Rousseau: De l’état de nature à l’état civil0

Posted on janvier 8th, 2012 in En terminale

Rousseau

(complément de cours pour les élèves passionnés par Rousseau)

 

1)   L’originalité de Rousseau

 

Contractualisme: Il s’agit de penser ce que doit être l’organisation politique en faisant de celle-ci le résultat d’un contrat, c’est-à-dire d’un accord librement et volontairement consenti par les hommes placés dans un hypothétique état de nature (l’état dans lequel sont censés se trouver les hommes en l’absence de toute organisation politique de leur vie commune).

Originalité de Rousseau : entre l’état de nature et l’organisation politique souhaitable, Rousseau introduit un troisième terme : la société, c’est-à-dire ce que sont les rapports et les comportements réels, effectifs des hommes, tel qu’il les constatait dans la réalité sociale de son temps.

 Rousseau est un penseur de la société, il en est aussi l’un des plus virulent critique :

–> Valorisation contre la société de la nature et de l’homme naturel (que la vie sociale a perverti) ;

–> Elaboration contre la société du projet politique de l’Etat républicain.

L’originalité de Rousseau sur le plan politique consiste à penser la liberté à partir de l’égalité.

 

2)   La pensée et la critique rousseauiste de la société

 

A)  L’Homme à l’état de nature

 

L’essentiel de ce qu’est l’homme est culturellement acquis. Originellement l’Homme n’est qu’une sensibilité animale et une potentialité (voir le texte mis en ligne).

ISOLEMENT et INDEPENDANCE

L’homme naturel n’a d’autre relation que celles nécessaires à la reproduction. L’homme naturel se suffit à lui-même en pouvant satisfaire seul ses propres besoins.

2 tendances naturelles fondamentales (principes antérieurs à la Raison et inscrits dans notre nature sensible) :

1)      L’amour de soi

Le simple souci de la conservation de soi qui fait prendre intérêt à son propre bien-être sans se soucier de celui des autres.

2)      La pitié

La répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et surtout ses semblables.

 

A l’état de nature, les inégalités sont tout à la fois peu importantes et sans grand effet. Quand bien même les inégalités naturelles seraient importantes, elles seraient sans conséquence tout simplement dans la mesure où les hommes sont sans relation, vivant dans l’isolement.

B)  L’Homme social

La société c’est l’inégalité, l’institution de l’inégalité et le progrès constant de cette même inégalité.

Le propre de la société, c’est que partout les Hommes s’y distinguent selon la richesse, le rang, la puissance, le mérite ou les qualités personnelles et cherchent à s’y distinguer selon ces critères.

L’Homme est assujetti à la société en raison de sa dimension inégalitaire.

1)      Ce qui est terrible en fait, c’est la manière dont la société assujettit l’Homme.

Le pouvoir d’un homme sur un autre est identifiable et ne concerne que les dominés. La société assujettit aussi et plus fondamentalement l’Homme de l’intérieur en le transformant. Assujettissement invisible et nous concerne tous. Résulte de la soumission de tous les individus à la logique perverse du jeu social : l’OPINION.

Cette réalité impalpable, diffuse mais pourtant bien réelle est consubstantielle à la société.

Le règne de l’opinion, principe de la vie sociale, est tout à la fois ce qui naît de l’inégalité, ce qui l’entretient et ce qui l’accroît.

2)      Les manifestations de cet asservissement

3 aspects : la DEPENDANCE, la COMPARAISON et la DIVISION DU MOI.

Un dominant a une liberté illusoire. Sa soumission à l’opinion est pour Rousseau l’indice de sa radicale dépendance. 

L’homme social est celui qui ne cesse de se rapporter aux autres en se comparant. La comparaison, en tant qu’elle donne naissance à l’amour-propre, est source de malheur et de corruption :

–          De malheur parce qu’elle donne naissance à l’insatisfaction radicale de l’homme social ;

–          Elle donne naissance aux vices sociaux ;

–          Elle favorise le mensonge. Chaque Homme affecte en société une posture (une image sociale). Être et paraître devinrent deux choses différentes.

