Spinoza: les lois doivent-elles inspirer la crainte ?
Aussi longtemps que les hommes agissent seulement par crainte, ils font ce qui est le plus contre leur volonté, et ne considèrent aucunement l’utilité et la nécessité de leur action, mais n’ont souci que de sauver leur tête et de ne pas s’exposer à subir un supplice. Bien plus, il leur est impossible de ne pas prendre plaisir au mal et au dommage du maître qui a pouvoir sur eux, fût-ce à leur grand détriment, de ne pas lui souhaiter du mal et lui en faire quand ils peuvent. Il n’est rien en outre que les hommes puissent moins souffrir qu’être asservis à leurs semblables et régis par eux. Rien de plus difficile enfin que de ravir aux hommes une liberté, après qu’on la leur a concédée. D’où suit premièrement que toute société doit, s’il est possible, instituer un pouvoir appartenant à la collectivité de façon que tous soient tenus d’obéir à eux-mêmes et non à leurs semblables. […] En second lieu, les lois devront être instituées en tout Etat de façon que les hommes soient contenus moins par la crainte que par l’espoir de quelque bien particulièrement désiré ; de la sorte chacun fera son office avec ardeur. Enfin, puisque l’obéissance consiste en ce qu’on exécute des commandements par soumission à la seule autorité du chef qui commande, on voit qu’elle n’a aucune place dans une société où le pouvoir appartient à tous et où les lois sont établies par le consentement commun.
SPINOZA, Traité théologocio-politique, 1670, trad. C. Appuhn, Flammarion
Nietzsche : la morale du ressentiment
Extrait :
Les agneaux gardent rancune aux grands rapaces, rien de surprenant : mais ce n’est point là une raison pour en vouloir aux grands rapaces d’attraper les petits agneaux. Mais si ces agneaux se disent entre eux : » Ces rapaces sont méchants ; et celui qui est aussi peu rapace que possible, qui en est plutôt le contraire, un agneau, celui-là ne serait-il pas bon ? », alors il n’y a rien à redire à cette construction d’un idéal, même si les rapaces doivent voir cela d’un œil un peu moqueur et se dire peut-être : « nous, nous ne leur gardons nullement rancune, à ces bons agneaux, et même nous les aimons : rien n’est moins goûteux qu’un tendre agneau. » Exiger de la force qu’elle ne se manifeste pas comme force, qu’elle ne soit pas volonté de domination, volonté de terrasser, volonté de maîtrise, soif d’ennemis, de résistances et de triomphes, c’est tout aussi absurde que d’exiger de la faiblesse qu’elle se manifeste comme force. »
NIETZSCHE, La Généalogie de la morale, 1er traité, §13, trad. E. Blondel
Gorgias de Platon: la toute-puissance est-elle la liberté ?
Texte :
SOCRATE. ― Ne viens-tu pas de me dire que les orateurs pouvaient faire périr qui ils voulaient, comme les tyrans, et déposséder et chasser de la cité qui bon leur semble ?
POLOS. ― Je l’ai dit.
SOCRATE. ― Eh bien, je dis qu’il y a là deux questions ; et je répondrai à l’une et à l’autre. J’affirme en effet, Polos, que pour moi la puissance des orateurs et des tyrans dans les cités est très restreinte, comme je le disais à l’instant ; ils ne font en effet, pour ainsi dire, rien de ce qu’ils veulent ; cependant, ils font ce qui leur paraît meilleur.
POLOS. ― Et ça, ce n’est pas être très puissant ?
SOCRATE. ― Non, come l’admet Polos.
POLOS. ― Moi, je ne l’admets pas ! Je l’affirme au contraire.
SOCRATE. ― Par Zeus, non, puisque tu admets que la toute-puissance est un bien pour celui qui la possède.
POLOS. ― Oui, je l’affirme.
SOCRATE. ― Penses-tu donc que ce soit un bien de faire ce qui semble le meilleur, mais sans discernement ? Tu appelles cela être très puissant ?
POLOS. ― Non.
SOCRATE. ― Tu vas donc me démontrer que les orateurs ont du discernement et me contredire en disant que la rhétorique est un art et non une flatterie ? Mais si tu me laisses sans me contredire, eh bien, les orateurs qui font dans les cités ce qui leur plaît, comme les tyrans, ne possèdent là aucun bien ; or la puissance, tu l’as dit toi-même, est un bien ; mais faire ce qui nous plaît sans discernement, tu reconnais, toi aussi, que c’est un mal, non ?
