvrent les motifs cachés et confus qui les font vouloir. Il est vrai qu’ils ont été agis pour ainsi dire, qu’ils ont été mus ; mais ils ont aussi agi par l’acte de leur consentement, acte qu’ils avaient le pouvoir de ne pas donner dans le moment qu’ils l’ont donné ; pouvoir, dis-je, dont ils avaient le sentiment intérieur dans le moment qu’ils en ont usé, et qu’ils n’auraient osé nier si dans ce moment on les en eût interrogés. »
Machiavel: résister à la fortune
Si vous refusez le fatalisme et le résignation, la philosophie de Machiavel est une manière intéressante de penser l’action humaine et le pouvoir de la volonté:
Combien, dans les choses humaines, la fortune a de pouvoir,
et comment on peut y résister
Je n’ignore point que bien des gens ont pensé et pensent encore que Dieu et la fortune régissent les choses de ce monde de telle manière que toute la prudence humaine ne peut en arrêter ni en régler le cours ; d’où l’on peut conclure qu’il est inutile de s’en occuper avec tant de peine, et qu’il n’y a qu’à se soumettre et à laisser tout conduire par le sort. Cette opinion s’est surtout propagée de notre temps par une conséquence de cette variété de grands événements que nous avons cités, dont nous sommes encore témoins, et qu’il ne nous était pas possible de prévoir : aussi suis-je assez enclin à la partager.
Néanmoins , ne pouvant admettre que notre libre arbitre soit réduit à rien, j’imagine qu’il ne peut être vrai que la fortune dispose de la moitié de nos actions, mais qu’elle en laisse à peu près l’autre moitié en notre pouvoir. Je la compare à un fleuve impétueux qui, lorsqu’il déborde, inonde les plaines, renverse les arbres et les édifices, enlève les terres d’un côté et les emporte vers un autre : tout fuit devant ses ravages, tout cède à sa fureur ; rien n’y peut mettre obstacle. Cependant, et quelque redoutable qu’il soit, les hommes ne laissent pas, lorsque l’orage a cessé, de chercher à pouvoir s’en garantir par des digues, des chaussées et autres travaux : en sorte que, de nouvelles crues survenant, les eaux se trouvent contenues dans un canal, et ne puissent plus se répandre avec autant de liberté et causer d’aussi grands ravages. Il en est de même de la fortune qui montre surtout son pouvoir là où aucune résistance n’a été préparée et porte ses fureurs là où elle sait qu’il n’y a point d’obstacle disposé pour l’arrêter.
Machiavel, Le Prince, Chapitre 25 (§ 1 et 2)
Sophocle: Antigone
CREON (à Antigone)
Et toi maintenant réponds en peu de mots. Connaissais-tu l’interdiction que j’avais fait proclamer ?
ANTIGONE
Comment ne l’aurais-je pas connue ? Elle était publique.
CREON
Et tu as osé passer outre à mon ordonnance ?
Rousseau: le « droit » du plus fort
Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. De là le droit du plus fort ; droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe : mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ?
Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu’il n’en résulte qu’un galimatias inexplicable. Car sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu’on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte qu’on soit le plus fort. Or qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse ? S’il faut obéir par la force, on n’a pas besoin d’obéir par devoir, et si l’on n’est plus forcé d’obéir, on n’y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n’ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout.
ROUSSEAU, Du contrat social, livre I, chap. 3
Indications pour comprendre les textes
Rousseau : Le prétendu « droit » du plus fort
Dans cet extrait du Contrat social, Rousseau conteste l’emploi abusif du terme « droit » pour désigner le droit du plus fort (vous noterez, ligne 7, que Rousseau utilise l’expression « prétendu droit »). Le « droit » relève soit du domaine juridique soit du domaine moral or ce prétendu droit du plus fort s’exerce par la force.
Si vous voulez comprendre ce texte, imaginez une pierre. Si on pousse une pierre, elle se déplace. Mais elle se déplace à cause d’une force extérieure. La pierre ne décide pas d’elle-même de se déplacer. Faut-il considérer l’humain comme un objet ? Si l’humain agit parce qu’il est contraint par une force extérieure, il est comme un objet poussé. Or le vrai devoir (moral) devrait être intérieur.
