L’Etat doit-il s’occuper de notre bonheur ?0

Posted on janvier 18th, 2012 in En terminale

Dissertation : L’Etat doit-il s’occuper de notre bonheur ?

 (Dissertation constituée à partir des textes vus en classe)

Attention ! Je glisse des connaissances historiques qui ne sont pas nécessaires en dissertation. Je précise parfois l’origine exacte d’une citation. On n’attend pas d’un élève de terminale qu’il connaisse ce genre de détail. Vous devez connaître le nom de l’auteur, sa thèse et le titre de l’ouvrage.

 

Introduction

Amorce : L’Etat providence.

Définir les termes : Etat, bonheur.

Problématisation (montrer pourquoi le problème se pose).

Problématique.

Enjeux : question politique.

 

Face à la crise économique de 1929, les Etats-Unis d’Amérique, qui suivaient traditionnellement un régime libéral dans lequel l’Etat n’intervenait que très peu sur la société, furent obligés d’innover. La politique keynésienne conféra à l’Etat la mission de combattre le chômage grâce à une forte « politique de la demande » (commande de grands travaux, fixation d’un salaire minimal, mesures d’incitation à l’embauche, etc.) Ce que les anglo-saxons appellent le « Welfare state » se traduit en français par l’Etat-Providence. La « Providence » étant à l’origine un terme religieux pour désigner la bonté de Dieu à l’œuvre dans le destin. Cela signifie-t-il que l’Etat devrait se substituer à Dieu pour s’occuper du bonheur des citoyens ? Est-ce vraiment le rôle de l’Etat ?

Le pouvoir politique, le pouvoir d’Etat, même s’il émane du peuple (dans les régimes démocratiques), est séparé de ce dernier. La présence d’un chef (roi, empereur, président, etc.), nom et symbole du pouvoir politique, celle d’un gouvernement et celle d’un ensemble de fonctionnaires aux tâches distributivement et hiérarchiquement réparties (collecte des impôts, police, armée, justice, etc.) sont des manifestations nécessaires de l’Etat.

D’un certain point de vue, on attend de l’Etat qu’il s’occupe de notre bonheur, c’est son rôle. Quand on s’interroge sur le bonheur compris comme un état de complète satisfaction on s’interroge ici sur la manière dont l’Etat pourrait permettre les conditions du bonheur. On se doute que la conception stoïcienne du problème du bonheur, perçu comme un problème de jugement, ne se poserait pas ici. Présentement le sujet s’interroge sur la capacité de l’Etat à assurer les conditions matérielles pour un bonheur possible. Par exemple, l’armée, la justice et la police (les domaines régaliens) ont pour but d’assurer la sécurité matérielle et d’instiller un sentiment de sûreté qui permet aux citoyens de construire leur bonheur. Certains Etats choisissent d’intervenir très largement dans tous les domaines, comme ce fut le cas de l’URSS, au nom du « bonheur » des citoyens. Les soviétiques pouvaient ainsi éviter le chômage.

Pourtant certains peuples ne veulent pas que l’Etat empiète sur la société civile (l’ensemble des citoyens). C’est traditionnellement le cas aux Etats-Unis d’Amérique. L’Etat fédéral est strictement limité à quelques domaines (la monnaie, l’armée, la politique extérieure). Les Américains se méfient d’un Etat trop envahissant car ils craignent pour leur liberté. Par exemple, l’URSS possède des avantages (comme éviter le chômage ou les excès du libéralisme économique) mais écrase les libertés individuelles.

Un problème se pose. Dans quelle mesure, l’Etat doit-il s’occuper d’agir sur les conditions matérielles du bonheur des individus ? Nous sommes logiquement amenés à nous poser la question : L’Etat doit-il s’occuper de notre bonheur ?

L’enjeu de cette question est politique. Quel régime politique choisir ? Quelle politique adopter ? Parvenir à la conclusion que l’Etat doit s’occuper de notre bonheur devrait logiquement nous enjoindre d’approuver une politique interventionniste. En revanche, aboutir à la conclusion que l’Etat ne doit pas s’occuper de notre bonheur devrait nous encourager à soutenir une politique libérale. Ainsi d’un problème théorique nous serions amenés à résoudre un problème pratique : pour quelle politique devons-nous voter ?

 

Première partie : Oui, l’Etat doit s’occuper de notre bonheur. L’Etat est constitué dans ce but.

 

a)      Hobbes : l’homme est un loup pour l’homme.