POLOS. ― Si.
SOCRATE. ― Comment donc les orateurs et les tyrans seraient-ils très puissants dans les cités, si Socrate n’est pas réfuté par Polos qui soutient qu’ils font ce qu’ils veulent ?
POLOS. ― Cet homme…
SOCRATE. ― …J’affirme qu’ils ne font pas ce qu’ils veulent. Allez, réfute-moi.
POLOS. ― Tu ne reconnaissais pas toi-même à l’instant qu’ils font ce qui leur paraît le meilleur ?
SOCRATE. ― Je le reconnais encore maintenant.
POLOS. ― Et ils ne font pas ce qu’ils veulent ?
SOCRATE. ― Non.
POLOS. ― Quand ils font ce qui leur plaît ?
SOCRATE. ― Oui.
POLOS. ― Tu dis des choses lamentables et extravagantes, Socrate.
SOCRATE. ― Ne m’accuse pas, Polos, mon gosse[1], pour m’adresser à toi à ta manière. Mais si tu es en mesure de m’interroger, démontre que je mens, sinon, à toi de me répondre.
POLOS. ― Mais je veux bien répondre, afin de savoir aussi ce que tu veux dire.
SOCRATE. ― D’après toi, les hommes veulent-ils chaque fois ce qu’ils font, ou bien ce pour quoi ils font ce qu’ils font ? Par exemple, ceux qui absorbent une drogue venant d’un médecin, d’après toi, veulent-ils ce qu’ils font, absorber cette drogue non sans douleur, ou bien ce pour quoi ils l’absorbent : être en bonne santé ?
POLOS. ― Il est évident que c’est pour être en bonne santé. […]
SOCRATE. ― N’en va-t-il pas ainsi pour tout ? Si on fait une chose dans un certain but, on ne veut pas ce qu’on fait mais le but dans lequel on le fait.
POLOS. ― Oui.
PLATON, Gorgias, 466d-467d, trad. B. Piettre
Bilan trimestre 1: les repères vus en classe
En plus des notions, le programme de philosophie de terminale comporte un certain nombre de « repères ». Il s’agit pour vous de maîtriser quelques points de vocabulaire.
Objectif/Subjectif
« J’ai froid » ou « j’ai chaud » sont des opinions subjectives. Elles dépendent de la personne qui les dit. En revanche, « il fait 18°C » est une information (potentiellement) objective puisqu’elle ne dépend pas de la personne qui l’énonce. N’importe qui peut utiliser le thermomètre pour mesurer la température.
Cette distinction objectif /subjectif renvoie à différents problèmes. Un témoin est-il crédible pour la justice ? Un témoignage est toujours subjectif puisqu’il dépend d’un humain. Or la justice est censée être objective.
Une croyance religieuse est-elle objective ou subjective ? On peut « croire » que quelque chose est vrai. On peut croire avec une forte conviction. Mais suffit-il d’être persuadé de détenir la vérité pour être dans la vérité ? Je « sais » que 2+2=4. Tout le monde peut vérifier. Mais les questions religieuses échappent à la physique. On ne peut pas les vérifier donc elles restent dans le champ de la croyance.
Bilan du trimestre 1: Liste des textes étudiés
Chaque élève a certainement chez lui un poster sur lequel sont inscrites toutes les notions du programme. Dès qu’on voit un texte en classe, l’élève sérieux se dépêche de faire une petite fiche pour noter les informations intéressantes.
Il est même probable que tous mes élèves rangent leurs cours, classent leurs documents et qu’ils n’ont rien égaré… mais dans le doute, je rappelle ici la liste des textes étudiés en classe.
Bilan du trimestre 1
Je faisais le bilan de mon premier trimestre et j’ai repensé à tous nos débats, de l’association, sur les différentes méthodes didactiques. Humaniste ou technicien ? Est-ce qu’on vise la quantité ou la qualité ? Est-ce qu’on suit bêtement le manuel ou est-ce qu’on choisit un ordre logique pour l’étude des notions ? Est-ce qu’on donne les dissertations notées avant de leur avoir expliqué la méthode ou après ?
Faut-il privilégier la méthodologie ou la quantité de cours ?
