Monthly Archives: décembre 2011

Machiavel: résister à la fortune

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Si vous refusez le fatalisme et le résignation, la philosophie de Machiavel est une manière intéressante de penser l’action humaine et le pouvoir de la volonté: 

 

 

 

Combien, dans les choses humaines, la fortune a de pouvoir,

et comment on peut y résister

Je n’ignore point que bien des gens ont pensé et pensent encore que Dieu et la fortune régissent les choses de ce monde de telle manière que toute la prudence humaine ne peut en arrêter ni en régler le cours ; d’où l’on peut conclure qu’il est inutile de s’en occuper avec tant de peine, et qu’il n’y a qu’à se soumettre et à laisser tout conduire par le sort. Cette opinion s’est surtout propagée de notre temps par une conséquence de cette variété de grands événements que nous avons cités, dont nous sommes encore témoins, et qu’il ne nous était pas possible de prévoir : aussi suis-je assez enclin à la partager.

Néanmoins , ne pouvant admettre que notre libre arbitre soit réduit à rien, j’imagine qu’il ne peut être vrai que la fortune dispose de la moitié de nos actions, mais qu’elle en laisse à peu près l’autre moitié en notre pouvoir. Je la compare à un fleuve impétueux qui, lorsqu’il déborde, inonde les plaines, renverse les arbres et les édifices, enlève les terres d’un côté et les emporte vers un autre : tout fuit devant ses ravages, tout cède à sa fureur ; rien n’y peut mettre obstacle. Cependant, et quelque redoutable qu’il soit, les hommes ne laissent pas, lorsque l’orage a cessé, de chercher à pouvoir s’en garantir par des digues, des chaussées et autres travaux : en sorte que, de nouvelles crues survenant, les eaux se trouvent contenues dans un canal, et ne puissent plus se répandre avec autant de liberté et causer d’aussi grands ravages. Il en est de même de la fortune qui montre surtout son pouvoir là où aucune résistance n’a été préparée et porte ses fureurs là où elle sait qu’il n’y a point d’obstacle disposé pour l’arrêter.

Machiavel, Le Prince, Chapitre 25 (§ 1 et 2)

 

Sophocle: Antigone

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CREON (à Antigone)

Et toi maintenant réponds en peu de mots. Connaissais-tu l’interdiction que j’avais fait proclamer ?

ANTIGONE

Comment ne l’aurais-je pas connue ? Elle était publique.

CREON

Et tu as osé passer outre à mon ordonnance ?

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Rousseau: le « droit » du plus fort

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Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. De là le droit du plus fort ; droit pris ironiquement  en apparence, et réellement établi en principe : mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ?

            Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu’il n’en résulte qu’un galimatias inexplicable. Car sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu’on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte qu’on soit le plus fort. Or qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse ? S’il faut obéir par la force, on n’a pas besoin d’obéir par devoir, et si l’on n’est plus forcé d’obéir, on n’y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n’ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout.

ROUSSEAU, Du contrat social, livre I, chap. 3

 

Indications pour comprendre les textes

Rousseau : Le prétendu « droit » du plus fort 

 

Dans cet extrait du Contrat social, Rousseau conteste l’emploi abusif du terme « droit » pour désigner le droit du plus fort (vous noterez, ligne 7, que Rousseau utilise l’expression « prétendu droit »). Le « droit » relève soit du domaine juridique soit du domaine moral or ce prétendu droit du plus fort s’exerce par la force.

            Si vous voulez comprendre ce texte, imaginez une pierre. Si on pousse une pierre, elle se déplace. Mais elle se déplace à cause d’une force extérieure. La pierre ne décide pas d’elle-même de se déplacer. Faut-il considérer l’humain comme un objet ? Si l’humain agit parce qu’il est contraint par une force extérieure, il est comme un objet poussé. Or le vrai devoir (moral) devrait être intérieur.

            Obéir à la force n’est pas un devoir (moral) : on y cède par nécessité, non par volonté. Si la force fait le droit, alors logiquement il suffit d’être le plus fort pour avoir raison. Mais est-ce la définition du droit ?