 

Dans le Léviathan, le philosophe anglais Hobbes expose sa conception politique. L’auteur latin Plaute écrivait « L’homme est un loup pour l’homme », Hobbes reprendra cette citation dans l’épitre dédicatoire du De cive. Cette citation n’apparaît pas textuellement dans le Léviathan mais son esprit est omniprésent dans l’ouvrage. En partant du présupposé que l’homme est mauvais naturellement, la société n’est pas possible. Si on suppose que l’homme est violent ou voleur, alors les hommes ne peuvent pas vivre en communauté. Ce serait un état de guerre permanent de tous contre tous. La solution se trouve donc dans un Léviathan. Le mot « Léviathan » désigne à l’origine un monstre de la mythologique biblique : un immense serpent de mer. Hobbes utilise ce terme pour désigner le prince (le souverain) qui serait doté de tous les pouvoirs. La solution pour éviter la guerre perpétuelle consiste à confier le pouvoir (et la violence) à un souverain. Ainsi le Léviathan est placé au-dessus de tout le monde et impose la paix.

Dans le chapitre XVII du livre II du Léviathan, Hobbes explique que les hommes doivent, par convention, abandonner leur force et la confier à un homme (ou à une assemblée). Cet homme, qui rassemble toutes les forces et se trouve de ce fait au-dessus des autres, est l’Etat. Hobbes n’hésite pas à nommer « dieu mortel » ce souverain, ce « léviathan », pour souligner qu’il possède un pouvoir (presque) divin qui s’impose à tous.

Donc l’Etat doit s’occuper de notre bonheur. Il est constitué dans le but d’assurer la sécurité et de permettre l’existence de la société.

 

b)     Locke : il est plus avantageux de sortir de l’état de nature.

 

Dans Le second traité du gouvernement civil, le philosophe anglais Locke défend également l’idée que l’existence de  l’Etat constitue un avantage. Locke n’appuie pas son argumentation sur une conception radicalement pessimiste de l’homme (comme Hobbes) mais présente au chapitre IX trois arguments pour démontrer qu’il est plus avantageux pour les hommes de sortir de l’état de nature, de constituer une société et de créer un Etat.

D’abord il faut une loi écrite pour « trancher tous les différends » car « les hommes sont égarés par leurs propres intérêts ». Dans l’état de nature (avant la constitution d’une société organisée), les individus aveuglés par leur intérêt propre ne peuvent pas se mettre d’accord. Le risque de conflit est présent.

Ensuite «  manque un juge reconnu et impartial, qui ait autorité pour trancher les différends en accord avec la loi établie » car « les hommes étant partiaux envers eux-mêmes, la passion et l’esprit de revanche risquent fort de les entraîner trop loin ». Les individus ne peuvent être impartiaux. On ne peut pas rendre justice soi-même parce qu’on n’est pas neutre. La « justice personnelle », « la loi du talion », la vengeance et les vendettas ne peuvent constituer un système viable. Pour que la société fonctionne il faut des juges neutres.

Enfin «  manque souvent dans l’état de nature, […] le pouvoir d’appuyer et de soutenir une sentence lorsqu’elle est juste, et de lui donner l’exécution qui lui est due ». Pour faire appliquer les décisions de justice il faut des juges mais aussi des forces de police.

            Locke démontre ainsi qu’il est plus avantageux pour les humains de sortir de l’état de nature. Il faut un Etat car il faut des juges neutres et des forces de police. Illustrons cette idée par un exemple contemporain : imaginons que deux voitures s’accrochent à un carrefour. Les deux conducteurs, pensant tous les deux avoir raison, vont s’invectiver et entrer en conflit. Un policier en faction au carrefour peut enregistrer l’incident et servir d’arbitre neutre. Si l’accident est plus grave, les experts des assurances (partiaux également) et des juges neutres vont entrer en scène pour tâcher de reconstituer objectivement ce qui s’est passé et décider de ce qui est juste. L’existence de forces de police et de prisons permet de s’assurer que les individus appliqueront bien les lois et les verdicts rendus par la Justice.

L’objectif de l’Etat est ici d’assurer la sécurité et la possibilité de vivre en société en régulant les conflits par conséquent on peut penser que l’Etat doit s’occuper de notre bonheur.

 

c)      Machiavel : la raison d’Etat

 

On attribue à Machiavel l’invention de la « raison d’Etat » ou encore le proverbe « la fin justifie les moyens » mais le philosophe italien n’a jamais écrit textuellement ces termes. Il est vrai qu’on peut lire dans son livre Le Prince des formules troublantes, comme au chapitre XVIII : « Qu’un prince, donc, fasse en sorte de vaincre et de maintenir l’Etat : les moyens seront toujours jugés honorables et loués d’un chacun ».

