Sophocle: Antigone0

Posted on décembre 22nd, 2011 in En terminale

CREON (à Antigone)

Et toi maintenant réponds en peu de mots. Connaissais-tu l’interdiction que j’avais fait proclamer ?

ANTIGONE

Comment ne l’aurais-je pas connue ? Elle était publique.

CREON

Et tu as osé passer outre à mon ordonnance ?

ANTIGONE

Oui, car ce n’est pas Zeus qui l’a promulguée, et la Justice qui siège auprès des dieux de sous terre n’en a point tracé de telles parmi les hommes. Je ne croyais pas, certes, que tes édits eussent tant de pouvoir qu’ils permissent à un mortel de violer les lois divines : lois non écrites, celles-là, mais intangibles. Ce n’est pas d’aujourd’hui ni d’hier, c’est depuis l’origine qu’elles sont en vigueur, et personne ne les a vues naître. Leur désobéir, n’était-ce point, par un lâche respect pour l’autorité d’un homme, encourir la rigueur des dieux ? Je savais bien que je mourrais ; c’était inévitable – et même sans ton édit ! Si je péris avant le temps, je regarde la mort comme un bienfait. Quand on vit au milieu des maux, comment n’aurait-on pas avantage à mourir ? Non, le sort qui m’attend n’a rien qui me tourmente. Si j’avais dû laisser sans sépulture un corps que ma mère a mis au monde, je ne m’en serai jamais consolée ; maintenant, je ne me tourmente plus de rien. Si tu estimes que je me conduis comme une folle, peut-être n’as-tu rien à m’envier sur l’article de la folie !

SOPHOCLE, Antigone, trad. R. Pignarre

Introduction de l’explication du texte de Sophocle rédigée :

Dans la pièce Antigone de Sophocle, l’héroïne éponyme est placée devant un dilemme. Son frère Polynice a commis un crime en prenant les armes contre sa cité. En conséquent, Créon a décrété que les traîtres ne devaient pas être inhumés. Pourtant la tradition religieuse grecque veut que les morts soient inhumés sinon ils risquent de ne jamais trouver le chemin des Enfers. Antigone choisit d’enterrer son frère. Créon lui reproche donc d’avoir désobéi aux lois. Cet extrait aborde donc la question du rapport entre la justice et la loi.

Pour le sens commun, la justice et la loi représentent la même chose. On appelle « Justice » l’institution chargée de rendre « justice » d’après les lois. Les lois sont édictées d’après une certaine idée de la justice. Les lois marquent la limite entre ce qui est permis et ce qui est interdit. Parfois, on considère que les lois marquent la limite entre le juste et l’injuste : il est interdit de tuer un innocent car c’est un acte injuste. Il est interdit de condamner sans preuve car c’est injuste. Pourtant, on peut se demander si les lois sont toujours justes. C’est prendre le risque de confondre le légal avec le légitime. Dans les faits, on peut trouver des lois qui peuvent sembler injustes (du point de vue d’une morale kantienne): lois réduisant les droits des juifs, lois instituant l’inégalité entre hommes et femmes, lois établissant des castes d’après la naissance. Les lois sont soumises à un relativisme historique et culturel : telle loi est valable dans tel pays à telle époque mais elle ne l’est plus la décennie suivante. Il voudrait peut-être mieux se fier à une justice divine éternelle plutôt qu’aux lois humaines changeantes pour trouver la justice.

Ce texte pose la question suivante : Faut-il suivre les lois humaines pour être juste ?

            L’enjeu pratique de cette question étant de savoir quelle loi nous devons suivre. Certes on peut distinguer une loi humaine et une justice divine mais le vrai problème qui se pose est de savoir laquelle il faut suivre et pourquoi. Ne pourrait-on pas s’en passer ? On pourrait inventer une justice divine comme on invente des histoires pour amuser les enfants mais suivre les lois, dites « sérieuses », édictées par les humains.

            Le dramaturge grec Sophocle répond à cette question par la négative : il ne suffit pas de suivre les lois humaines pour être juste. Il faut obéir en priorité à la justice divine avant d’obéir aux lois humaines. Sophocle défend cette idée par l’intermédiaire de son histoire. Dans un premier temps, les personnages d’Antigone et de Créon posent une distinction entre les lois humaines et la justice divine pour affirmer, dans un deuxième temps, la supériorité de la seconde. Enfin le dernier moment du texte explique pourquoi il ne faut pas ne pas respecter la justice.

 

Remarque : Certains élèves cru voir dans ce texte un questionnement sur le devoir ou sur la conscience. Ce sont des interprétations possibles (si elles sont correctement expliquées et argumentées). En effet, cette opposition lois humaines/lois divines dissimule ce que nous appellerions aujourd’hui un conflit entre morale et droit positif. C’est la conscience morale d’Antigone et son sens du devoir qui la poussent à désobéir aux lois humaines. Pourtant j’ai préféré ne pas introduire un vocabulaire anachronique dans le corrigé. Sophocle ayant choisi de poser la problématique dans un cadre mythologique, je préfère éviter une surinterprétation en restant sur la question du rapport entre les lois humaines et une (possible) justice divine.

 

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