Category Archives: PHILOSOPHIE

Peut-on citer les « textes sacrés » dans une dissertation ?

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Peut-on citer les « textes sacrés » dans une dissertation ?

Oui…mais avec prudence.

 

Si vous êtes un expert en culture religieuse

C’est un bon point pour vous. Si vous avez lu intégralement la Torah, le Coran ou la Bible, vous possédez déjà une large culture qui vous permettra d’alimenter vos dissertations avec des références précises.

En revanche, je mets les élèves en garde contre une dérive possible. N’utilisez jamais un argument d’autorité! Ce n’est pas parce que Dieu ou un prophète a écrit ou dit quelque chose que c’est recevable.

Une copie de philosophie n’est pas une copie de théologie. Quand vous rédigez une dissertation, mettez de côté toutes vos opinions personnelles.

 

Exemple d’utilisation

La critique que Jésus fait des pharisiens n’est pas un argument mais constitue en revanche une belle illustration du gouffre entre la moralité d’apparence (la conformité aux moeurs) et la « vraie » moralité intérieure.

Au premier siècle de notre ère, les pharisiens étaient réputés pour être respectueux des lois religieuses pourtant Jésus les décrivait ainsi : « des tombeaux blanchis qui paraissaient beaux à l’extérieur mais qui, à l’intérieur, sont plein d’ossements de morts et de toute sorte de pourriture » Evangile selon St-Matthieu XXIII, 27. Jésus reprochait à certains croyants d’être vertueux en apparence, en obéissant aux lois, mais de n’avoir aucun sentiment sincère.

 

Pour traiter la notion de religion

La notion de « religion » est présente dans les programmes de toutes les séries.

En l’absence de culture religieuse, vous risquez de rencontrer quelques difficultés. Ouvrez quelques ouvrages religieux. On se doute bien que les élèves de terminale n’ont pas le temps de lire intégralement la Bible des catholiques mais vous pouvez sélectionner.

La Torah ne comporte que cinq livres (c’est ce que les chrétiens appellent le PENTATEUQUE, les cinq premiers livres de l’ancien testament).

Ouvrez un Coran et lisez quelques sourates.

Si vous n’avez pas le temps de lire le Nouveau Testament, lisez au moins un évangile, histoire de connaître le personnage de Jésus (l’évangile de Matthieu passe pour être le plus abordable).

Notez bien que les philosophes qui ont combattu la religion avaient tous une bonne culture religieuse à l’origine.

L’Etat doit-il s’occuper de notre bonheur ?

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Dissertation : L’Etat doit-il s’occuper de notre bonheur ?

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Rousseau: De l’état de nature à l’état civil

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Rousseau

(complément de cours pour les élèves passionnés par Rousseau)

 

1)   L’originalité de Rousseau

 

Contractualisme: Il s’agit de penser ce que doit être l’organisation politique en faisant de celle-ci le résultat d’un contrat, c’est-à-dire d’un accord librement et volontairement consenti par les hommes placés dans un hypothétique état de nature (l’état dans lequel sont censés se trouver les hommes en l’absence de toute organisation politique de leur vie commune).

Originalité de Rousseau : entre l’état de nature et l’organisation politique souhaitable, Rousseau introduit un troisième terme : la société, c’est-à-dire ce que sont les rapports et les comportements réels, effectifs des hommes, tel qu’il les constatait dans la réalité sociale de son temps.

 Rousseau est un penseur de la société, il en est aussi l’un des plus virulent critique :

–> Valorisation contre la société de la nature et de l’homme naturel (que la vie sociale a perverti) ;

–> Elaboration contre la société du projet politique de l’Etat républicain.

L’originalité de Rousseau sur le plan politique consiste à penser la liberté à partir de l’égalité.

 

2)   La pensée et la critique rousseauiste de la société

 

A)  L’Homme à l’état de nature

 

L’essentiel de ce qu’est l’homme est culturellement acquis. Originellement l’Homme n’est qu’une sensibilité animale et une potentialité (voir le texte mis en ligne).

ISOLEMENT et INDEPENDANCE

L’homme naturel n’a d’autre relation que celles nécessaires à la reproduction. L’homme naturel se suffit à lui-même en pouvant satisfaire seul ses propres besoins.

2 tendances naturelles fondamentales (principes antérieurs à la Raison et inscrits dans notre nature sensible) :

1)      L’amour de soi

Le simple souci de la conservation de soi qui fait prendre intérêt à son propre bien-être sans se soucier de celui des autres.

2)      La pitié

La répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et surtout ses semblables.

 

A l’état de nature, les inégalités sont tout à la fois peu importantes et sans grand effet. Quand bien même les inégalités naturelles seraient importantes, elles seraient sans conséquence tout simplement dans la mesure où les hommes sont sans relation, vivant dans l’isolement.

B)  L’Homme social

La société c’est l’inégalité, l’institution de l’inégalité et le progrès constant de cette même inégalité.

Le propre de la société, c’est que partout les Hommes s’y distinguent selon la richesse, le rang, la puissance, le mérite ou les qualités personnelles et cherchent à s’y distinguer selon ces critères.

L’Homme est assujetti à la société en raison de sa dimension inégalitaire.

1)      Ce qui est terrible en fait, c’est la manière dont la société assujettit l’Homme.

Le pouvoir d’un homme sur un autre est identifiable et ne concerne que les dominés. La société assujettit aussi et plus fondamentalement l’Homme de l’intérieur en le transformant. Assujettissement invisible et nous concerne tous. Résulte de la soumission de tous les individus à la logique perverse du jeu social : l’OPINION.

Cette réalité impalpable, diffuse mais pourtant bien réelle est consubstantielle à la société.

Le règne de l’opinion, principe de la vie sociale, est tout à la fois ce qui naît de l’inégalité, ce qui l’entretient et ce qui l’accroît.

2)      Les manifestations de cet asservissement

3 aspects : la DEPENDANCE, la COMPARAISON et la DIVISION DU MOI.

Un dominant a une liberté illusoire. Sa soumission à l’opinion est pour Rousseau l’indice de sa radicale dépendance. 

L’homme social est celui qui ne cesse de se rapporter aux autres en se comparant. La comparaison, en tant qu’elle donne naissance à l’amour-propre, est source de malheur et de corruption :

–          De malheur parce qu’elle donne naissance à l’insatisfaction radicale de l’homme social ;

–          Elle donne naissance aux vices sociaux ;

–          Elle favorise le mensonge. Chaque Homme affecte en société une posture (une image sociale). Être et paraître devinrent deux choses différentes.

Homme écartelé entre l’être et le paraître : forme d’aliénation de l’Homme à la vie sociale.

