Lettre 58 à Schuller : analyse détaillée0

Posted on mars 1st, 2017 in En terminale

[…] Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits (1) et ignorent les causes qui les déterminent. Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s’il est poltron, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu’ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire. De même un délirant, un bavard, et bien d’autres de même farine, croient agir par un libre décret de l’âme et non se laisser contraindre. Ce préjugé étant naturel, congénital parmi tous les hommes, ils ne s’en libèrent pas aisément. Bien qu’en effet l’expérience enseigne plus que suffisamment que, s’il est une chose dont les hommes soient peu capables, c’est de régler leurs appétits et, bien qu’ils constatent que partagés entre deux affections contraires, souvent ils voient le meilleur et font le pire, ils croient cependant qu’ils sont libres, et cela parce qu’il y a certaines choses n’excitant en eux qu’un appétit léger, aisément maîtrisé par le souvenir fréquemment rappelé de quelque autre chose.

Spinoza – Lettre 58, à Schuller

(1) appétits : désirs

Rappel méthodologique

Introduction d’explication de texte :

  • Situation (de quel livre ou lettre est extrait le texte ?) : La réponse est indiquée sur votre feuille. Vous pouvez le rédiger ainsi « Le texte étudié est extrait de la lettre 58 de Spinoza à Schuller… ».
  • Thème (de quoi parle-t-on ?) : Pour un élève il est relativement facile d’identifier le thème d’un texte puisqu’il revient sans cesse. Le jour du bac, le thème sera très certainement une notion du programme. Ici il s’agit de la liberté. Vous pouvez le rédiger simplement ainsi « … et traite du thème de la liberté ». Comme on l’a vu en classe, il est possible de préciser puisqu’ici le texte traite du déterminisme ou encore de l’illusion de liberté.
  • Problématisation : Comme dans une dissertation, il peut être utile d’expliquer au correcteur pourquoi un problème se pose ici. Spinoza va démontrer que la liberté n’est qu’une illusion, en quoi est-ce original ou surprenant ou problématique ?
  • Problématique (à quelle question répond le texte ?) : Les humains sont-ils libres ou croient-ils être libres ? N’hésitez pas à le formuler clairement : « Le texte réactualise le débat de savoir si l’humain est libre ou pas ».
  • Thèse (quelle est l’idée principale de l’auteur ?) : NON. On a vu en classe que la thèse de Spinoza est claire : l’humain n’est pas libre, il est déterminé donc, de la même manière, votre rédaction doit être claire : « à cette question le philosophe Spinoza répond que l’homme n’est pas libre. Il n’a que l’illusion de la liberté car il est en réalité déterminé ».
  • Annonce du plan (comment l’auteur démontre-t-il sa thèse ?) : Quand on vous demande de découper un texte, on ne demande pas un découpage mathématique (15 lignes divisées par 3) mais plutot un découpage qui fait sens. Y a-t-il une partie qui sert à présenter une hypothèse? Une partie qui développe un argument? Qui illustre avec un exemple ? Une partie qui conclut un raisonnement ?

Pour des exemples d’introductions d’explications rédigées je vous renvoie à Socrate/Polos et au passage d’Epicure sur les dieux.

Au brouillon:

  • Encadrer les connecteurs logiques: cela vous permet de dégager le squelette du texte.
  • Surlignez les notions, les exemples et les définitions.

Aide, ligne par ligne (vous êtes censé opérer cette analyse au brouillon avant d’attaquer la rédaction)

Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent.

Thème : liberté. A définir.

« se vantent », terme péjoratif.

Spinoza offre ici SA définition de la liberté (avoir conscience des désirs). Cette définition est originale. Pourquoi? est-ce qu’il suffit d’être conscient de ses désirs pour se dire libre ou est-il en train de dénoncer une erreur commune qui consisterait à confondre la liberté avec la conscience des désirs ?

« ignorent » terme péjoratif.

« les causes qui les déterminent » -> théorie du déterminisme à expliquer.

Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s’il est poltron, vouloir fuir.

Après avoir exposé son hypothèse, Spinoza l’illustre par une série d’exemples. Vous pouvez évidemment étudier la gradation des exemples mais n’oubliez pas de les examiner un par an.

« Un enfant ». Qu’est-ce qui définit un enfant ? L’innocence ? L’ignorance ?

Qu’illustre l’exemple de l’enfant qui croit désirer librement le lait? Il ne désire pas librement puisqu’il a faim. Il est donc déterminé par son corps.

