Gorgias de Platon: la toute-puissance est-elle la liberté ?0

Posted on décembre 22nd, 2011 in En terminale

 

Texte :

SOCRATE. ― Ne viens-tu pas de me dire que les orateurs pouvaient faire périr qui ils voulaient, comme les tyrans, et déposséder et chasser de la cité qui bon leur semble ?

POLOS. ― Je l’ai dit.

SOCRATE. ― Eh bien, je dis qu’il y a là deux questions ; et je répondrai à l’une et à l’autre. J’affirme en effet, Polos, que pour moi la puissance des orateurs et des tyrans dans les cités est très restreinte, comme je le disais à l’instant ; ils ne font en effet, pour ainsi dire, rien de ce qu’ils veulent ; cependant, ils font ce qui leur paraît meilleur.

POLOS. ― Et ça, ce n’est pas être très puissant ?

SOCRATE. ― Non, come l’admet Polos.

POLOS. ― Moi, je ne l’admets pas ! Je l’affirme au contraire.

SOCRATE. ― Par Zeus, non, puisque tu admets que la toute-puissance est un bien pour celui qui la possède.

POLOS. ― Oui, je l’affirme.

SOCRATE. ― Penses-tu donc que ce soit un bien de faire ce qui semble le meilleur, mais sans discernement ? Tu appelles cela être très puissant ?

POLOS. ― Non.

SOCRATE. ― Tu vas donc me démontrer que les orateurs ont du discernement et me contredire en disant que la rhétorique est un art et non une flatterie ? Mais si tu me laisses sans me contredire, eh bien, les orateurs qui font dans les cités ce qui leur plaît, comme les tyrans, ne possèdent là aucun bien ; or la puissance, tu l’as dit toi-même, est un bien ; mais faire ce qui nous plaît sans discernement, tu reconnais, toi aussi, que c’est un mal, non ?

POLOS. ― Si.

SOCRATE. ― Comment donc les orateurs et les tyrans seraient-ils très puissants dans les cités, si Socrate n’est pas réfuté par Polos qui soutient qu’ils font ce qu’ils veulent ?

POLOS. ― Cet homme…

SOCRATE. ― …J’affirme qu’ils ne font pas ce qu’ils veulent. Allez, réfute-moi.

POLOS. ― Tu ne reconnaissais pas toi-même à l’instant qu’ils font ce qui leur paraît le meilleur ?

SOCRATE. ― Je le reconnais encore maintenant.

POLOS. ― Et ils ne font pas ce qu’ils veulent ?

SOCRATE. ― Non.

POLOS. ― Quand ils font ce qui leur plaît ?

SOCRATE. ― Oui.

POLOS. ― Tu dis des choses lamentables et extravagantes, Socrate.

SOCRATE. ― Ne m’accuse pas, Polos, mon gosse[1], pour m’adresser à toi à ta manière. Mais si tu es en mesure de m’interroger, démontre que je mens, sinon, à toi de me répondre.

POLOS. ― Mais je veux bien répondre, afin de savoir aussi ce que tu veux dire.

SOCRATE. ― D’après toi, les hommes veulent-ils chaque fois ce qu’ils font, ou bien ce pour quoi ils font ce qu’ils font ? Par exemple, ceux qui absorbent une drogue venant d’un médecin, d’après toi, veulent-ils ce qu’ils font, absorber cette drogue non sans douleur, ou bien ce pour quoi ils l’absorbent : être en bonne santé ?

POLOS. ― Il est évident que c’est pour être en bonne santé. […]

SOCRATE. ― N’en va-t-il pas ainsi pour tout ? Si on fait une chose dans un certain but, on ne veut pas ce qu’on fait mais le but dans lequel on le fait.

POLOS. ― Oui.

PLATON, Gorgias, 466d-467d, trad. B. Piettre

 



[1] Jeu de mots mal traduit

Comments are closed.

Leave a Reply