 

Conclusion : Rousseau est moderne parce qu’il érige la société et sa logique propre en un objet fondamental et autonome de la réflexion philosophique.

 

Critique de la modernité

 

Rousseau reste critique de cette modernité car il dévalorise la logique sociale laissée à elle-même en tant qu’elle est un facteur d’inégalité et d’aliénation.

Rousseau a implicitement critiqué :

–          L’insuffisance de la problématique libérale de la société ;

–          La contestation de l’optimisme libéral relatif à l’évolution de la modernité historique.

 

L’idée selon laquelle il suffirait d’être dégagé de la contrainte toute extérieure d’un pouvoir politique pour être libre dans la société est fondamentalement insuffisante, dans la mesure où elle n’écarte pas la possibilité qu’ont les individus dans cet espace social d’être radicalement assujettis au jeu social et à l’opinion.

 

L’ambivalence profonde des prétendus progrès censés résulter du développement des facultés humaines et ce qu’on appelait alors « les Lumières ». Ce développement peut avoir lieu pour le meilleur ou pour le pire (avec l’apparition de l’homme social assujetti et aliéné).

 

 

Le Contrat Social de Rousseau

 

1)   Le projet politique du CS, ses présupposés et ses implications

 

Penser la possibilité que l’homme redevienne libre c’est devoir pour Rousseau repenser le politique.

Il faut construire l’organisation politique à partir de la raison elle-même et c’est à cette condition seulement que pourront être pensées les conditions d’une réorganisation politique légitime. Rousseau ne dit pas en réaliste ce qui est mais ce qui doit être (indépendamment des faits).

Repenser le politique c’est penser la possibilité que l’homme soit libre. Est-ce possible ?

 

Il n’y a aucune fatalité à ce que l’homme soit ce qu’il est dans la société moderne.

S’il n’y a pas de fatalité à ce que l’homme soit ce qu’il est, c’est tout simplement d’une part parce qu’il est devenu ce qu’il est d’autre part parce qu’il n’y avait aucune nécessité absolue à ce qu’il devienne ce qu’il est devenu.

Hobbes, comme bien d’autres auteurs, a constitué en nature ce qui n’était que le produit historique d’une évolution.

Il existe des éléments fondant la distinction entre homme naturel et animal :

  • La liberté
  • La conscience de cette liberté
  • La perfectibilité (le développement des facultés humaines qui restaient en sommeil dans l’homme naturel).

La nature de l’homme c’est de ne pas avoir de nature, c’est d’être liberté et corrélativement perfectibilité.

L’homme est fondamentalement indéterminé, mieux il est cette indétermination même.

Ambivalence de la perfectibilité (pour le meilleur ou pour le pire).

Changer l’homme ce n’est pas renouer avec l’homme initial de l’état de nature.

La figure de l’homme naturel dans la pensée de Rousseau n’est valorisée que tactiquement comme motif d’opposition à la réalité sociale moderne et comme preuve théorique que l’homme social ne révèle pas la vérité définitive de ce qu’est l’homme.

La figure de l’homme naturel ne saurait constituer un modèle anthropologique positif.

L’indétermination de l’homme en tant qu’il est libre et perfectible est la condition de possibilité du projet politique de Rousseau.

-> Le citoyen

-> Le projet d’une transformation de l’homme par lui-même, fondée en raison, éclairée et guidée par celle-ci.

 

2)   Le Contrat Social est la constitution du corps politique

 

Peut-il y avoir une autorité légitime ?

A)  L’exclusion par Rousseau de 2 fausses solutions

L’ordre social ne peut être fondé ni sur l’idée d’une quelconque autorité naturelle ni sur la force qui ne relève que de l’état de fait.

L’homme est naturellement libre au sens où il est indépendant c’est-à-dire il est son propre maître pour décider de ce qui convient à sa propre conservation.

Dire qu’il n’y a aucune autorité naturelle c’est dire qu’il n’y a rien à quoi les hommes doivent naturellement obéissance.

 

Le lien enfants-parents n’existe naturellement que pour le temps où les enfants ne sont pas en mesure de pourvoir eux-mêmes à leurs propres besoins (lien temporaire). Si ce lien perdure au-delà c’est de manière volontaire et donc conventionnelle.

Rousseau réfute l’idée que certains hommes seraient par nature supérieurs aux autres et qu’il serait par conséquent naturel et donc juste qu’il domine et commande les autres.

Rousseau se moque de l’idée d’une souveraineté héritée d’Adam conformément à la volonté divine.

La force définit simplement un simple état de fait à savoir la domination du plus fort sur le plus faible (voir texte en classe).

La force est incapable de fonder un ordre social qui suppose puisqu’il est ordre, tout à la fois stabilité et permanence.

La légitimité de l’ordre social suppose formellement la reconnaissance d’une obligation et d’un devoir d’obéissance par ceux qui prennent part à cet ordre.

 

B)  La solution conventionnelle

Avancer sans plus de précision la notion de convention comme solution au problème de l’origine et du fondement de l’ordre social légitime est loin d’être en soi suffisante.

Toute convention n’est pas en soi légitime à nullité de toute convention dont l’objet implique pour l’une des parties contractantes la renonciation à la liberté :

–          Contre nature

–          Irrationnelle

–          Sans fondement.

Il faut préciser la nature de cette convention. Elle doit être comprise comme un contrat d’association qui explique beaucoup plus radicalement la constitution même du peuple, c’est-à-dire le fait même que le peuple existe en tant que peuple.

 

Un peu d’histoire de la philosophie

 

(On n’exige pas des élèves de terminale qu’ils connaissent l’histoire de la philosophie et des idées mais ce dernier passage peut vous éclairer).

La notion de contrat de sujétion est ancienne à idée selon laquelle l’autorité politique légitime repose sur un contrat entre peuple et gouvernant mais…

1)      Le respect du contrat étant soumis au bon vouloir des deux parties contractantes, il ne reste guère que Dieu comme garantie.

2)      Il est fondé sur un présupposé : l’existence même du peuple n’y fait pas question, celui-ci étant considéré comme un donné.

Parce que, dans la représentation de l’époque sous-tendant la logique du contrat de sujétion, toute volonté est censée viser la même fin objective : l’avènement d’un ordre juste par conformité à une loi divine-naturelle inscrite dans l’ordre des choses. Or, parce que tous les hommes veulent objectivement la même chose, leur union en un peuple ne pose pas problème : l’unité du peuple est toujours déjà donnée dans la mesure où il y a (ou est censé y avoir) identité des volontés visant la même fin. Mais si tous les hommes veulent tous objectivement la même chose, ils peuvent cependant diverger sur les moyens de l’atteindre. Et c’est précisément parce que certains d’entre eux sont plus sages, clairvoyants et mieux à même de réaliser cette fin commune qu’ils sont naturellement amenés à représenter et à conduire le peuple (d’où sa structure hiérarchique).

