Chronique 15: Sapkowski, Le Sorceleur 0
Sapkowski, Le sorceleur
Pour changer des milliers d’auteurs anglo-saxons, on peut lire de la fantasy continentale, française, allemande, italienne voire polonaise.
C’est avec cette nouvelle, Le sorceleur, que Sapkowski se fait connaître et qu’il crée son héros Géralt de Riv (qui aura droit à son adaptation en série télé et en jeux vidéos sous le nom de Witcher).
Les premières aventures sont rédigées sous forme de nouvelles (vous les trouverez en recueils chez Bragelonne) et suivent généralement un schéma simple : le héros cherche un monstre et le tue. Sapkowski a ensuite repris son personnage pour écrire une vraie saga de fantaisy en cinq volumes avec un héros, une archère, un guérisseur, un guerrier, un nain, etc.
Résumé : Le sorceleur Geralt de Riv est embauché pour une mission : détruire une stryge. Il s’avère que le monstre est en réalité la princesse du coin frappée d’une malédiction. Certains aimeraient que l’héritière trouve la mort mais Geralt n’est pas le tueur de monstres dépourvu de cervelle qu’on croit.
Com : Je vais manquer d’adjectifs laudatifs pour qualifier l’œuvre de Sapkowski tellement je suis fan. Le sorceleur, la première nouvelle, est déjà un petit bijou. Bien écrit. Le style est limpide. L’action prenante. Le personnage principal rappelle Elric et Conan, de par son côté héros solitaire. J’ai plutôt envie de la comparer à Loup solitaire le héros de Joe Dever, d’abord parce que son surnom est « loup blanc », parce qu’il est solitaire ensuite et surtout parce qu’il cumule plusieurs talents. Geralt use de sa tête, de ses muscles, de ses glaives, de ses potions, de ses artefacts, de sa magie et même de virii pour affronter les monstres. Vive le dopage !
Sapkowski aime détourner les Contes de fées dans les premières aventures du sorceleur et on apprécie. Le lecteur doté d’une solide culture classique sera plié de rire en opérant les connexions tout au long du texte. Je ne donne pas d’exemple, ce serait gâcher le suspense.
Sapkowski est polonais et ça se voit. Je ne veux pas faire une lecture contextualisante de son œuvre mais c’est criant. Même si l’auteur adopte des positions très modernes sur la question de la liberté sexuelle ou de l’avortement (alors que la Pologne est un pays très catholique et assez conservateur), l’esprit polonais déborde. Pour ceux qui ne connaissent pas du tout ce formidable pays, je vais rappeler que la Pologne a été envahie à la fois par les Nazis et par les Communistes. Ils ont eu la peste ET le choléra. Du coup, les Polonais sont moins douillets que les Français, on ne les voit pas se plaindre pour tout et n’importe quoi. Cet « esprit » se ressent dans le personnage de Geralt (et chez ses compagnons). Il est conscient de ses capacités mais extrêmement modeste. Le sorceleur ne se plaint jamais, même s’il est à moitié mort. Le héros fait passer le bien avant tout.
On mentionne à plusieurs reprises deux camps qui se font la guerre : les royaumes libres (mais égoïstes calculateurs) et l’empire des méchants au nord. Ce serait un peu facile de faire le rapprochement avec l’Histoire de la Pologne. Le héros ne prend pas parti. La guerre est un danger en soi. La série échappe très vite au manichéisme affiché d’entrée pour se recentrer sur qui est vraiment important : sauver la demoiselle en détresse.
Chronique 14: Dick. Tome 2. Nouvelles de 1953 à 1981. 0
Bonjour,
je profite des rééditions récentes de l’oeuvre de Dick pour continuer à présenter cet auteur incontournable. Rassurez-vous, je ne vais pas détailler toutes ses nouvelles (l’auteur en a réalisées 121 en l’espace d’une vie), j’en garde encore quelques-unes pour un coup de projecteur. Je l’ai déjà écrit mais je le redis: c’est un auteur extraordinaire, riche et créatif. Le succès de la websérie française « Le visiteur du futur » prouve que les nouvelles générations aiment toujours ce genre d’histoire dont Dick a posé les fondements.
– Foster, vous êtes mort
Si on faisait payer aux citoyens les abris ? La peur et la guerre constituent des arguments de vente formidables. Dès que les citoyens auront investi dans le modèle dernier cri, on leur annoncera qu’une nouvelle arme peut les détruire et qu’il faut tout changer.