            « S’il faut obéir par la force, on n’a pas besoin d’obéir par devoir, et si l’on n’est plus forcé d’obéir, on n’y est plus obligé » : si quelqu’un est contraint d’obéir (comme un gêneur expulsé de force par un service d’ordre) il n’agit pas par devoir (de lui-même). Le gros point faible du système (que Rousseau souligne ici) est que si on prend l’habitude d’obéir parce qu’on est contraint par une force extérieure, dès que cette force extérieure disparaît on en profitera pour ne plus obéir (pour employer une expression anachronique on parlerait ici de « la peur du gendarme ».)

 

(texte suivant) Rousseau : la nécessité des lois

            Rousseau souligne dans cet extrait Du Contrat social la nécessité des lois en société et des sanctions. L’argument est simple : si on se contente d’instaurer des lois, les gens justes les suivront mais pas les gens injustes. Par conséquent les gens justes seront désavantagés.

            Par exemple : imaginez qu’on instaure une loi du type « il ne faut pas voler ». Les honnêtes gens vont suivre cette loi mais les gens malhonnêtes vont en profiter pour voler (sans punition) du coup les honnêtes gens sont désavantagés. Pour employer une expression contemporaine (mais anachronique) on dirait que les criminels « profitent du système ».

            Pourquoi faut-il instaurer des lois et des sanctions ? Parce que nous avons créé la société. Avant, dans l’état de nature (c’est-à-dire avant que les humains vivent en société) personne n’avait rien promis à personne donc la question ne se posait pas. Mais dans l’état civil (c’est-à-dire quand les humains vivent en société) les droits sont fixés par la loi.

 

Vous notez à ce stade que les deux textes de Rousseau semblent se contredire ! D’un côté, Rousseau explique qu’il est nécessaire de poser des sanctions pour décourager les hommes injustes d’enfreindre les lois, et de l’autre côté il explique qu’on ne peut pas obliger les gens à obéir à la loi seulement avec des contraintes extérieures. Ceci semble poser un problème. Il faut donc lire la conception de la « loi » chez Rousseau pour comprendre comment surmonter cette apparente contradiction.

 

(texte suivant)

Rousseau : la loi comme expression de la volonté générale

 

            Dans cet extrait du Contrat social, Rousseau expose sa conception de la loi. Le premier paragraphe présente une définition de la loi comme expression de la volonté générale. C’est le peuple qui statue sur le peuple. Dans le deuxième paragraphe Rousseau explique en détail cette idée. Puis dans le troisième paragraphe Rousseau expose les conséquences de cette conception :

–          Il ne faut plus demander qui fait les lois : c’est le peuple.

–          Il ne faut plus se demander si le Prince est au-dessus des lois : non personne n’est au-dessus des lois puisque les lois s’appliquent à tous.

–          Il ne faut plus se demander si la loi est injuste : le peuple vote les lois or personne n’est injuste envers lui-même donc logiquement le peuple n’aurait aucun intérêt à voter une loi injuste qui le desservirait.

–          Il ne faut plus se demander si on peut être libre et soumis aux lois : les lois dépendent de nos volontés.

 

L’argumentation de Rousseau permet d’affirmer qu’on peut être libre ET obéir aux lois. Quand la loi était juste la volonté du tyran ou d’une minorité, quand la loi était injuste, quand la loi était imposée de force, les individus se sentaient contraints d’obéir aux lois. Mais si la loi est l’expression de la volonté générale, c’est-à-dire si la loi a été votée par le peuple pour l’ensemble du peuple, alors finalement quand j’obéis aux lois, je n’obéis par à un pouvoir tyrannique imposé de l’extérieur, j’obéis à ma propre volonté donc je suis ma volonté en obéissant aux lois. Si je suis ma volonté je suis libre.

 

Evidemment ce type d’argumentation sous-entend qu’il faut abandonner la monarchie pour passer à un système démocratique.

 

Epicure: l’autosuffisance

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Explication de texte :

 

[…] nous considérons l’autosuffisance elle aussi comme un grand bien, non pas dans l’idée de faire avec peu en toutes circonstances, mais afin que, dans le cas où nous n’avons pas beaucoup, nous nous contentions de peu, parce que nous sommes légitimement convaincus que ceux qui ont le moins besoin de l’abondance sont ceux qui en tirent le plus de jouissance, et que tout ce qui est naturel est facile à acquérir, alors qu’il est difficile d’accéder à ce qui est sans fondement. Car les saveurs simples apportent un plaisir égal à un régime d’abondance quand on a supprimé toute la souffrance qui résulte du manque, et du pain et de l’eau procurent le plaisir le plus élevé, lorsqu’on s’en procure alors qu’on en manque. Donc, s’accoutumer aux régimes simples et non abondants assure la plénitude de la santé, rend l’homme actif dans les occupations nécessaires à la conduite de la vie, nous met dans de plus fortes dispositions quand nous allons, par moments, vers l’abondance, et nous prépare à être sans crainte devant les aléas de la fortune.