Or une telle représentation est bouleversée avec l’avènement de la modernité et l’émergence de la figure de l’individu. A l’identité des volontés se substitue une multiplicité des volontés. Mais du même coup, ce qui était auparavant une évidence non questionnée cesse de l’être : à savoir l’existence même d’un peuple doté d’emblée d’une unité propre et non problématique.

Dans cette mise en question s’inscrit la problématique du contrat social compris comme contrat d’association (et non plus seulement de sujétion). Comment une multitude, c’est-à-dire une collection éparse d’individus ayant chacun sa volonté propre et ses fins subjectives potentiellement divergentes, devient un peuple, c’est-à-dire une entité collective dotée d’une unité et d’une volonté commune ?

 

Cours composé à partir des œuvres de Rousseau et des spécialistes de Rousseau  (Starobinsky, Spitz et Bourne-Branchu).

 

Epicure: Calcul des plaisirs, doctrine de l’autarcie et prudence

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Epicure

(ceci n’est pas une explication de texte mais un complément de cours pour ceux qui achopent sur la doctrine)

Amorce et thème

Nombre d’étudiants finissent le vendredi matin avec un terrible mal de crâne qui dure un long moment. Pourquoi ? Parce qu’en général, le jeudi est le soir des soirées étudiantes et que les étudiants aiment boire. Pourquoi ? Le sens commun dirait que les humains cherchent naturellement le plaisir. On fait la fête, on boit. On prend du plaisir. Puisqu’on prend du plaisir c’est forcément bien. Mais que dire des désagréments engendrés par l’alcool ? Se pourrait-il qu’un plaisir entraîne une douleur plus grande et que par moment, il soit préférable d’éviter un plaisir pour s’épargner une grande peine ? C’est ce que nous verrons dans ce texte.

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UE 1.3: Bibliographie pour aller plus loin

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Romans (sur la question des personnes handicapées)

–          Jean-Dominique Bauby, Le scaphandre et le papillon, 1997

Handicapé après un grave accident, l’auteur a réussi à écrire ce livre… en battant des paupières.

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Magic/bac de philo: même combat

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Magic / Bac de philo

Même combat

 

            Certains élèves de terminale jouent au jeu de stratégie Magic the gathering. Un jeu intéressant qui suppose, contrairement aux échecs, une stratégie en amont. Le joueur doit constituer lui-même son deck, son paquet de cartes. Il doit choisir par exemple 20 terrains et 40 sorts pour constituer un jeu équilibré.

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Explication: EPICTETE, Entretiens, II, 19, 20-28

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Méthode de l’explication

Explication d’un texte d’Epictète

 

Voici un exemple d’explication de texte pour les élèves de licence (L1-L2-L3). Je rappelle qu’en licence le niveau d’exigence augmente. Ce qu’on vous a appris en terminale ne suffit pas. On demande aux élèves de terminale d’expliquer un texte sans tenir compte du contexte (et c’est normal car les élèves n’ont pas le temps d’apprendre l’histoire des idées).

En licence, on n’attend pas un commentaire érudit (c’est toujours une épreuve d’explication) mais votre correcteur attend de vous un certain background culturel, autrement dit on attend de vous un minimum de culture philosophique. Connaissez les philosophes et les grands systèmes de pensée. On ne vous demande pas un exposé historique mais équipez-vous d’éléments pour une pré-compréhension. Ici par exemple la connaissance du stoïcisme vous facilite grandement la tâche pour comprendre de quoi parle Epictète.

Souvenez-vous qu’expliquer un texte consiste à le déplier. Ne vous contentez pas de paraphraser les vingt lignes. Expliquez au correcteur les notions et les termes étranges. Dégagez la structure argumentative du texte.

Un dernier conseil : entraînez-vous. Entraînez-vous. Entraînez-vous. On n’améliore pas ses capacités de compréhension et de rédaction en baillant aux corneilles. Il faut travailler, travailler et travailler. Dans quelques années, vous le ferez sans fatiguer.

 

(selon l’affichage de votre ordinateur, mon système de numérotation des lignes sera correct ou incorrect, n’en tenez pas compte)

 

Extrait :

 

« Observez-vous ainsi vous-même en tout ce que vous faites, et vous découvrirez à quelle secte vous appartenez. La plupart d’entre vous, vous découvrirez que vous êtes Epicuriens, un petit nombre Péripatéticiens, et Péripatéticiens bien mous. Où donc avez-vous montré par le fait que vous considérez la vertu comme égale, ou même supérieure, à tout le reste ? Mais montrez-moi un Stoïcien, si vous en avez un. Où cela et comment ? Oui, vous pouvez m’en montrer des milliers qui récitent les sentences stoïciennes. Mais ces mêmes individus récitent-ils moins bien les sentences épicuriennes ? Et les sentences péripatéticiennes, ne les expliquent-ils pas aussi exactement ? Qu’est-ce donc qu’un Stoïcien ? De même que nous appelons « phidiaque » une statue modelée selon l’art de Phidias, de même, montrez-moi un homme modelé sur les jugements qu’il profère. Montrez-moi un homme malade et heureux, en danger et heureux, mourant et heureux, exilé et heureux, discrédité et heureux. Montrez-le. J’ai le désir, par les dieux, de contempler un Stoïcien. Mais vous ne pouvez me montrer l’homme ainsi modelé. Montrez-moi, du moins, celui qui se modèle, celui qui s’est orienté dans cette direction. Faites-moi cette faveur. Ne refusez pas à un vieillard la vue d’un spectacle que jusqu’à ce jour je n’ai pas contemplé. Vous imaginez-vous que vous devez me montrer le Zeus de Phidias ou l’Athéna, un objet d’ivoire et d’or ? C’est une âme que l’un de vous doit me montrer, une âme d’homme, qui veuille faire avec Dieu une seule volonté et ne plus récriminer contre Dieu ou contre un homme, ne plus faillir dans ses entreprises, ne plus se heurter à des obstacles, ne plus s’irriter, ne plus céder à l’envie ou à la jalousie (pourquoi donc user de circonlocutions ?), devenir un dieu au lieu d’un homme et, dans ce misérable corps mortel, aspirer à la société de Zeus. Montrez-le. Mais vous ne le pouvez. Pourquoi donc vous duper vous-mêmes et vous jouer des autres ? Et pourquoi, recouverts d’un masque étranger, vous produire au dehors, voleurs et pillards de ces noms et de ces réalités qui ne vous conviennent pas du tout ? »

EPICTETE, Entretiens, II, 19, 20-28

 

 

Introduction

 

Au premier siècle de notre ère, les pharisiens étaient réputés pour être respectueux des lois religieuses pourtant Jésus les décrivait ainsi : « des tombeaux blanchis qui paraissaient beaux à l’extérieur mais qui, à l’intérieur, sont plein d’ossements de morts et de toute sorte de pourriture » Evangile selon St-Matthieu XXIII, 27. Jésus reprochait à certains croyants d’être vertueux en apparence, en obéissant aux lois, mais de n’avoir aucun sentiment sincère. Être vertueux ou paraître vertueux ? Être ou paraître ? C’est le thème de ce texte. On ne traite pas la question de la vertu mais de la définition du stoïcien. Qu’est-ce qu’un stoïcien ?

