Le financement participatif0

Posted on février 3rd, 2014 in PHILOSOPHIE

Traditionnellement, quand on voulait produire un film ou un jeu vidéo, on recourait à un éditeur (ou à un producteur). Revenait à ce dernier la charge de financer le projet. Malheureusement ce système opérait une sélection des productions d’après des critères, jugés par certains, subjectifs ou commerciaux.

Le vingt-et-unième siècle a connu l’apparition d’un nouveau système de financement hérité des anciennes caisses de coopérative : le crowfunding ou financement participatif en français. Le principe est simple : vous avez une idée ? Un jeu vidéo ? Un film ? Un livre ? Une bande-dessinée ? Un spectacle de théâtre ?

Présentez votre projet en ligne sur une plateforme dédiée (Kickstarter, Ulule, Kiss kiss, Indiegogo, etc.) Ce ne sera pas un éditeur qui fournira la totalité du financement mais une myriade de petits contributeurs. Untel donnera dix euros, son voisin le double et un troisième cinquante euros. Imaginons que dix mille volontaires fournissent tous un euro symbolique, le porteur du projet se retrouverait avec la coquette somme de dix mille euros.

N’est-ce pas formidable ? Que penser de cette nouvelle pratique ? Présente-t-elle de nouveaux avantages ou dissimule-t-elle au contraire de sombres magouilles ?

Ayant moi-même souvent contribué à différents projets culturels, j’ai pris le temps d’étudier la question.

Pour chaque don, les contributeurs reçoivent des « récompenses ». Dès lors, on ne parle plus de « don » désintéressé mais de contribution. Le donneur devient un backer. On ne dira pas qu’on a participé au financement d’un projet mais qu’on a kickstarté un jeu vidéo. Mais que devient l’argent envoyé ? Quelle est la commission des plates-formes ? Une autorité légale surveille-t-elle la dépense de l’argent collecté ? Et si le résultat est un échec, peut-on demandé à être remboursé ?

Noob, le record d’Europe.

La websérie, réalisée par des amateurs,

a engrangé vingt fois la somme demandée pour le tournage de leur long-métrage.

 

Les avantages

Ils sont légions.

Le financement participatif a permis d’émanciper les créateurs de la sphère des financiers. En ce sens, on pourrait faire une lecture marxiste du phénomène et constater que ce ne sont pas les détenteurs du grand capital qui décident de tout. Les petits épargnants (beaucoup plus nombreux) possèdent également le pouvoir d’impulser des projets. La viabilité d’une idée n’est plus soumise au seul jugement arbitraire de deux ou trois spécialistes qui pourraient la refuser au nom du risque.

Dans un deuxième temps, on peut souligner que les petits studios ont également gagné en liberté sur un autre plan. Puisqu’ils ne sont pas financés par un producteur qui aurait la main mise sur leur projet, les créateurs peuvent mener leur barque comme bon leur semble. Inutile de transiger avec les désirs de la compagnie. Le petit studio kickstarté ne rend des comptes qu’à ses bakers, qui ont déjà parié sur le projet d’après l’idée initiale.

Enfin, le financement participatif procure au consommateur une liberté de choix. Le citoyen lambda n’est plus un élément passif. Avant, on allait au cinéma voir un film choisi parmi une palette de films produits par de gros studios. Même chose, dans le milieu du jeu vidéo. Liberté de choix, oui, mais liberté réduite à un choix conditionné et limité. Une demie-liberté est-elle encore une liberté pourrait-on demander à la chèvre attachée dans son pré ? Si le consommateur ne se reconnait pas dans les productions hollywoodiennes ou s’il ne trouve pas son bonheur dans les derniers jeux triple A des principaux studios, il peut décider de financer des projets alternatifs qui lui auront plu, avec la promesse de récupérer une copie du jeu.

Mais alors, me direz-vous, ce système est génial ! Qu’attendons-nous pour le généraliser ? Le gros souci consiste dans le fait que les plates-formes n’ont pas intérêt à vous présenter les défauts de cette nouvelle pratique. Car il y en a.

 

The girl and the robot, un jeu vidéo canadien

 

La princesse lointaine, une pièce de théâtre bretonne

 

Les défauts

Quand on donne son argent, on peut très bien ne jamais le revoir. La législation concernant le financement participatif est encore floue. D’ordinaire, quand vous achetez un bien, le commerçant vous laisse un contrat (et éventuellement une garantie pour vous faire rembourser en cas de problème). Quand vous faîtes un don à une association, on vous fournit une attestation (histoire de demander une réduction d’impôts). Dans le cas du crownfunding, on se fie à la parole des créateurs. Dès lors, si l’envie leur prend de filer au Mexique avec vos économies, rien ne les arrêtera. Il n’existe aucune sécurité contre les opérateurs malhonnêtes.