La liberté n’est-elle qu’une illusion ?
Evitez les copies ultra-courtes de deux pages. Vous pouvez écrire quelque chose de pertinent mais c’est généralement le signe que le sujet a été survolé. Le traitement sera certainement superficiel.
Inversement, inutile de verser dans le « remplissage ». Certains élèves accumulent des exemples sans argumenter ou des citations et des arguments d’autorité sans jamais analyser.
Explication de texte de Platon: Socrate/Polos
Travail au brouillon
Avant même de rédiger l’explication, il faut travailler au brouillon (45-60 min).
Lire le texte.
Relire le texte.
Surligner les mots importants (qu’il faudra impérativement expliquer au correcteur).
Encadrer en rouge les mots d’articulation (qui permettront de trouver le squelette du texte).
Identifier le thème (ici la liberté).
Identifier la problématique posée : la liberté est-elle la toute-puissance ?
Identifier la thèse de l’auteur. L’auteur étant Platon, on devine que c’est le personnage de SOCRATE (le maître de Platon) qui défend la thèse de Platon. La thèse est : non, la toute-puissance n’est pas la liberté.
Introduction
Je rappelle les étapes d’une introduction :
– situer le texte (si possible) ;
– Donner le thème (de quoi parle-t-on ?);
– Problématiser (expliquer pourquoi le problème se pose et éventuellement les enjeux) ;
– Donner la problématique du texte ;
– Préciser la thèse de l’auteur (la réponse apportée par l’auteur à la problématique) ;
– Annoncer le découpage du texte.
Introduction rédigée
Ce texte est un extrait du dialogue Gorgias de Platon. Le philosophe met en scène deux personnages : son maître Socrate et Polos (qu’on suppose être un disciple des sophistes) qui débattent sur la question de la toute-puissance. L’extrait prend place après que Polos ait comparé le pouvoir incomparable des orateurs à celui des tyrans.
Le sens commun soutiendrait que la toute-puissance est un bien, c’est-à-dire quelque chose d’utile ou d’agréable. Si on peut tout accomplir, on peut trouver la liberté ou le bonheur plus facilement. Au XXIe siècle les publicités tentent de vendre des téléphones, des abonnements Internet et des voitures en soulignant que plus on a de pouvoir et de moyens d’action, mieux c’est. La question se posait déjà dès l’Antiquité avec les tyrans. L’homme qui possède tous les pouvoirs sans rencontrer de contrainte semble être libre et heureux. Dès lors, ne doit-on pas chercher à devenir des tyrans ? Si on ne possède pas la force brute on peut, comme les sophistes, maîtriser l’art de rhétorique (du discours) pour manipuler les foules et ainsi obtenir tout ce qu’on veut. Pourtant on pourrait objecter à cette idée que posséder la toute-puissance ne nous rend pas nécessairement libre ou heureux. La toute-puissance dans l’action ne signifie pas que nous ne sommes pas esclaves de nos passions, de nos désirs ou de nos peurs. Ainsi le tyran possède peut-être le pouvoir de voler et de tuer sans rencontrer d’obstacle mais est-il libre et heureux s’il est obsédé par la soif de l’or ou terrifié par l’idée de mourir un jour ?
Ces interrogations nous amènent à poser la question suivante : la toute-puissance est-elle la liberté ? A cette question Platon répond, par l’intermédiaire du personnage de Socrate, que la toute-puissance n’est pas la liberté. Dans un premier moment Platon expose sa thèse en opérant une distinction essentielle : les tyrans ne font pas ce qu’ils veulent mais ce qui leur paraît meilleur. Il soutient donc que la toute-puissance seule n’est pas un bien. Dans un deuxième moment, Platon démontre la validité de sa thèse par l’absence de contradiction. Enfin, dans un troisième mouvement, Platon opère un détour par le paradigme du remède pour montrer qu’on n’agit pas pour les actions elles-mêmes mais pour un but éloigné.
Le développement
Quand vous expliquez un texte, vous devez l’EXPLIQUER. Il ne faut pas commenter. Un texte n’est pas un prétexte pour écrire ses opinions personnelles. Quand vous expliquez un texte, vous devez aider votre lecteur à comprendre ce que l’auteur voulait dire.