Machiavel a écrit le Prince pour expliquer comment prendre le pouvoir et le garder (opérant ainsi une séparation inédite entre la politique et la morale). Pour le dire en termes kantiens Machiavel s’interroge sur l’impératif hypothétique : « si je veux garder le pouvoir, je dois faire tout ce qui est nécessaire ». Il écrit que le prince ne doit pas hésiter à utiliser tous les moyens (ruse et violence) pour se maintenir en place.

            L’Etat doit se maintenir en place sinon la situation serait pire. Machiavel défend la thèse que le souverain doit faire non pas ce qui est juste mais ce qui est nécessaire

            Par exemple, Machiavel défend l’idée au chapitre XVII qu’il vaut mieux quelques « exemples » (bains de sang) pour ramener l’ordre plutôt que de choisir le laxisme qui laisserait se développer le brigandage. C’est mieux pour le peuple car les meurtres et les rapines « nuisent à une collectivité entière ».

            De même, le Prince ne doit pas hésiter à employer tous les moyens pour gagner les faveurs du peuple et le contenter. Imaginons qu’une région soit la cible de brigands. Le peuple est mécontent. Machiavel présente une solution. Il faut envoyer un capitaine cruel qui appliquera des lois sévères. Le calme reviendra mais le peuple sera mécontent du capitaine. Il suffira alors de faire juger ce capitaine et de le faire exécuter. Ainsi le peuple sera en sécurité et satisfait.

            L’Etat doit s’occuper du bonheur du peuple par tous les moyens (notamment parce que le pouvoir du Prince repose sur le peuple).

 

Transition : L’Etat assure-t-il la sécurité ou endort-il le peuple ?

 

            On comprend bien que le rôle de l’Etat est d’abord d’assurer notre bonheur, notamment en assurant la sécurité et en permettant la vie en société. Pourtant on pourrait s’interroger. Le rôle de l’Etat est-il seulement de nous sécuriser ? Machiavel propose de sacrifier parfois des ministres ou des capitaines au nom du bien public (ce qui est bon pour l’ensemble mais pas pour le sacrifié). L’Etat vise-t-il le bonheur du peuple ou juste à le contenter (pour éviter des révoltes) ? Engels avance l’hypothèse dans son livre L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat que l’Etat serait en réalité l’instrument de la classe dominante pour écraser la classe des dominés. L’Etat n’est peut-être qu’un outil au service du Prince ou de la classe dominante pour endormir le peuple et éviter les révolutions.

Deuxième partie : Non, l’Etat ne doit pas empiéter sur la société.

 

a)      Engels : l’Etat, instrument de domination de la classe dominante.

 

Engels s’oppose aux conceptions classiques de l’Etat défini comme un pouvoir imposé de l’extérieur. Au contraire, l’Etat ne serait qu’un « produit de la société ». Engels propose une autre explication à l’apparition de l’Etat. La société se serait scindée en plusieurs classes en conflit : les riches et les pauvres. La société ne devrait pas être ainsi car cela engendre inévitablement des conflits. Le rôle de l’Etat, au service de la classe dominante, serait d’opprimer la classe opprimée.

Engels opère une relecture de l’histoire humaine à partir de la lutte des classes en montrant que l’Etat sert la classe dominante. Dans l’Antiquité, l’Etat au service des propriétaires d’esclaves matait les esclaves. Au Moyen-âge, l’Etat féodal au service de la noblesse matait les serfs. Au XIXe siècle, l’Etat au service des capitalistes est « l’instrument de l’exploitation du travail salarié par le capital ». On pourrait traduire cette théorie au XXIe siècle par l’idée que le rôle de la police (bras armé de l’Etat) serait de mater les pauvres qui risquent de poser problème aux classes riches.

Cette conception marxiste de l’Etat nous conduit à penser que l’Etat ne s’occupe pas de notre bonheur puisqu’il avantage une minorité au détriment de la majorité. L’Etat devrait peut-être, en théorie, s’occuper de notre bonheur mais, dans les faits, il ne s’en occupe pas. Par conséquent, il ne devrait pas empiéter sur la société.

 

b)     Kant

 

Kant défendait aussi l’idée dans Théorie et pratique que l’Etat ne doit pas se mêler d’intervenir mais pour des raisons différentes. Au cinquième paragraphe de la deuxième partie, Kant défend la thèse que l’Etat ne doit pas s’occuper du bonheur des individus.

Kant a établi l’impossibilité de définir le bonheur dans Fondements de la métaphysique des mœurs : l’être humain étant limité il n’est pas omniscient. Puisqu’il n’est pas omniscient il ne peut pas prévoir toutes les conséquences de ses actions. L’humain ne peut donc pas choisir efficacement les actions qui le conduiraient au bonheur. Si un humain en est incapable, on peut aisément imaginer qu’un Etat en sera tout aussi incapable.