Homme écartelé entre l’être et le paraître : forme d’aliénation de l’Homme à la vie sociale.

 

Conclusion : Rousseau est moderne parce qu’il érige la société et sa logique propre en un objet fondamental et autonome de la réflexion philosophique.

 

Critique de la modernité

 

Rousseau reste critique de cette modernité car il dévalorise la logique sociale laissée à elle-même en tant qu’elle est un facteur d’inégalité et d’aliénation.

Rousseau a implicitement critiqué :

–          L’insuffisance de la problématique libérale de la société ;

–          La contestation de l’optimisme libéral relatif à l’évolution de la modernité historique.

 

L’idée selon laquelle il suffirait d’être dégagé de la contrainte toute extérieure d’un pouvoir politique pour être libre dans la société est fondamentalement insuffisante, dans la mesure où elle n’écarte pas la possibilité qu’ont les individus dans cet espace social d’être radicalement assujettis au jeu social et à l’opinion.

 

L’ambivalence profonde des prétendus progrès censés résulter du développement des facultés humaines et ce qu’on appelait alors « les Lumières ». Ce développement peut avoir lieu pour le meilleur ou pour le pire (avec l’apparition de l’homme social assujetti et aliéné).

 

 

Le Contrat Social de Rousseau

 

1)   Le projet politique du CS, ses présupposés et ses implications

 

Penser la possibilité que l’homme redevienne libre c’est devoir pour Rousseau repenser le politique.

Il faut construire l’organisation politique à partir de la raison elle-même et c’est à cette condition seulement que pourront être pensées les conditions d’une réorganisation politique légitime. Rousseau ne dit pas en réaliste ce qui est mais ce qui doit être (indépendamment des faits).

Repenser le politique c’est penser la possibilité que l’homme soit libre. Est-ce possible ?

 

Il n’y a aucune fatalité à ce que l’homme soit ce qu’il est dans la société moderne.

S’il n’y a pas de fatalité à ce que l’homme soit ce qu’il est, c’est tout simplement d’une part parce qu’il est devenu ce qu’il est d’autre part parce qu’il n’y avait aucune nécessité absolue à ce qu’il devienne ce qu’il est devenu.

Hobbes, comme bien d’autres auteurs, a constitué en nature ce qui n’était que le produit historique d’une évolution.

Il existe des éléments fondant la distinction entre homme naturel et animal :

  • La liberté
  • La conscience de cette liberté
  • La perfectibilité (le développement des facultés humaines qui restaient en sommeil dans l’homme naturel).

La nature de l’homme c’est de ne pas avoir de nature, c’est d’être liberté et corrélativement perfectibilité.

L’homme est fondamentalement indéterminé, mieux il est cette indétermination même.

Ambivalence de la perfectibilité (pour le meilleur ou pour le pire).

Changer l’homme ce n’est pas renouer avec l’homme initial de l’état de nature.

La figure de l’homme naturel dans la pensée de Rousseau n’est valorisée que tactiquement comme motif d’opposition à la réalité sociale moderne et comme preuve théorique que l’homme social ne révèle pas la vérité définitive de ce qu’est l’homme.

La figure de l’homme naturel ne saurait constituer un modèle anthropologique positif.

L’indétermination de l’homme en tant qu’il est libre et perfectible est la condition de possibilité du projet politique de Rousseau.

-> Le citoyen

-> Le projet d’une transformation de l’homme par lui-même, fondée en raison, éclairée et guidée par celle-ci.

 

2)   Le Contrat Social est la constitution du corps politique

 

Peut-il y avoir une autorité légitime ?

A)  L’exclusion par Rousseau de 2 fausses solutions

L’ordre social ne peut être fondé ni sur l’idée d’une quelconque autorité naturelle ni sur la force qui ne relève que de l’état de fait.

L’homme est naturellement libre au sens où il est indépendant c’est-à-dire il est son propre maître pour décider de ce qui convient à sa propre conservation.