– Copies non conformes
Dans un futur post apocalyptique, les humains survivants se reposent trop sur des extra-terrestres qui répliquent les objets. Critique de la paresse et de la bêtise humaines.
– L’ancien combattant
Les vénusiens construisent un faux soldat venu du futur pour que les Terriens croient qu’ils vont perdre la guerre interplanétaire s’ils la déclenchent. J’ai adoré cette histoire. Dick gère très bien les histoires de voyage dans le temps et nous offre un joli tour de manège.
– Où il y a de l’hygiène…
Dans un monde partagé entre puristes contre naturistes, le héros essaye de penser librement. Défende de la liberté de pensée si chère aux auteurs de SF.
– Question de méthode
Une agence traque les problèmes. Je ne dirai rien sur cette nouvelle parce qu’il faut la lire. Je pense que l’auteur a choisi de ne pas se montrer explicite pour laisser au lecteur le soin de combler les blancs. Fin excellente.
– Un monde de talents
Le futur voit apparaître différentes classes de psioniques: précogs, télépathes et télékinésistes. Une quatrième classe émerge : les anti-psy. Enfin le fils de deux précogs est un voyageur temporel qui se déplace le long de son propre sillon.
– Consultation externe
Après la guerre, il reste quelques psioniques. Le voyageur temporel essaie d’empêcher la guerre en vain…
– Autofab
Le paysage du futur est formé par des usines automatisées. Les humains s’arrangent quand même pour déclencher un conflit avec pour enjeu les matières premières.
– Marché captif
Une femme va dans le futur pour vendre ses produits à des survivants de l’holocauste nucléaire. Je ne sais pas si on peut dire que c’est « drôle » ou alors on parlera d’humour noir mais c’est une vision « pragmatique » des pouvoirs.
– A l’image de Yancy
Quoi de mieux qu’une émission de télé pour la propagande?
– Rapport minoritaire
Vous avez déjà vu le film avec Tom Cruise mais n’hésitez pas à relire la version originale.
– Phobie or not phobie
Un humain est victime d’une phobie liée à sa mort dans la futur. La vie du précog est conditionnée par son traumatisme futur.
– Machination
Double machination ! Je ne dévoile rien de l’intrigue. Dick réussit en l’espace d’une courte nouvelle à construire une double machination du niveau d’une série policière.
– Le retour des explorateurs
Les martiens renvoient indéfiniment les clones des mêmes explorateurs. Petit côté Oblivion
– Si Benny Cemoli n’existait pas
Après l’holocauste, l’homéojournal invente un personnage responsable de la guerre.
– Un numéro inédit
Dans le futur il n’existe qu’un parti républicain-démocrate et une femme dirige. Chaque bloc peut essayer de la divertir avec un numéro artistique.
– Projet Argyronète
Aller dans le passé pour rencontrer les prescients, c’est-à-dire les auteurs de SF.
– Ce que disent les morts
La voix d’un mort venue de l’espace occupe tous les canaux de communication.
– L’Orphée aux pieds d’argile
Une agence propose aux gens de remonter le temps pour inspirer leur artiste favori. Le héros va voir un auteur de SF mais le désinspire. La nouvelle est une mise en abyme puisque la nouvelle elle-même est écrite par l’auteur de Sf qui raconte du même coup comment l’histoire finit.
– Le suppléant
Le président des USA est un super-ordinateur. Son suppléant, un syndicaliste, se tourne les pouces.
Chronique (bonus): Dette d’os 0
Goodkind est, selon les chiffres, le successeur de Tolkien. Une saga fleuve de 12 volumes. 30 millions de livres vendus. Une série télévisée tirée de son univers.
Dette d’os est un préquel mettant en scène Zed quand il était encore premier sorcier. Le novella ne compte qu’une centaine de pages et se lit rapidement (par rapport aux volumes de mille pages de la saga principale).
Résumé : Le seigneur Rahl menace les royaumes libres. Ses dernières armes, les ombres, font des ravages. Le premier sorcier Zed dirige la résistance. Et au milieu de cette guerre, une jeune femme vient chercher de l’aide à la citadelle du sorcier.
Com : J’ai bien aimé retrouver le personnage de Zed. Goodkind est un créatif. Il aurait pu se reposer sur son univers mais non, il en rajoute, il en rajoute. La fin est brillante (comme d’habitude). L’auteur introduit la magie des ossements et parvient à la dépasser rapidement. Encore une fois, les personnages apprennent une règle de sagesse mais je vous laisse le soin de découvrir laquelle.