EPICURE, Lettre à Ménécée, GF, trad. Pierre-Marie Morel, p.49-50

 

Epicure: les dieux

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Explication de texte :

[…] considérant que le dieu est un vivant incorruptible et bienheureux, ainsi que la notion commune du dieu en a tracé l’esquisse, ne lui ajoute rien d’étranger à son incorruptibilité, ni rien d’inapproprié à sa béatitude. En revanche, tout ce qui peut préserver en lui la béatitude qui accompagne l’incorruptibilité, juge que cela lui appartient. Car les dieux existent. Evidente est en effet la connaissance que l’on a d’eux.

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Saint Thomas d’Aquin : Est-il permis de voler en cas de nécessité ?

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Saint Thomas d’Aquin : Est-il permis de voler en cas de nécessité ?

Justice divine contre justice terrestre

 

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Kant: Peut-on définir le bonheur ?

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Extrait

 

Le concept de bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu’a tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut […] Pour l’idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire. Or il est impossible qu’un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu’on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu’il veut ici véritablement. Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d’envie, que de pièges ne peut-il pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissances et de lumières ? Peut-être tout cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d’une manière d’autant plus terrible les maux qui jusqu’à présent se dérobent encore à sa vue…Bref il est incapable de déterminer avec une entière certitude d’après quelque principe ce qui le rendrait véritablement heureux : pour cela il lui faudrait l’omniscience. […] Le problème qui consiste à déterminer d’une façon sûre et générale quelle action peut favoriser le bonheur d’un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble.

KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785, IIe section, trad. V. Delbos

 

Spinoza: les lois doivent-elles inspirer la crainte ?

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Extrait

 

Aussi longtemps que les hommes agissent seulement par crainte, ils font ce qui est le plus contre leur volonté, et ne considèrent aucunement l’utilité et la nécessité de leur action, mais n’ont souci que de sauver leur tête et de ne pas s’exposer à subir un supplice. Bien plus, il leur est impossible de ne pas prendre plaisir au mal et au dommage du maître qui a pouvoir sur eux, fût-ce à leur grand détriment, de ne pas lui souhaiter du mal et lui en faire quand ils peuvent. Il n’est rien en outre que les hommes puissent moins souffrir qu’être asservis à leurs semblables et régis par eux. Rien de plus difficile enfin que de ravir aux hommes une liberté, après qu’on la leur a concédée. D’où suit premièrement que toute société doit, s’il est possible, instituer un pouvoir appartenant à la collectivité de façon que tous soient tenus d’obéir à eux-mêmes et non à leurs semblables. […] En second lieu, les lois devront être instituées en tout Etat de façon que les hommes soient contenus moins par la crainte que par l’espoir de quelque bien particulièrement désiré ; de la sorte chacun fera son office avec ardeur. Enfin, puisque l’obéissance consiste en ce qu’on exécute des commandements par soumission à la seule autorité du chef qui commande, on voit qu’elle n’a aucune place dans une société où le pouvoir appartient à tous et où les lois sont établies par le consentement commun.

 

SPINOZA, Traité théologocio-politique, 1670, trad. C. Appuhn, Flammarion

 

Nietzsche : la morale du ressentiment

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 Ce texte n’a pas été vu en classe. Il permet néanmoins d’éclairer le B) du III du cours sur le DEVOIR.