Epictète offre une définition complète (lignes 17 à 21) : « Une âme d’homme, qui veuille faire avec Dieu une seule volonté et ne plus récriminer contre Dieu ou contre un homme, ne plus faillir dans ses entreprises, ne plus se heurter à des obstacles, ne plus s’irriter, ne plus céder à l’envie ou à la jalousie, devenir un dieu au lieu d’un homme ». Epictète définit donc le philosophe stoïcien à travers une volonté et une habitude. Il ne le définit pas au moyen d’une érudition. Pour le stoïcisme la philosophie n’est pas qu’un système théorique, comme à notre époque, qui ne servirait que de grille interprétative. Ceci pose problème au sens où il est plus difficile d’évaluer une volonté qu’une érudition. Il est facile de se prétendre stoïcien mais l’est-on vraiment ? Il s’agira de distinguer le paraître philosophique de l’être philosophique.

L’enjeu est d’abord moral et pratique. En posant la question de ce qu’est un stoïcien, et en le définissant à travers sa volonté et son action, on pose la question de ce que doit être l’action du stoïcien. Que doit faire le stoïcien ? Comment doit-il agir ? Mais l’enjeu est également philosophique puisqu’il s’agit de définir la chose même qui fait d’un homme un philosophe. La question dépasse la simple interrogation lexicale pour ouvrir une interrogation philosophique. Que signifie être philosophe ?

Les Entretiens d’Epictète sont des résumés écrits des entretiens qu’Epictète a eu avec ses disciples. Ecartant la leçon magistrale pour reprendre le modèle socratique du questionnement, Epictète choisit d’interroger ses élèves pour les faire philosopher. Il est important pour comprendre l’extrait qu’Epictète s’adresse à ses disciples et non à des philosophes rivaux. Ici le texte s’ouvre sur une harangue d’Epictète (de la ligne 1 à la ligne 8 « …aussi exactement »). Le maître amène par une série de questions les élèves à se poser la question de ce qui définit un stoïcien. Puis, dans un second mouvement (de la ligne 8 à la ligne 15 « …je n’ai jamais contemplé »), Epictète offre des indices sur ce qu’est un stoïcien en offrant des exemples possibles, des exemples d’hommes dont le bonheur ne dépend pas des contingences extérieures. Toutefois il faut attendre la troisième partie (de la ligne 15 à la fin de l’extrait) pour qu’Epictète donne une définition littérale de ce que peut être le stoïcien : un homme qui se définit par sa volonté.

 

 

 

S’il s’agit d’une épreuve d’explication de texte à l’oral,

 lisez votre extrait après votre introduction.

 

 

Première partie.

 

La première partie s’ouvre sur une injonction à s’observer soi-même. Peut-être s’agit-il d’une reprise de l’injonction delphique « connais-toi toi-même », en tous cas Epicète engage ses disciples à opérer un retour réflexif sur eux-mêmes et sur leurs actions afin qu’ils découvrent à quelle « secte » ils appartiennent. Le terme « secte » signifiant ici une école philosophique. Entrée en matière paradoxale. On est en droit de supposer que les disciples d’Epictète sont par définition des stoïciens, comme leur maître. Alors pourquoi leur demander de s’observer afin de déterminer leur école d’appartenance ? Et pourquoi leur demander d’observer leurs actes ? L’appartenance à une philosophie se définirait-elle par les actes ? Le stoïcisme se définit par une pratique, Epictète ne manquera pas de le rappeler tout au long du texte.

Epictète assène, dans la phrase suivante, à ses élèves qu’ils sont des « épicuriens » ou des « péripatéticiens » (comprendre qu’ils suivent l’enseignement d’Epicure ou d’Aristote). Donc le philosophe stoïcien accuse ses propres disciples d’être des membres d’écoles concurrentes. Et il renchérit en précisant qu’il s’agit de « péripatéticiens bien mous ». Pas mou au sens physique du terme, mais mou en matière de volonté. Epictète avance que si ses élèves opèrent un retour réflexif sur leur être ou leur pratique ils se découvriront épicurien ou aristotélicien. Cela signifie que par leur attitude ou leur agir, ces élèves agissent d’après les principes des philosophies concurrentes et non d’après les principes du stoïcisme. Qu’est-ce qui justifie ce soupçon chez Epictète ?

Dans la phrase suivante, Epictète demande à ses disciples par quel acte ils avaient montré qu’ils plaçaient la vertu comme valeur principale. A travers cette question (qui n’affirme rien de manière dogmatique) Epictète rappelle deux pans essentiels du stoïcisme. En premier lieu, il rappelle que la vertu est le principe du bonheur pour les stoïciens. Cette particularité distingue le stoïcisme des écoles concurrentes. L’épicurisme, tel qu’il est exposé dans la, Lettre à Ménécée, fait du plaisir le principe du bonheur et la vertu n’est que la conséquence d’une vie agréable. L’aristotélisme, tel qu’il est exposé dans l’Ethique à Nicomaque, requiert une cité juste pour atteindre le bonheur. La vertu ne peut résulter que de lois justes et d’une pratique régulière. Pour le stoïcisme, le bonheur ne peut dépendre de contingences extérieures. Si on prend le risque de faire reposer le bonheur sur le plaisir ou sur des lois, on fait reposer son bonheur sur des choses extérieures à nous, sur lesquelles il nous est impossible d’agir. Il m’est impossible d’influencer le cours d’une guerre ou l’issue de négociations commerciales entre les différentes cités. Il m’est impossible d’arrêter une maladie ou la mort. En revanche, la capacité de diriger mes pensées, de comprendre l’ordre du monde et la nécessité sont en mon pouvoir. Je peux comprendre que des choses dépendent de moi, et d’autres pas. Je peux comprendre que la mort est nécessaire. Cette force de la pensée, c’est la vertu. La vertu dépend uniquement de moi, puisque mes pensées dépendent de moi. Par conséquent, pour le stoïcien le bonheur dépend de lui et de lui seul puisqu’il dépend de la vertu. Être stoïcien, c’est donc placer la vertu au-dessus de toutes choses.