Chronique 13: La cité du rêve de Julien Noël 0
Le site web Ymaginaires propose, en plus de son webzine et de nombreux articles sur l’actualité de la SFFF, des nouvelles inédites en ligne. Histoire de sortir des sentiers battus, j’ai pensé que j’allais piocher dans cette manne en reconnaissant le nom d’un jeune auteur qui a réalisé les 100 histoires de sorcières.
Résumé: dans un futur dystopique, un jeune garçon voyage en train et cherche à s’évader vers la cité des rêves.
Avis personnel : Nul besoin d’écrire un roman interminable pour bâtir un univers exotique. Julien y parvient en quelques pages. Les détails concernant la cité rendent le tout crédible. La nouvelle se lit vite grâce au style limpide de l’auteur.
Pour se faire un avis:
http://www.ymagineres.net/article-nouvelle-la-cite-du-reve-de-julien-noel-118998994.html
Jean-Philippe Jaworski, Janua Vera, Les moutons électriques, 2007, réédition Folio SF 0
Pour paraphraser un ami, « quand on lit Jaworski, on apprend du vocabulaire ». L’auteur français nous offre ici un univers médiéval renaissant riche en couleurs. Chaque nouvelle suit un personnage.
– Janua vera
Le roi-Dieu fait un cauchemar toutes les nuits. Mais qui peut-on consulter quand on est un dieu ?
Le concept rappelait autant le pharaon que l’Empereur-Dieu des Warhammer40 mais Jaworski offre une première nouvelle intéresse qui pose rapidement les bases de l’univers.
– Mauvaise donne
Buenvenuto est un tueur à gages. Pitié ! me suis-je dit. Histoire vue et revue, usée jusqu’à la corde. On va nous infliger un millième Bangkok dangerous ? Heureusement non. L’histoire suinte de machiavélisme et c’est bon.
Le tueur à gages est doublé et doit rapidement retrouver son commanditaire s’il espère survivre.
– Le service des dames
Un chevalier, un écuyer et un page souhaitent traverser une rivière mais la coutume locale l’interdit. Entre Kaamelott et le roman de Lancelot, les références aux romans arthuriens pullulent dans cette nouvelle mais en offrant toujours le même souci du détail historique et du mot juste.
Très bien !
– Une offrande très précieuse
L’armée de brigands tombe dans une embuscade et se fait décimer. Le soudard Cecht en réchappe et traîne un collègue mourrant dans la forêt. Au plus noir de la nuit, il rencontre une guérisseuse/sorcière capable de soigner son ami s’il lui rapporte une « offrande ».
Commentaire : Je ne souhaite pas dévoiler les détails de la nouvelle mais on est touché parce qu’elle est finalement la plus subtile de toutes. On devine les sentiments qui percent derrière ce personnage qu’on présente comme le plus épais et le moins humain de tous.
– Le conte de Suzelle
L’histoire d’une petite paysanne espiègle et gaffeuse qui se retrouve un jour confronté à un fantôme qui bouleverse sa vie.
– Jour de guigne
Jaworski enchaîne avec une histoire comique (démontrant qu’il maîtrise tous les styles). Alors qu’un mystérieux assassin hante les rues, on suit les mésaventures d’un assistant scribe victime d’une malédiction et d’une pléthore d’accidents cocasses.
Au début, je craignais la farce facile mais l’auteur maintient son lecteur en haleine avec moult rebondissements.
– Un amour dévorant
D’après moi, la meilleure nouvelle du recueil (et pourtant le reste est déjà excellent). Après nous avoir offert les histoires de politique, de combat, de magie et même d’humour, Jaworski conclut par une enquête. L’histoire traite de la malédiction d’un petit village. La nuit deux âmes en peine courent entre les arbres en appelant le nom d’une femme et malheur à qui croise leur chemin.
Je ne sais pas si Peter V Brett connaissait cette nouvelle quand il a rédigé son brillant Homme-rune mais on retrouve des échos avec ces villageois qui évitent soigneusement de sortir la nuit et qui fuient également nuages et brumes.
La nouvelle de Jaworski suit l’enquête d’un gyravogue, c’est-à-dire un prêtre du Désséché (le dieu de l’hiver), qui tente de retrouver l’origine des fantômes pour les exorciser.
Commentaire : J’ai adoré d’un bout à l’autre, jusqu’à la révélation de la dernière page.
– Le confident
Jaworski achève son recueil par une courte nouvelle sur un autre prêtre du Désséché. L’histoire est très sombre (notamment parce que le héros vit dans le noir) mais, finalement, le confident qui se confie est une idée intéressante.