Développement rédigé
Premier mouvement (sur votre copie, n’indiquez pas les sous-titres)
Le premier mouvement s’ouvre sur une comparaison. Platon, par l’intermédiaire du personnage Socrate (son maître), compare les orateurs et les tyrans. Les premiers sont des gens habiles, capables de subjuguer les foules par des discours, tandis que les seconds sont des personnages qui imposent leur pouvoir par la force ou la contrainte. Il s’agit d’une comparaison paradoxale. Pourquoi mettre sur un même plan la brute qui s’impose par la violence et l’habile orateur qui charme son auditoire par ruse ? Ils n’utilisent pas les mêmes moyens. Pourtant Platon souligne qu’ils ont les mêmes pouvoirs puisque les deux catégories peuvent faire chasser ou périr qui ils veulent.
Dans le dialogue, Socrate admet la comparaison de Polos mais c’est pour mieux montrer l’inefficacité de cette toute-puissance par la suite. En effet, dans la réplique suivante Socrate affirme que la puissance des orateurs est restreinte car « ils ne font » « rien de ce qu’ils veulent » mais « ce qui leur paraît meilleur » (l 6-7). Pour démontrer l’inefficacité de cette toute-puissance Platon doit passer par une distinction. Pour le sens commun, faire ce qu’on veut et faire ce qui nous paraît meilleur risque d’être confondu, ce qui explique la confusion de Polos dans la suite de l’extrait. Pour illustrer cette distinction, on pourrait s’interroger sur ce qu’on veut vraiment. Si un humain veut le bonheur, choisit-il systématiquement des actions qui le mènent au bonheur ou choisit-il les actions qui lui paraissent être les meilleures pour atteindre le bonheur ?
Polos est confus. Socrate affirme que Polos est d’accord avec l’idée que les orateurs ne sont pas très puissants mais Polos est contre cette idée. Socrate va donc avoir recours à la maïeutique. La science de l’accouchement désigne en philosophie une méthode qui consiste à dialoguer avec son adversaire et à adopter son point de vue pour en montrer les contradictions. Socrate reprend donc la proposition de son adversaire : la toute-puissance est un bien.
Socrate demande alors à Polos s’il considère comme un bien de faire ce qui paraît meilleur sans discernement. L’autre protagoniste reconnait que non. Le discernement étant la capacité à juger de ce qui est bien, on peut difficilement trouver son bonheur sans discernement. Imaginons qu’un grec aille prier. S’il demande aux dieux, sans discernement, que la pluie tombe, alors la pluie tombera continuellement et ruinera ses récoltes. De la même manière, si on choisit de faire bannir de la cité un allié (par jalousie) et qu’ensuite on se retrouve tout seul, on a agi sans discernement et on se nuit à soi-même. Polos a donc bien conscience que la puissance sans discernement n’a que peu d’intérêt.
Transition :
Dans ce premier mouvement, Platon a pu, par l’intermédiaire du personnage de Socrate, poser sa thèse : les tyrans et les orateurs ont peu de pouvoir parce qu’ils font ce qui leur paraît meilleur au lieu de ce qu’ils veulent. Mais pour appuyer cette thèse, Platon doit encore montrer que la rhétorique (l’art du discours) apporte la puissance sans le discernement d’où la deuxième mouvement.
Deuxième mouvement
Dans le deuxième mouvement, Socrate se livre à un raisonnement par l’absurde. Il considère que si Polos n’arrive pas à le réfuter, sa thèse sera validée. Socrate demande à Polos de démontrer que les orateurs ont du discernement, que la rhétorique est un art et non une flatterie.
Cette distinction est essentielle. Pour Socrate, la rhétorique est juste une flatterie. Les orateurs viennent devant la foule et prononcent des discours qui font l’éloge de la foule. Mais il ne s’agit nullement d’un art. Si l’orateur est contraint de flatter la foule, il n’est pas vraiment libre. A Sparte, il devra faire l’éloge du peuple spartiate, de ses valeurs guerrières, de son glorieux législateur Lycurgue. A Thèbes, il faudra faire l’éloge du peuple thébain, en racontant les horreurs de leur passé. A Athènes, il faudra faire l’éloge du peuple athénien, de ses origines divines, de ses luttes glorieuses contre les Perses. Ainsi l’orateur n’est pas libre. Il est esclave des opinions du peuple. Il doit dire aux gens ce qu’ils veulent entendre.