L’autre pan essentiel est la pratique. Epictète demande à ses disciples par quel « fait » ils ont montré qu’ils faisaient de la vertu leur principe. Le stoïcisme requiert une pratique. Une pratique régulière. A la différence de nos philosophies, qui constituent des systèmes théoriques, le stoïcisme se définit comme une pratique. Comme Aristote conseillait de pratiquer régulièrement la vertu, le stoïcisme conseille de pratiquer régulièrement la vertu, au sens de penser régulièrement. C’est peut-être là le sens des « mous », même un aristotélicien sait qu’il faut une certaine force d’âme pour pratiquer. Pour un stoïcien, il faut apprendre à penser régulièrement. Ainsi le stoïcien, face à des événements insolites sera capable de continuer à penser et gardera son calme, son ataraxie.

Epictète demande à ses disciples de lui montrer un stoïcien, au milieu d’un rassemblement de « stoïciens ». Il est comme Diogène le cynique, un des modèles d’Epictète (d’après M. Duhot, Epictète ou la sagesse stoïcienne), arpentant les rues à la recherche d’un homme. Il faut évidemment comprendre que l’exigence du maître n’est pas un stoïcien mais un « vrai » stoïcien, au sens d’un homme qui serait conforme à la définition. Epictète prétendra plus loin dans le texte (ligne 15) qu’il n’a même jamais vu un vrai stoïcien de toute sa vie ! Mais pour commencer, Epictète met au défi ses disciples de présenter un seul stoïcien, comme s’il s’agissait d’une durée rare, et exige de savoir où et comment. Il demande « comment » car c’est toujours la question de la pratique stoïcienne qui revient. Celui que vous me présenterez, comment s’est-il illustré comme stoïcien, par quel acte ?

Epictète écarte d’emblée une réponse possible. Il concède qu’il serait facile de trouver des milliers d’individus qui ont appris et mémorisé les « sentences stoïciennes ». Epictète pense qu’il est possible de trouver des gens qui ont écouté des professeurs ou lu les œuvres de Zénon de Citium ou de Chrysippe. Oui, on peut trouver des gens qui ont enregistré les théories stoïciennes et qui peuvent les mobiliser, mais cette connaissance fait-elle d’eux des stoïciens ?

Epictète écarte d’emblée cette hypothèse en demandant si ces individus qui ont acquis la connaissance des théories stoïciennes n’ont pas acquis de même les théories épicuriennes. Epictète renchérit en disant que ces mêmes individus sont aussi capables de restituer les théories aristotéliciennes. Que signifient ces questions ? Epictète veut pousser ses disciples à s’interroger. Le fait que des individus connaissent les théories des écoles rivales est-il gênant en soi ? Non. On peut légitimement supposer qu’un stoïcien comme Epictète a étudié les doctrines de ses adversaires, ne serait-ce que pour pouvoir les réfuter. Mais cette manière de faire révèle deux défauts.

            En premier lieu, si ces individus qui se prétendent stoïciens expliquent, récitent, aussi bien les sentences stoïciennes, épicuriennes ou péripatéticiennes, on peut craindre un relativisme. Si on récite inconsidérément une maxime ou une autre, selon les circonstances c’est qu’on les considère équivalentes. Alors on fait tantôt de la vertu le principe absolu, tantôt c’est le plaisir. En admettant toutes les théories comme équivalentes on les suit toutes, on en suit aucune. Ceux qui répètent ne comprennent pas la philosophie. Ils sont pareils à des perroquets qui répètent sans comprendre. Ou il serait plus juste de dire qu’ils sont pareils à des chasseurs de trésor qui n’ont qu’un bout de la carte. Si on veut vraiment comprendre le stoïcisme, il faut comprendre le système intégralement. Tout comme la nature existe comme un tout, il faut étudier le stoïcisme comme un tout. On ne peut pas se permettre d’aller piocher quelques maximes au hasard. Epictète rappelle la nécessité d’un savoir unifié, la nécessité de comprendre ce qui est compris et enfin le primauté d’une philosophie sur les autres (pour éviter le relativisme).

            En second lieu, ces questions rappellent le problème de la pratique. Epictète insiste sur le verbe « réciter ». Alors oui, on trouvera des gens capables de réciter les sentences stoïciennes mais la question qui se pose, en creux, est la suivante : combien d’entre eux seront capables de les appliquer ? La parole est une chose, la pratique en est une autre. Epictète rappelle discrètement à ses élèves la nécessité de la pratique.

 

Cette première partie de la harangue servait à interpeller les disciples pour leur demander de s’interroger. Sont-ils de véritables stoïciens ? Epictète leur demande d’en présenter un et écarte d’emblée ceux qui se prétendent stoïciens parce qu’ils sont capables de réciter la doctrine. La question à laquelle devraient aboutir les disciples est la suivante : mais, si la connaissance des sentences et de la théorie est insuffisante pour faire de nous des stoïciens, qu’est-ce qui fait d’un homme qu’il est stoïcien ? Et c’est sur cette question de la définition de ce qu’est un stoïcien que s’ouvre la deuxième partie.

 

 

Deuxième partie

 

            Epictète pose littéralement la question (l 8-9) « Qu’est-ce donc qu’un stoïcien ? ». C’est la question qui dominera la deuxième partie. Epictète demande à ses disciples de réfléchir pour définir ce qu’est le stoïcien (au-delà de ses connaissances).

            Epictète débute sa recherche par une comparaison avec une statue. Phidias était un célèbre sculpteur de l’Athènes de Périclès. On appose l’adjectif « phidiaque » à une statue modelée selon son art. De la même manière Epictète demande à voir un homme « modelé sur les jugements qu’il profère » (l 10). Epictète met en jeu trois notions essentielles du stoïcisme dans cette phrase : le jugement, le modelage de l’esprit et, de nouveau, la pratique.

            L’homme qu’Epictète recherche est un stoïcien, pas une statue on s’en doute, mais comme une statue c’est un bien de valeur, et un objet d’admiration. Il est défini d’après ses jugements. Pourquoi le jugement ? Pourquoi le jugement et non l’érudition ou l’intelligence ? Parce que le stoïcisme est une philosophie du jugement. L’incipit du Manuel d’Epictète rappelle cet aspect fondamental : il y a des choses qui dépendent de nous et d’autres qui n’en dépendent pas. Il faut apprendre à distinguer ces deux catégories. C’est un acte de jugement. C’est donc dans le jugement qu’on reconnaîtra un stoïcien. Le vrai stoïcien sait que la météo ne dépend pas de lui, que l’issue de la bataille navale ne dépend pas de lui, que la guérison de son enfant ne dépend pas de lui, que son propre corps ne dépend pas de lui. La seule chose qui dépend de lui ce sont ses pensées. Par conséquent, il faut avoir un jugement juste sur les choses.