Extrait :

            Les agneaux gardent rancune aux grands rapaces, rien de surprenant : mais ce n’est point là une raison pour en vouloir aux grands rapaces d’attraper les petits agneaux. Mais si ces agneaux se disent entre eux : » Ces rapaces sont méchants ; et celui qui est aussi peu rapace que possible, qui en est plutôt le contraire, un agneau, celui-là ne serait-il pas bon ? », alors il n’y a rien à redire à cette construction d’un idéal, même si les rapaces doivent voir cela d’un œil un peu moqueur et se dire peut-être : « nous, nous ne leur gardons nullement rancune, à ces bons agneaux, et même nous les aimons : rien n’est moins goûteux qu’un tendre agneau. » Exiger de la force qu’elle ne se manifeste pas comme force, qu’elle ne soit pas volonté de domination, volonté de terrasser, volonté de maîtrise, soif d’ennemis, de résistances et de triomphes, c’est tout aussi absurde que d’exiger de la faiblesse qu’elle se manifeste comme force. »

NIETZSCHE, La Généalogie de la morale, 1er traité, §13, trad. E. Blondel

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Gorgias de Platon: la toute-puissance est-elle la liberté ?

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Texte :

SOCRATE. ― Ne viens-tu pas de me dire que les orateurs pouvaient faire périr qui ils voulaient, comme les tyrans, et déposséder et chasser de la cité qui bon leur semble ?

POLOS. ― Je l’ai dit.

SOCRATE. ― Eh bien, je dis qu’il y a là deux questions ; et je répondrai à l’une et à l’autre. J’affirme en effet, Polos, que pour moi la puissance des orateurs et des tyrans dans les cités est très restreinte, comme je le disais à l’instant ; ils ne font en effet, pour ainsi dire, rien de ce qu’ils veulent ; cependant, ils font ce qui leur paraît meilleur.

POLOS. ― Et ça, ce n’est pas être très puissant ?

SOCRATE. ― Non, come l’admet Polos.

POLOS. ― Moi, je ne l’admets pas ! Je l’affirme au contraire.

SOCRATE. ― Par Zeus, non, puisque tu admets que la toute-puissance est un bien pour celui qui la possède.

POLOS. ― Oui, je l’affirme.

SOCRATE. ― Penses-tu donc que ce soit un bien de faire ce qui semble le meilleur, mais sans discernement ? Tu appelles cela être très puissant ?

POLOS. ― Non.

SOCRATE. ― Tu vas donc me démontrer que les orateurs ont du discernement et me contredire en disant que la rhétorique est un art et non une flatterie ? Mais si tu me laisses sans me contredire, eh bien, les orateurs qui font dans les cités ce qui leur plaît, comme les tyrans, ne possèdent là aucun bien ; or la puissance, tu l’as dit toi-même, est un bien ; mais faire ce qui nous plaît sans discernement, tu reconnais, toi aussi, que c’est un mal, non ?

POLOS. ― Si.

SOCRATE. ― Comment donc les orateurs et les tyrans seraient-ils très puissants dans les cités, si Socrate n’est pas réfuté par Polos qui soutient qu’ils font ce qu’ils veulent ?

POLOS. ― Cet homme…

SOCRATE. ― …J’affirme qu’ils ne font pas ce qu’ils veulent. Allez, réfute-moi.

POLOS. ― Tu ne reconnaissais pas toi-même à l’instant qu’ils font ce qui leur paraît le meilleur ?

SOCRATE. ― Je le reconnais encore maintenant.

POLOS. ― Et ils ne font pas ce qu’ils veulent ?

SOCRATE. ― Non.

POLOS. ― Quand ils font ce qui leur plaît ?

SOCRATE. ― Oui.

POLOS. ― Tu dis des choses lamentables et extravagantes, Socrate.

SOCRATE. ― Ne m’accuse pas, Polos, mon gosse[1], pour m’adresser à toi à ta manière. Mais si tu es en mesure de m’interroger, démontre que je mens, sinon, à toi de me répondre.

POLOS. ― Mais je veux bien répondre, afin de savoir aussi ce que tu veux dire.

SOCRATE. ― D’après toi, les hommes veulent-ils chaque fois ce qu’ils font, ou bien ce pour quoi ils font ce qu’ils font ? Par exemple, ceux qui absorbent une drogue venant d’un médecin, d’après toi, veulent-ils ce qu’ils font, absorber cette drogue non sans douleur, ou bien ce pour quoi ils l’absorbent : être en bonne santé ?

POLOS. ― Il est évident que c’est pour être en bonne santé. […]

SOCRATE. ― N’en va-t-il pas ainsi pour tout ? Si on fait une chose dans un certain but, on ne veut pas ce qu’on fait mais le but dans lequel on le fait.

POLOS. ― Oui.

PLATON, Gorgias, 466d-467d, trad. B. Piettre

 



[1] Jeu de mots mal traduit

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