            Dans Théorie et pratique Kant présente une autre argumentation en réfutant notamment la comparaison abusive entre le souverain et le père. Certains gouvernements bienveillants voudraient s’occuper du bonheur des individus, à la manière dont un père s’occupe du bonheur de ses enfants. Certes, on peut comprendre que le rôle des parents est de s’occuper du bonheur de leurs enfants (car ils possèdent des connaissances et une autorité qui justifient qu’ils choisissent à la place de leurs enfants). Par exemple au XXIe siècle, dans les sociétés occidentales contemporaines, les parents incitent leurs enfants à faire leurs devoirs et à travailler sérieusement à l’école car ils savent que c’est pour le bien de leurs enfants. Mais peut-on traiter des citoyens adultes « à la manière d’enfants mineurs » ? Assurément non. Les citoyens adultes possèdent la faculté de juger par eux-mêmes. Ce serait un despotisme (doux et bienveillant certes) si l’Etat décidait à la place des individus de leur bonheur. En outre, l’argument de l’autorité naturelle des parents rencontre une autre limite : les enfants devenus majeurs n’ont plus à obéir à leurs parents à leur majorité (car ils sont devenus capables de penser par eux-mêmes).

            On conclut donc que l’Etat ne doit pas s’occuper du bonheur des individus. Mais pourrait-on le laisser s’occuper de quelques domaines de la société ?

 

 

c)      Tocqueville : le risque de despotisme en démocratie.

 

« Non » répondront les critiques libérales de l’Etat. Alexis de Tocqueville, philosophe français, a étudié la démocratie aux Etats-Unis pour en tirer des leçons au profit de la France. Il explique dans son ouvrage De la démocratie en Amérique quels sont les dangers de la démocratie.

            L’Ancien régime opérait des distinctions de nature entre la noblesse et le tiers-Etat mais en démocratie tous les hommes sont égaux. Tocqueville observe l’émergence d’un individualisme qui fait que l’homme démocratique s’occupe de son bonheur et de celui de ses proches mais risque de délaisser la sphère publique. L’Etat s’occupe de tout. L’Etat est bienveillant, il décharge les individus de tâches fastidieuses mais ce faisant les individus, occupés par leur quête de bonheur personnel, ne s’occupent plus des questions politiques. C’est le risque d’un despotisme doux que Tocqueville expose.

            L’Etat étend son pouvoir insidieusement sur la société toute entière en instaurant des lois et des règles. On règlemente. On ne réprimande pas avec violence comme un gouvernement tyrannique mais on gêne, on comprime. On évite l’apparition d’individus différents ou originaux.

            Tocqueville dénonce comme Kant le risque de voir apparaître un despotisme doux et « bienveillant » mais le philosophe français insiste sur le rôle des individus. Il ne faut pas abandonner la sphère politique pour s’occuper du bonheur individuel. L’Etat risque de devenir un berger pour le troupeau. Un berger rassurant qui s’occupera d’assurer les conditions pour trouver le bonheur. Mais l’Etat ne doit pas occuper ce rôle. Les citoyens ne se serviraient plus de leur libre-arbitre, c’est aussi le rôle des citoyens (de la société civile) de s’interroger sur la question du bonheur commun.

            Imaginons dans le cas des sociétés occidentales contemporaines que les individus, obsédés par l’individualisme et la quête égoïste du bonheur, laissent à l’Etat le soin de traiter les questions concernant le bonheur commun. L’Etat pourrait statuer sur les salaires, l’écologie, l’immigration, l’éducation, etc. Or on constate dans les faits l’existence d’associations et de manifestations qui témoignent encore d’un intérêt des citoyens (de la société civile) pour les questions touchant la sphère publique. On pourrait penser qu’on n’a pas le temps de réfléchir au problème de la Grèce par exemple : il faut déjà s’occuper des études, du travail, de payer le loyer, de faire les courses, de voir les amis, de prendre soin de sa famille, etc. Où trouver le temps de traiter les questions publiques ? On pourrait laisser les Etats s’occuper de ces questions, après tout ils sont constitués pour s’en occuper. Oui mais cela signifierait que les citoyens abandonneraient leur rôle de citoyen. Tocqueville met en garde contre ce danger. L’Etat ne doit pas s’occuper de tout.

 

Transition : Alors on laisse les pauvres mourir de faim ?