            Ensuite, la question du « modelage ». L’homme est-il une statue qu’on peut modeler à souhait ? L’homme peut-il être dressé comme un animal ? Non. Pour le stoïcisme, il existe un dieu ordonnateur qui ordonne l’univers d’après un plan, comme un artisan. Ici l’homme est modelé d’après ses propres jugements. Cela écarte d’emblée l’idée d’un dressage, puisqu’on se modèle soi-même, et il serait inconcevable pour un stoïcien qu’on naisse stoïcien puisqu’il faut d’abord se modeler. Si Epictète choisit l’exemple de la statue, ce n’est peut-être pas un hasard. Pour sculpter une statue, il faut prendre un bloc et retirer tout ce qui est inutile. La démarche pour devenir stoïcien est semblable. Il faut prendre son esprit et ôter l’inutile. Il faut savoir évacuer tous ses désirs inutiles (portant sur des choses qui ne dépendent pas de nous).

 

Puisqu’on peut se modeler, l’homme est à la fois sujet et objet de son action. Cela pose donc la possibilité d’évoluer et, par conséquent, le stoïcisme est une philosophie qui appelle à l’action. On devient stoïcien par sa pratique. C’est encore l’occasion de souligner l’intérêt de la pratique. Epictète jugera d’après les jugements et l’attitude de cet homme s’il est ou non stoïcien.

Epictète demande à ses disciples de lui présenter différentes personnes. Toutes ces personnes ont en commun de présenter deux traits de caractères qu’on jugerait habituellement incompatibles (ligne 10) :

–     un homme malade et heureux ;

–         un homme en danger et heureux ;

–         un homme mourant et heureux ;

–         un homme exilé et heureux ;

–         un homme discrédité et heureux.

Quel est le point commun entre ces différents individus ? A moins d’être fou, le sens commun imagine mal qu’on puisse être à la fois heureux et dans le plus grand des malheurs. C’est typiquement un « paradoxe » au sens où cette idée contredit la « doxa », l’opinion commune. En allant contre les évidences communes, le philosophe espère déclencher une réflexion chez ses disciples.

Les différents exemples cités sont des individus heureux et…, au choix, malade, en danger, mourant, exilé, discrédité. Donc ce sont des individus dans une très mauvaise situation mais heureux. Comment est-ce possible ? Pour le sens commun c’est impossible. Pour les écoles philosophiques concurrentes c’est également impossible. Si le plaisir est le principe du bonheur, vous ne pouvez pas être heureux quand vous êtes malade. Si la cité est nécessaire aux humains, vous ne pouvez pas être heureux en étant exilé. Par conséquent, seul un stoïcien pourrait être heureux dans ces conditions. Pourquoi ? Parce que le stoïcisme enseigne qu’il faut faire la différence entre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas. Or la maladie, le danger, la mort, l’exil et la réputation sont des choses qui ne dépendent pas de nous. Si on fait reposer son bonheur sur ces choses, il est impossible d’assurer son bonheur. En revanche, si on fait reposer son bonheur sur le vertu, c’est-à-dire sur la volonté sur la capacité d’éduquer son regard, alors il devient possible d’être heureux en toutes circonstances. En effet, la volonté dépend de nous à tout instant, indépendamment des circonstances extérieures. Donc, si le bonheur dépend de notre volonté, le stoïcien peut être heureux à tout moment quelque soit la situation.

Epictète poursuit son discours avec des phrases principalement rhétoriques. Il n’argumente pas. Il insiste pour que ses disciples lui montrent un stoïcien et va jusqu’à invoquer les dieux. « Les » dieux. Le stoïcisme considère qu’il existe un Dieu ordonnateur du monde mais contrairement à notre classification actuelle, il est possible pour un stoïcien de croire à l’existence d’un Dieu unique et à l’existence d’une pluralité de dieux. Chacun d’eux serait une allégorie ou savoir codé sur le Dieu.

On pourrait s’étonner de voir Epictète dire qu’il a le « désir » de voir un stoïcien. Les stoïciens ne sont-ils pas censés la paix de l’âme ? L’ataraxie en se détachant de tous les désirs. Certes, le stoïcisme vise l’ataraxie, l’absence de troubles, mais il ne faut pas confondre avec l’apathie, l’absence d’émotions. Epictète peut éprouver un désir (intellectuel ici) sans pour autant mettre en péril son ataraxie.

Epictète conclut provisoirement que ses disciples ne peuvent lui présenter un stoïcien. Il tempère sa position et demande à voir, à défaut d’un stoïcien, un homme qui s’oriente dans cette direction. Epictète ne se considère pas lui-même comme un « sage ». D’ailleurs globalement les maîtres stoïciens ne prennent pas le titre de sage. Ils considèrent qu’ils cherchent à atteindre cet état, presque hors de portée. Si Epictète ne se considère pas lui-même comme un sage, il sait que ses disciples n’en trouveront pas. Toutefois, et c’est le plus important, le stoïcisme consiste d’abord à s’engager dans cette voie de la sagesse. Peu importe qu’on y arrive jamais, il est nécessaire de s’engager dans cette direction.

Epictète conclut cette partie avec deux phrases pour la tournure rhétorique. Il demande une « faveur » . Il demande un (ligne 15) « spectacle que jusqu’à ce jour [il] n’a pas contemplé ». Se désignant lui-même comme une personne âgée, Epictète prétend qu’il n’a jamais vu un véritable stoïcien.

A la question de la définition du stoïcien, Epictète offre quelques pistes mais paradoxalement il prétend qu’il n’en a jamais vu. Epictète s’est surtout attaché à faire la distinction entre le stoïcien et l’homme commun, puis la distinction entre le stoïcien et le sage. Car, à ce stade de l’argumentation, les disciples sont en train de se demander comment ils pourraient présenter un stoïcien alors même que leur maître n’en a jamais vu. S’agit-il d’un être exceptionnel ou d’un dieu ? Qu’est-ce qu’ils doivent amener ?

 

 

Troisième partie

 

Epictète ouvre la troisième et dernière partie en écartant d’emblée cette idée. Il prend l’exemple du Zeus de Phidias ou son Athéna, deux sculptures hors de prix constituées en or et en ivoire (deux matières coûteuses à l’époque). Les disciples croient qu’il faut trouver un être d’exception mais ils se trompent. L’exemple des statues sert à établir trois distinctions.