Dire qu’il n’y a aucune autorité naturelle c’est dire qu’il n’y a rien à quoi les hommes doivent naturellement obéissance.

 

Le lien enfants-parents n’existe naturellement que pour le temps où les enfants ne sont pas en mesure de pourvoir eux-mêmes à leurs propres besoins (lien temporaire). Si ce lien perdure au-delà c’est de manière volontaire et donc conventionnelle.

Rousseau réfute l’idée que certains hommes seraient par nature supérieurs aux autres et qu’il serait par conséquent naturel et donc juste qu’il domine et commande les autres.

Rousseau se moque de l’idée d’une souveraineté héritée d’Adam conformément à la volonté divine.

La force définit simplement un simple état de fait à savoir la domination du plus fort sur le plus faible (voir texte en classe).

La force est incapable de fonder un ordre social qui suppose puisqu’il est ordre, tout à la fois stabilité et permanence.

La légitimité de l’ordre social suppose formellement la reconnaissance d’une obligation et d’un devoir d’obéissance par ceux qui prennent part à cet ordre.

 

B)  La solution conventionnelle

Avancer sans plus de précision la notion de convention comme solution au problème de l’origine et du fondement de l’ordre social légitime est loin d’être en soi suffisante.

Toute convention n’est pas en soi légitime à nullité de toute convention dont l’objet implique pour l’une des parties contractantes la renonciation à la liberté :

–          Contre nature

–          Irrationnelle

–          Sans fondement.

Il faut préciser la nature de cette convention. Elle doit être comprise comme un contrat d’association qui explique beaucoup plus radicalement la constitution même du peuple, c’est-à-dire le fait même que le peuple existe en tant que peuple.

 

Un peu d’histoire de la philosophie

 

(On n’exige pas des élèves de terminale qu’ils connaissent l’histoire de la philosophie et des idées mais ce dernier passage peut vous éclairer).

La notion de contrat de sujétion est ancienne à idée selon laquelle l’autorité politique légitime repose sur un contrat entre peuple et gouvernant mais…

1)      Le respect du contrat étant soumis au bon vouloir des deux parties contractantes, il ne reste guère que Dieu comme garantie.

2)      Il est fondé sur un présupposé : l’existence même du peuple n’y fait pas question, celui-ci étant considéré comme un donné.

Parce que, dans la représentation de l’époque sous-tendant la logique du contrat de sujétion, toute volonté est censée viser la même fin objective : l’avènement d’un ordre juste par conformité à une loi divine-naturelle inscrite dans l’ordre des choses. Or, parce que tous les hommes veulent objectivement la même chose, leur union en un peuple ne pose pas problème : l’unité du peuple est toujours déjà donnée dans la mesure où il y a (ou est censé y avoir) identité des volontés visant la même fin. Mais si tous les hommes veulent tous objectivement la même chose, ils peuvent cependant diverger sur les moyens de l’atteindre. Et c’est précisément parce que certains d’entre eux sont plus sages, clairvoyants et mieux à même de réaliser cette fin commune qu’ils sont naturellement amenés à représenter et à conduire le peuple (d’où sa structure hiérarchique).

Or une telle représentation est bouleversée avec l’avènement de la modernité et l’émergence de la figure de l’individu. A l’identité des volontés se substitue une multiplicité des volontés. Mais du même coup, ce qui était auparavant une évidence non questionnée cesse de l’être : à savoir l’existence même d’un peuple doté d’emblée d’une unité propre et non problématique.

Dans cette mise en question s’inscrit la problématique du contrat social compris comme contrat d’association (et non plus seulement de sujétion). Comment une multitude, c’est-à-dire une collection éparse d’individus ayant chacun sa volonté propre et ses fins subjectives potentiellement divergentes, devient un peuple, c’est-à-dire une entité collective dotée d’une unité et d’une volonté commune ?

 

Cours composé à partir des œuvres de Rousseau et des spécialistes de Rousseau  (Starobinsky, Spitz et Bourne-Branchu).

 

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