Ce n’est pas écrit explicitement dans le texte, mais on peut supposer que Platon souligne ici que son maître Socrate avait, de son vivant, osé faire des discours devant la foule pour aller contre l’avis de la foule. Pouvoir s’opposer à la foule dans certains cas semble être un signe de puissance qui caractérise le philosophe contre le simple orateur qui doit se contenter de dire ce que les gens veulent entendre.
Socrate enchaîne avec une démonstration. Polos a reconnu qu’agir sans discernement est un mal. Si les orateurs font seulement ce qui leur plaît (sans discernement), alors c’est un mal. Or la puissance devrait être un bien. Donc les orateurs ne possèdent pas la puissance.
Socrate invite Polos à le réfuter mais Polos est confus. Il n’a pas compris la distinction entre faire ce qu’on veut et faire ce qui paraît le mieux, par conséquent il croit que Socrate est confus et qu’il se contredit d’où la conclusion méprisante de Polos à la ligne 34 : « Tu dis des choses lamentables et extravagantes Socrate ».
Transition :
A ce stade, Platon a expliqué à son lecteur pourquoi il considère que l’orateur n’est pas vraiment puissant. Pourtant il est possible que le lecteur ne comprenne pas ce qu’écrit Platon c’est pourquoi il faut le réexpliquer. Dans le dialogue, Polos s’énerve parce qu’il ne comprend pas ce que veut dire Socrate. Socrate doit donc faire un détour par le paradigme du remède pour faire comprendre son idée à son interlocuteur, d’où le troisième mouvement du texte.
Troisième mouvement
Dans le troisième mouvement du texte, Socrate demande à Polos de distinguer si les gens veulent les choses qu’ils font ou s’ils font quelque chose pour obtenir ce qu’ils veulent. On pourrait illustrer cette distinction par des exemples tirés du commerce ou de la guerre. Va-t-on au marché pour le plaisir de travailler ou dans l’optique de gagner de l’argent ? Va-t-on à la guerre pour le plaisir de se faire frapper ou dans l’optique de se couvrir de gloire ? On devine que Socrate fait remarquer à son interlocuteur que, souvent, on se livre à des actions en vue d’un but.
Socrate choisit ici l’exemple du remède. Le malade choisit-il de prendre une drogue (un médicament) pour prendre une drogue ou pour guérir ? Polos répond que c’est « pour être en bonne santé » (l 42). Il reconnait donc que les actions sont parfois entreprises pour atteindre un objectif, et non pour elles-mêmes.
Ceci permet à Socrate de conclure sur une distinction. Il arrive qu’on se livre à des actions qu’on ne veut pas faire (avaler une drogue repoussante) mais on veut atteindre un objectif. Ce détour permet d’éclairer sous un nouveau jour la première partie du texte. Socrate expliquait que les orateurs ne font pas ce qu’ils veulent mais ce qui leur paraît meilleur. Socrate a bien conscience que les orateurs veulent des biens (liberté, bonheur, richesse) mais il soulignait que, dans le choix des actions, les orateurs font seulement ce qui leur paraît mieux. Mais ces dernières actions ne sont peut-être pas des actions voulues pour elles-mêmes.
Le malade veut être en bonne santé. Il ne veut pas boire une drogue. Il accepte de boire une drogue parce qu’il veut être ne bonne santé. L’orateur veut des biens. Il ne veut pas forcément flatter la foule, faire périr un homme, exiler un ami. Mais l’orateur choisit ces actions parce qu’il croit qu’elles lui permettront d’atteindre les biens qu’il vise.
La Conclusion/ La partie critique
Votre dernière partie ou votre conclusion peuvent critiquer le texte. Il s’agit de montrer les limites du texte. Ce texte est peut-être incohérent ? L’auteur a-t-il commis une faute dans sa démonstration ? L’auteur a-t-il été contredit par un autre philosophe ?
La conclusion rédigée
Platon, par l’intermédiaire du personnage de Socrate, parvient à démontrer que la puissance des orateurs et des tyrans est restreinte. A quoi sert la puissance si on ne dispose pas du discernement ? En creux, on devine que Platon invite son lecteur à étudier la philosophie pour développer son discernement au lieu de succomber aux charmes de la rhétorique.