Le stoïcien n’est pas un homme exceptionnel constitué d’or et d’ivoire. C’est avant tout un homme. Ce qui le distinguera, c’est sa volonté, mais à la base il est comme tout un chacun.  

Le stoïcien n’est pas un objet. C’est un sujet. La distinction sujet/objet est peut-être anachronique mais il est certain qu’Epictète reconnaît à l’homme un pouvoir d’autodétermination qu’une statue n’aura jamais puisqu’elle dépend de son sculpteur.

Enfin le stoïcien n’est pas une statue. Il n’est pas figé pour l’éternité. Il est une âme en action. Il doit agir et pratiquer un entraînement régulier. D’ailleurs l’entraînement « askèsis » a donné notre « ascèse ».

Après avoir écarté ces fausses hypothèses, Epictète dévoile une thèse. La phrase est assez longue. Le philosophe multiplie les propositions subordonnées et ironise lui-même en se demandant « pourquoi donc user de circonlocutions ? » (ligne 20). Manière de se demander pourquoi il doit faire tant de détours et de formules de style pour exprimer quelque chose de finalement simple.

Cette phrase récapitule les principaux acquis du stoïcisme. Epictète demande une « âme ». L’âme est la seule chose qui dépend entièrement de nous. On pourrait croire à tort que notre corps dépend de nous mais c’est faux. Vous ne pouvez empêcher la maladie ou la mort par la force de votre volonté par conséquent cela ne dépend pas de nous. L’âme dépend de nous et c’est elle qui doit s’entraîner pour apprendre à distinguer et à juger correctement.

C’est une âme d’ « homme ». Il ne s’agit ni d’un animal ni d’un dieu, ni même d’un sage. Le stoïcisme commence avec un homme. Quel type d’homme ? Le stoïcisme pose une conception de l’homme extrêmement familière pour nous puisque le stoïcisme est le premier à poser que les tous les humains appartiennent au même groupe, à la même cité planétaire (cosmopolitisme). Dans les faits, le stoïcisme accepte des étudiants de toutes origines, de toutes catégories sociales (Epictète étant lui-même un ancien esclave) à la différence d’une Académie platonicienne, par exemple, qui recrutait dans l’aristocratie. Dans la théorie, tout homme peut user de sa volonté donc il peut devenir stoïcien.

« Qui veuille faire avec Dieu une seule volonté » (ligne 18). Pour le stoïcisme, un Dieu bon ordonne le monde. Si Dieu est bon et tout puissant, comment expliquer l’existence du mal ? L’explication stoïcienne sera le défaut de jugement. On croit qu’il y a du mal mais on commet une erreur de jugement. Il faut observer la totalité pour comprendre à quel point l’univers est bien ordonné. Le stoïcien doit réussir à comprendre la volonté de Dieu, en éduquant son jugement, et faire de la volonté divine sa volonté. A l’inverse de l’homme du commun qui ne comprend pas le dessein de Dieu et qui s’en plaint.

Ligne 18 « ne plus récriminer contre Dieu ou contre un homme ». Celui qui se plaint du ciel, du destin ou d’un homme commet une erreur de jugement. C’est quelqu’un qui juge d’après son point de vue et qui ne comprend pas que tout ceci s’inscrit dans un plan global. D’ailleurs il ne sert à rien de se plaindre d’autrui puisque rappelons encore une fois : le stoïcien ne doit s’occuper que de ce qui dépend de lui. Les décisions divines ou d’autrui dépendent-elles de moi ? Non, alors il ne faut pas s’en occuper. Il faut veiller à ce qui dépend de nous : l’éducation et l’entraînement du jugement.

« Ne plus faillir dans ses entreprises ». Il ne faut pas comprendre ici les entreprises comme des « actions » mais comme des « résolutions ». Un stoïcien peut échouer dans une course à pied ou un bataille, cela ne dépend pas de lui. Mais le stoïcien doit posséder la constance, formée par une pratique régulière, qui lui permettra de ne pas laisser sa volonté s’affaiblir.

« Ne plus se heurter à des obstacles ». Les obstacles ne sont pas physiques, ils sont dans l’esprit :

« Ne plus s’irriter », « ne plus céder à l’envie » ou « à la jalousie ». Céder à ses sentiments constitue une double faute. D’abord, si on se laisse envahir par la passion, on ne peut plus atteindre l’ataraxie qui reste l’objectif du stoïcien. Ensuite, ces passions résultent d’un mauvais jugement. Si j’avais patiemment éduqué mon jugement, je saurai qu’il n’y a pas lieu d’être envieux ou en colère car je saurai que ces choses qui provoquent mes sentiments ne dépendent pas de moi.

Enfin la fin de la phrase étonne (ligne 20-21) puisqu’elle parle de « devenir un dieu » et d’ « aspirer à la société de Zeus ». Attention. Epictète ne dit pas que le stoïcien est un dieu. Il rappelle notre statut de mortel en indiquant « dans ce misérable corps mortel » et précise qu’il s’agit d’une direction, d’une orientation : il s’agit de « devenir », d’ « aspirer ». Le stoïcien s’engage dans une voie, il n’a pas une nature divine.

Cette dernière phrase renvoie-t-elle à une tradition philosophique ? Platon pensait qu’il y avait une part de divin en nous. Epicure disait qu’on pouvait être comme un dieu parmi les hommes (fin de La Lettre à Ménécée). Epictète pense que l’âme peut devenir comme un dieu mais les dieux ne sont que des allégories pour le stoïcisme. Alors ? Il s’agit de former l’âme pour qu’elle tende vers l’intelligence divine. L’intelligence divine du Dieu qui possède le logos et qui organise le monde. Il faut comprendre le monde.

Tout est lié. Il faut étudier la logique pour penser, il faut étudier la physique pour comprendre le monde ainsi on peut comprendre la morale stoïcienne. Encore une fois, Epictète rappelle la nécessité d’un savoir unifié.

 Après cette longue phrase, Epictète alterne avec une phrase courte « Montrez-le » (ligne 21) qui sert principalement à rythmer le discours. Il poursuit avec une autre phrase courte dans laquelle il accuse ses élèves de ne pouvoir lui montrer un stoïcien.

Puisqu’ils sont incapables de lui présenter un stoïcien ou ne serait-ce qu’un homme engagé dans cette voie, Epictète tire les conclusions qui s’imposent : ses disciples ne sont pas des stoïciens, ce sont des imposteurs.