On peut admettre que l’Etat s’occupe des domaines régaliens (police, justice, armée) mais d’après les arguments énoncés ci-dessus on ne peut pas tolérer que l’Etat s’infiltre dans nos vies privées. Nous risquons de perdre notre liberté. C’est pourquoi il vaudrait mieux adopter une position libérale et demander à l’Etat de ne pas intervenir sur la société civile.

Mais alors, cela revient à dire que, si certaines personnes sont réduites par la pauvreté ou une crise économique soudaine à vivre dans des conditions indécentes l’Etat ne doit pas intervenir. Il ne faut pas intervenir puisque ce serait empiéter sur la liberté des individus.

 

Troisième partie : la responsabilité morale de l’Etat

 

a)      Bourdieu : ne pas déresponsabiliser l’Etat.

 

Le sociologue français Pierre Bourdieu réclamait un investissement de l’Etat en dénonçant la misère de position. En 1993, il dénonce dans son livre La Misère du monde une tactique visant à masquer la pauvreté. On mesure la pauvreté de certains individus des pays riches à partir de la grande pauvreté (des pays pauvres). On peut ainsi objecter aux gens qu’ils n’ont pas « à se plaindre ». Par exemple, imaginons qu’un groupe de travailleurs d’un pays industrialisé, gagnant un salaire mensuel de mille euros, vienne manifester pour réclamer une augmentation. On pourra leur objecter que de nombreux humains vivent avec moins d’un dollar par jour et qu’ils n’ont pas à se plaindre.

On devine que l’objectif de Bourdieu est d’encourager l’Etat à participer à la réduction de la misère en France. Pour prendre le cas de la France, à la fin du XXe siècle, on peut constater que des associations, « les Restos du cœur » ou « Emmaüs » par exemple, à l’échelle locale ou nationale, s’investissaient pour lutter contre la misère. De l’autre côté, l’Etat choisissait de s’impliquer en s’occupant de la Sécurité Sociale, du chômage et en versant un minimum d’argent aux plus démunis.

Un Etat interventionniste comme Cuba s’impliquait beaucoup dans la vie de ses citoyens (au risque de réduire les libertés). De l’autre côté, un Etat libéral comme les Etats-Unis d’Amérique préférait ne pas intervenir mais l’absence d’un système de sécurité sociale pour les plus pauvres posa problème jusqu’à la présidence d’Obama.

On semble donc aboutir à une situation insatisfaisante. On peut constater l’existence de différents Etats qui choisissent des politiques différentes mais aucune ne semble convenir. Bourdieu insiste pour ne pas déresponsabiliser l’Etat mais si l’Etat s’occupait de tout, on glisserait doucement vers le despotisme.

 

b)      Condorcet : la nécessité d’une instruction publique en France

 

            Une solution possible pour sortir de cette contradiction apparente serait de demander à l’Etat d’assurer le bonheur des individus tout en lui demandant de ne pas empiéter sur la vie privée. Peut-être faudrait-il alors reformuler le sujet pour se demander si le rôle de l’Etat n’est pas d’assurer les conditions de possibilité du bonheur pour ensuite se retirer et laisser à chacun la responsabilité individuelle de ses choix.

            Etudions la position de Condorcet. Au lendemain de la révolution de 1789, Condorcet réclame dans ses Cinq mémoires sur l’instruction publique une Instruction publique pour le peuple, c’est-à-dire un enseignement dispensé à tous les petits français.  D’après Condorcet, l’ignorance (c’est-à-dire l’absence de connaissances et de compétences) constitue un obstacle à la liberté (comprise comme la capacité à faire ce qu’on veut) car elle entraîne une dépendance (empêchant ainsi l’indépendance). Par exemple, un homme illettré est dépendant de l’homme qui sait lire à chaque fois qu’il doit lire un texte. On ne peut envisager un peuple français libre s’il n’est pas instruit (car il sera toujours dépendant).

            On pourrait exiger de l’Etat qu’il s’occupe de notre bonheur en s’occupant notamment du système éducatif. Fournir une instruction publique et gratuite à l’ensemble du peuple permet à tous d’obtenir un diplôme et un travail, permettant ainsi de s’assurer individuellement les conditions du bonheur. En ce sens l’Etat peut s’occuper de notre bonheur, ne pas empiéter sur les choix personnels et malgré tout ne pas se décharger de ses responsabilités.

 

Conclusion

Il ressort de cette dissertation qu’il n’est pas aisé de conclure sur ce que doit être le rôle de l’Etat. En effet, l’Etat fut conçu à l’origine comme un outil pour permettre l’existence de la société et permettre notre bonheur. Mais si on lui laisse l’occasion d’empiéter, il détruit nos libertés et devient néfaste. Pourtant lui refuser l’intervention conduirait également à des conséquences indésirables donc…

 

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