Mais ce raisonnement est-il valable ? Socrate utilise une ruse sophistique en prétendant qu’il dit vrai si Polos ne le réfute pas : ce n’est pas parce qu’on n’est pas réfuté qu’on a raison. Ceci nous amène à penser comme Nietzsche que Socrate n’était peut-être qu’un sophiste de plus. Peut-être Socrate est-il en train de développer ce que Nietzsche appelle, dans la Généalogie de la morale, une « morale des faibles » en prétendant qu’il vaut mieux avoir du discernement que le pouvoir d’un orateur. C’est bien le raisonnement d’un agneau. Les aigles doivent bien rire en entendant cela. Quand on est un puissant tyran capable de mettre à mort n’importe qui ou quand on est un orateur suffisamment rusé pour persuader la foule de faire n’importe quoi, on peut rire de ce discours de faible qui cherche à rassurer les faibles : ce sont les gens dénués de puissance qui la dénigrent. Quand on a du pouvoir, il semble, tout de même, plus facile de trouver des biens que quand on n’en dispose pas. Mieux vaut-il être un brillant orateur ou un pauvre paysan dénué de pouvoir ?
On pourrait également opposer à ce texte une objection machiavélienne. Certes Machiavel reconnaît l’intérêt de posséder un bon discernement pour agir efficacement, mais il souligne à plusieurs reprises dans son livre Le Prince la nécessité pour le prince de maîtriser l’art de la rhétorique. Le prince doit être à la fois lion et renard, posséder la force brute et la ruse pour soumettre ses adversaires et ainsi atteindre ses objectifs. Un prince dénué de puissance n’a aucun intérêt, la toute-puissance est donc considérée comme un bien.
En conclusion, Platon a démontré dans ce texte que la prétendue toute-puissance des orateurs est en réalité restreinte. Car agir sans discernement n’est pas un bien. Kant radicalisera cette critique dans ses Fondements de la métaphysique des mœurs en montrant que l’humain étant limité il ne peut jamais choisir, avec certitude, les meilleures actions pour trouver le bonheur. Cette quête de puissance serait donc vaine.
La mort
De plus, la mort est un repère temporel. En tant qu’elle est l’achèvement de la vie, le point terminal, elle nous indique le « terminus ». Vous êtes capables de comprendre le concept de temps parce que vous sentez le temps qui passe, qui s’écoule inexorablement et qui ne reviendra jamais. La conscience de mourir un jour nous fait apprécier chaque instant.
Si vous étiez immortel, le temps aurait-il la même importance pour vous ?
Kant: les impératifs hypothétiques et l’impératif catégorique
[…] tous les impératifs commandent soit hypothétiquement, soit catégoriquement. Les premiers représentent la nécessité pratique d’une action possible, en tant qu’elle constitue un moyen de parvenir à quelque chose d’autre que l’on veut (ou en tout cas dont il est possible qu’on le veuille), Quant à l’impératif catégorique, il serait celui qui représenterait une action considérée pour elle-même, sans relation à une autre fin, comme objectivement nécessaire.[…]
Quand je conçois un impératif hypothétique en général, je ne sais pas à l’avance ce qu’il contiendra, jusqu’à ce que la condition me soit donnée. Mais si je conçois un impératif catégorique, je sais immédiatement ce qu’il contient, Car, dans la mesure où l’impératif ne contient en dehors de la loi que la nécessité qui s’impose à la maxime d’être conforme à cette loi, mais que la loi ne contient aucune condition qui vienne la limiter, il ne reste rien d’autre que l’universalité d’une loi en général, à laquelle la maxime de l’action doit être conforme, et c’est uniquement cette conformité que l’impératif fait apparaître véritablement comme nécessaire.
Il n’y a donc qu’un unique impératif catégorique, et c’est celui-ci: Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle.
Kant, Métaphysique des moeurs
Ce texte, à travers cette distinction entre deux types d’impératifs, pose une question morale. Comment savoir que son action est moralement bonne ?
Si on se livre à un raisonnement de type « Si je veux…que mes clients me fassent confiance, je dois être honnête » ou « Si je veux…être bien vu par les autres, je dois faire ce qui est considéré comme normal dans ma société », on suit des impératifs hypothétiques. Sont-ils moraux?
Comment savoir si une maxime personnelle est morale ? Demandez-vous si elle peut devenir universelle. Par exemple: « je pense que j’ai le droit de voler quand j’en ai envie ». Seriez-vous heureux si tout le monde suivait cette maxime ?
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