« un jeune garçon irrité vouloir se venger ». Vous notez qu’on est passé de l’enfant au jeune garçon, qui est censé être moins ignorant et pourtant lui aussi commet l’erreur de croire qu’il veut se venger alors qu’il est influencé par sa colère (par l’émotion, par le corps).

« s’il est poltron, vouloir fuir ». L’exemplaire complémentaire du couard illustre également la thèse de Spinoza: celui qui fuit ne fuit pas librement mais parce qu’il est influencé par la peur (l’émotion, le corps).

Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu’ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire.

La série d’exemple part de l’enfant et aboutit à l’adulte: cela semble sous-entendre que l’âge (ou la maturité) n’empêche pas le problème du déterminisme.

L’exemple de l’ivrogne qui regrette ce qu’il a fait sous l’effet de l’alcool permet d’illustrer une autre forme de déterminisme dans laquelle le corps influence l’esprit.

D’ailleurs l’opposition de Spinoza entre « l’alcool » qui touche le corps et le prétendu libre décret de l »‘âme » montre que l’esprit est dans l’illusion de liberté alors qu’il subit les effets du corps.

Opposition alcool/sobriété. Selon l’état un humain ne fait pas ou ne dit pas la même chose ? Pourquoi? Le sens commun pourrait penser que l’effet désinhibant de l’alcool permettrait d’éviter l’hypocrisie et d’atteindre une forme de vérité comprise comme sincérité ou franchise pourtant s’il y a regret c’est que la personne ne souhaitait pas vraiment dire ce qu’elle a dit sous l’influence de l’alcool.

Il est possible (mais non nécessaire en terminale) d’effectuer un renvoi vers une inscription courante sur les fontaines du Moyen-âge : In vino veritas, autrement « dans le vie la vérité » qui fait le lien entre alcool et sincérité, mais la formule se complète par « sed in aqua sapienta », « mais dans l’eau la sagesse ».

De même un délirant, un bavard, et bien d’autres de même farine, croient agir par un libre décret de l’âme et non se laisser contraindre.

La série d’exemples se termine par la figure du délirant, du bavard et autres personnages du même acabit qui, parce qu’ils parlent sans rencontrer d’obstacle ont la sensation d’être libres alors que, sous-entend Spinoza, ils ne le sont pas.

Ils « croient » — > croyance

« libre décret de l’âme » : à l’époque on suppose que la liberté est dans l’âme puisque les Chrétiens pensent que Dieu (libre) a créé les humains. C’est l’occasion de souligner à nouveau l’opposition entre matière et esprit : l’esprit se croit libre alors qu’il est influencé par le corps.

Ce préjugé étant naturel, congénital parmi tous les hommes, ils ne s’en libèrent pas aisément.

Préjugé : ce qu’on croit avant de juger, avant de réfléchir. Opinion couramment répandue.

Pourquoi ce préjugé (l’humain est libre) serait-il naturel ?

Soulignez que Spinoza ne parle pas de liberté mais de libération. Tout le texte cherche à montrer que l’humain n’est pas libre. Néanmoins le philosophe semble entrevoir une possible « libération » de ce déterminisme.

Bien qu’en effet l’expérience enseigne plus que suffisamment que, s’il est une chose dont les hommes soient peu capables, c’est de régler leurs appétits et, bien qu’ils constatent que partagés entre deux affections contraires, souvent ils voient le meilleur et font le pire, ils croient cependant qu’ils sont libres, et cela parce qu’il y a certaines choses n’excitant en eux qu’un appétit léger, aisément maîtrisé par le souvenir fréquemment rappelé de quelque autre chose.

La dernière phrase du texte renvoie à un problème philosophique ancien, le problème du mal (qui trouve une nouvelle explication avec le déterminisme). Il est possible (mais non nécessaire pour un élève de terminale) de citer ici Ovide « Video meliora probaque, deteriora sequor », autrement dit « je vois le bien et je l’approuve mais je suis le mal ».

« Bien que » –> opposition? Concession?

« l’expérience enseigne » — > Constat de fait. Ce n’est pas une démonstration théorique.

L’expérience nous apprend que les hommes sont incapables de régler leurs désirs, c’est-à-dire de les contrôler. On sous-entend que les humains sont soumis à leurs désirs (et peuvent difficilement se dire libres).

« bien que » –> opposition ?

« souvent ils voient le meilleur et font le pire » –> renvoi explicite à la citation d’Ovide. Sans partir dans la culture latine, l’élève de terminale peut déjà relever une opposition entre le bien et le mal. Si les humains ont le choix entre le bien et le mal, pourquoi choisir le mal ?

« ils croient » — > Croyance. La liberté n’est qu’une croyance.

« parce que » –> cause, justification (de ce qui précède).

 

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