Les dernières phrases de la dernière partie servent à accuser les disciples d’imposture. Epictète les accuse de tromper les autres et de se tromper eux-mêmes. Tromper les autres est une chose mais s’ils se trompent eux-mêmes, c’est qu’ils se mentent à eux-mêmes. Ils ne se perçoivent pas eux-mêmes tels qu’ils sont. 

Epictète parle du « masque ». Ils ont un masque de stoïcien. Une apparence. Ils sont des simulacres, des copies qui se prennent pour l’original. Mais un masque peut se porter et se poser. Le masque n’est pas l’essence de l’individu. Le masque sert à dissimuler.

Epictète a des mots durs pour ses disciples. Il les traite de « voleurs et pillards » (ligne 23). Ils ont volé ces noms (« stoïciens ») et ces « réalités » (la pratique stoïcienne, la philosophie) qui ne leur correspondent pas.

 

 

 

Conclusion

 

Duper, tromper, manipuler les apparences relève d’une forme d’intelligence pratique que les Grecs nomment « mètis » et dont le représentant est le héros d’Homère : Ulysse. Mais le texte ne portait pas sur la ruse ou l’intelligence ou même l’érudition. Epictète ne forme pas des sophistes ou des orateurs. Il veut former des philosophes et la philosophie passe ici par une volonté, une éducation du jugement et un entraînement (une ascèse).

Epictète a rappelé la nécessité d’un savoir unifié. Il a rappelé que le stoïcien est avant tout un homme qui s’engage dans une direction.

Quelle conclusion pratique en tirer ? L’apprenti stoïcien doit conclure qu’il doit éduquer son jugement et cela passera par un entraînement, par une pratique. Il ne faut pas se contenter d’apprendre un système théorique, il faut le mettre en pratique.

Quelle conclusion philosophique en tirer ? Que signifie être philosophe ? Ce texte argumente en faveur d’une définition du philosophe qui dépasse l’homme d’érudition pour devenir un homme d’action. Le philosophe ne doit pas apprendre par cœur, se parer du masque de philosophe ou se contenter de repenser ce qui a été pensé avant lui. Le vrai philosophe doit penser. Tous les jours.

Comment rédiger une fiche de lecture ?

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Comment rédiger une fiche de lecture ?

Exemple avec un texte d’Hegel et son explication.

 

« Le génie et le talent sont, du moins sous un certain aspect, des dons naturels. Mais ce qu’on ne doit pas perdre de vue, c’est que le génie, pour être fécond, doit posséder une pensée disciplinée et cultivée, et un exercice plus ou moins long. Et cela, parce que l’œuvre d’art présente un côté purement technique dont on n’arrive à se rendre maître que par l’exercice. Ceci est plus particulièrement vrai des arts qui comportent une dextérité manuelle, par laquelle ils se rapprochent plus ou moins des métiers manuels. Tel est le cas de l’architecture et de la sculpture, par exemple. La dextérité manuelle est moins nécessaire en musique et en poésie. Mais même dans celle-ci, il y a tout un côté qui demande, sinon un apprentissage, tout au moins une certaine expérience : la prosodie et l’art de rimer constituent le côté technique de la poésie, et ce n’est pas par l’inspiration qu’on en acquiert la connaissance. Tout art s’exerce sur une matière plus ou moins dense, plus ou moins résistante, qu’il s’agit d’appendre à maîtriser. »

Friedrich Hegel, Introduction à l’esthétique

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Malebranche: des motifs dans le choix…

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« Quand je dis que nous avons le sentiment intérieur de notre liberté, je ne prétends pas soutenir que nous ayons le sentiment intérieur d’un pouvoir de nous déterminer à vouloir quelque chose sans aucun motif physique ; pouvoir que quelques gens appellent indifférence pure. Un tel pouvoir me paraît renfermer une contradiction manifeste (…) ; car il est clair qu’il faut un motif, qu’il faut pour ainsi dire sentir, avant que de consentir. Il est vrai que souvent nous ne pensons pas au motif qui nous a fait agir ; mais c’est que nous n’y faisons pas réflexion, surtout dans les choses qui ne sont pas de conséquence. Certainement il se trouve toujours quelque motif secret et confus dans nos moindres actions ; et c’est même ce qui porte quelques personnes à soupçonner et quelquefois à soutenir qu’ils ne sont pas libres ; parce qu’en s’examinant avec soin, ils découvrent les motifs cachés et confus qui les font vouloir. Il est vrai qu’ils ont été agis pour ainsi dire, qu’ils ont été mus ; mais ils ont aussi agi par l’acte de leur consentement, acte qu’ils avaient le pouvoir de ne pas donner dans le moment qu’ils l’ont donné ; pouvoir, dis-je, dont ils avaient le sentiment intérieur dans le moment qu’ils en ont usé, et qu’ils n’auraient osé nier si dans ce moment on les en eût interrogés. »

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Alain Renaut: La fin de l’autorité

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Alain Renault a poursuivi, dans son livre La fin de l’autorité, la recherche d’Hannah Arendt sur la crise de l’autorité au XXe  siècle dans les pays démocratiques. En démocratie, tous les êtres humains sont considérés comme égaux. Cela a eu des répercussions sur la cellule familiale où la femme est désormais reconnue comme l’égal de l’homme. De même les différences de richesse ou de fonction ne suffisent plus à séparer les hommes, comme sous l’Ancien Régime.  

            Mais sous ce règne de l’égalité, on peut être amené à croire que tout le monde est l’égal de tout le monde. On peut croire que le médecin est l’égal du patient, que le juge est l’égal de l’accusé, que l’élu est l’égal de l’électeur. On peut malheureusement croire que l’enfant est l’égal de son parent ou que l’élève est l’égal de son maître, ce qui donne la crise de l’éducation.

            Si l’élève est considéré comme l’égal de son maître, pourquoi devrait-il se soumettre à son autorité ? Ecouter ses cours, les accepter comme tel et ne rien remettre en question. Autrefois le maître possédait l’autorité, non pas à cause de son savoir mais de sa fonction. Le fait d’être juste « professeur » ne suffit plus à faire autorité dans les écoles.

            Alain Renault postule qu’un retour en arrière (à l’autorité d’antan) est impossible mais que des évolutions sont possibles. Il identifie quelques figures. Le professeur peut conserver son autorité grâce à son charisme. Le professeur reconnu comme « expert » grâce à son savoir conserve aussi une part d’autorité.

            Toutefois la définition classique de l’autorité était de s’imposer sans avoir recours à la force brute ou à la persuasion. Si les professeurs sont amenés à user de charisme ou de subtilités pour conserver leur autorité sur les élèves, conservent-ils une véritable autorité ou un subterfuge ?

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