Obéir à la force n’est pas un devoir (moral) : on y cède par nécessité, non par volonté. Si la force fait le droit, alors logiquement il suffit d’être le plus fort pour avoir raison. Mais est-ce la définition du droit ?
« S’il faut obéir par la force, on n’a pas besoin d’obéir par devoir, et si l’on n’est plus forcé d’obéir, on n’y est plus obligé » : si quelqu’un est contraint d’obéir (comme un gêneur expulsé de force par un service d’ordre) il n’agit pas par devoir (de lui-même). Le gros point faible du système (que Rousseau souligne ici) est que si on prend l’habitude d’obéir parce qu’on est contraint par une force extérieure, dès que cette force extérieure disparaît on en profitera pour ne plus obéir (pour employer une expression anachronique on parlerait ici de « la peur du gendarme ».)
(texte suivant) Rousseau : la nécessité des lois
Rousseau souligne dans cet extrait Du Contrat social la nécessité des lois en société et des sanctions. L’argument est simple : si on se contente d’instaurer des lois, les gens justes les suivront mais pas les gens injustes. Par conséquent les gens justes seront désavantagés.
Par exemple : imaginez qu’on instaure une loi du type « il ne faut pas voler ». Les honnêtes gens vont suivre cette loi mais les gens malhonnêtes vont en profiter pour voler (sans punition) du coup les honnêtes gens sont désavantagés. Pour employer une expression contemporaine (mais anachronique) on dirait que les criminels « profitent du système ».
Pourquoi faut-il instaurer des lois et des sanctions ? Parce que nous avons créé la société. Avant, dans l’état de nature (c’est-à-dire avant que les humains vivent en société) personne n’avait rien promis à personne donc la question ne se posait pas. Mais dans l’état civil (c’est-à-dire quand les humains vivent en société) les droits sont fixés par la loi.
Vous notez à ce stade que les deux textes de Rousseau semblent se contredire ! D’un côté, Rousseau explique qu’il est nécessaire de poser des sanctions pour décourager les hommes injustes d’enfreindre les lois, et de l’autre côté il explique qu’on ne peut pas obliger les gens à obéir à la loi seulement avec des contraintes extérieures. Ceci semble poser un problème. Il faut donc lire la conception de la « loi » chez Rousseau pour comprendre comment surmonter cette apparente contradiction.
(texte suivant)
Rousseau : la loi comme expression de la volonté générale
Dans cet extrait du Contrat social, Rousseau expose sa conception de la loi. Le premier paragraphe présente une définition de la loi comme expression de la volonté générale. C’est le peuple qui statue sur le peuple. Dans le deuxième paragraphe Rousseau explique en détail cette idée. Puis dans le troisième paragraphe Rousseau expose les conséquences de cette conception :
– Il ne faut plus demander qui fait les lois : c’est le peuple.
– Il ne faut plus se demander si le Prince est au-dessus des lois : non personne n’est au-dessus des lois puisque les lois s’appliquent à tous.
– Il ne faut plus se demander si la loi est injuste : le peuple vote les lois or personne n’est injuste envers lui-même donc logiquement le peuple n’aurait aucun intérêt à voter une loi injuste qui le desservirait.
– Il ne faut plus se demander si on peut être libre et soumis aux lois : les lois dépendent de nos volontés.
L’argumentation de Rousseau permet d’affirmer qu’on peut être libre ET obéir aux lois. Quand la loi était juste la volonté du tyran ou d’une minorité, quand la loi était injuste, quand la loi était imposée de force, les individus se sentaient contraints d’obéir aux lois. Mais si la loi est l’expression de la volonté générale, c’est-à-dire si la loi a été votée par le peuple pour l’ensemble du peuple, alors finalement quand j’obéis aux lois, je n’obéis par à un pouvoir tyrannique imposé de l’extérieur, j’obéis à ma propre volonté donc je suis ma volonté en obéissant aux lois. Si je suis ma volonté je suis libre.
Evidemment ce type d’argumentation sous-entend qu’il faut abandonner la monarchie pour passer à un système démocratique.
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