Sans aller jusqu’à accuser les créateurs de détournement de fond, on lit souvent sur les forums des gens se plaindre. Les projets demanderaient systématiquement des budgets surévalués. Et par conséquent, les jeux kickstartés prendraient plus de temps parce que les programmeurs souhaitent se mettre un salaire supplémentaire dans la poche. Difficile de donner une estimation juste du financement nécessaire pour lancer un projet.

Les trois quarts des projets soumis au financement participatif n‘aboutissent pas. Parmi ceux qui réussissent on constate généralement que le plafond est crevé. Certains jeux encaissent deux à trois fois la somme demandé et on peut citer l’exemple du film Noob, record d’Europe, qui a récolté vingt fois la mise. Dans ce cas-là, les équipes proposent systématiquement aux bakers des enrichissements du contenu. Le surplus ne part pas dans leur poche mais dans le projet.

On a déjà souligné l’absence des huissiers pour contrôler les comptes mais il manque également des testeurs qualité pour s’assurer de la fonctionnalité des produits. Si le film financé n’est jamais achevé, à qui vais-je me plaindre ? La conception de la OUYA, une nouvelle console, a créé un précédent. Que faire quand un grand nombre d’investisseurs est déçu par un produit ? On ne peut pas demander à être remboursé.

Ensuite, j’ai expliqué précédemment que le financement participatif présente nombre de qualités de l’actionnariat mais il en manque une essentielle. Le backer n’est pas rémunéré. Certes, le contributeur reçoit des récompenses (accès à la bêta, goodies, mention au générique, etc.) mais il n’est pas rétribué. Si vous financez une entreprise cotée en bourse, et que cette entreprise réalise des bénéfices, vous recevez un dividende (pour récompenser votre prise de risque). Dans le cas du financement participatif, vous pouvez très bien donner jusqu’à dix mille dollars sans autre récompense que la mention « producteur exécutif ». Et si le jeu/film fait un carton ? Les créateurs peuvent engranger une fortune sans que les contributeurs en profitent. Evidemment cette objection est formelle. Les projets culturels faisant appel au financement participatif sont d’emblée jugés non rentables (sans quoi, ils auraient rapidement trouvé une place dans le circuit de financement classique).

Reste un dernier problème, moins important, mais pénible. La plate-forme de financement prend une commission (généralement 5%[1]). Cela représente tout de même une somme que les créateurs n’auraient pas gaspillé s’ils avaient démarché directement leurs contributeurs IRL[2]. Côté contributeur, les Français qui souhaiteraient contribuer à des projets internationaux en dollars auront l’agréable surprise de constater sur leur relevé de banque qu’on leur a prélevé un euro automatiquement au moment de la conversion. Ce n’est qu’un euro, répondront certains. Certes, mais le principe du crownfunding repose sur la mise en commun de petits fonds. La grande majorité des contributeurs font des dons inférieurs à dix euros. C’est le geste qui compte, dirons-nous. Si vous donnez cinq fois cinq dollars à différents projets, le système en reprend cinq.

 

 

In verbis Virtus, un jeu italien prometteur qui n’a pas trouvé son public

 

Si quelqu’un demande qui est Timothy Zahn, je le jette par la fenêtre.

Le jeu vidéo tiré de son œuvre n’a pas convaincu.

Sur Internet, les fans ont reproché à la société le manque de définition du projet.

 

Raindrop, un jeu immersif suisse aux décors léchés, à moitié financé.

 

 

La Pré-vente meilleure que le financement participatif ?

D’ordinaire une dissertation se termine par une troisième partie. Mais plutôt que de conclure sur une position modérée ou agnostique, j’ai préféré envisager une autre hypothèse qui fonctionne assez bien en France, pour la littérature.

L’idée est d’acheter le livre avant sa sortie. Les contributeurs envoient leur participation à la maison d’édition en échange de la promesse d’un ouvrage.

Les plus avertis signaleront que plusieurs maisons d’édition malhonnêtes (dont nous tairons les noms qui commencent par Béné* ou par Kiro*) ont usé de ces systèmes pour soutirer de l’argent à des victimes. En effet, je ne conseillerais la pré-vente qu’avec une maison (ou une équipe ou un studio) qui a déjà fait ses preuves.

Sur le papier, l’idée présente autant d’avantages que le crownfunding, sans ses inconvénients. Les dons permettent à la maison d’édition une prise de risque et le lancement d’un nouvel ouvrage. Aucune plate-forme ne prélève un dixième de l’argent entre le contributeur et l’éditeur. Et, enfin, la pré-vente n’est pas comme le projet kickstarté soumise à l’effet de seuil. Même si l’objectif initial n’est pas atteint à 100%, l’argent récolté peut servir à lancer le projet.

Conclusion

Nous assistons peut-être à la naissance d’un nouveau phénomène civilisationnel mais restez prudent. Lisez les notices d’utilisation et n’envoyez pas votre argent n’importe où.

L’avenir de l’humanité s’annonce plus créatif que jamais.

 

 

Rêvalité, le court-métrage d’après l’univers de la photographe Julie De Waroquier.

 

Alizée, un livre

 

Sim Hero, un RPG américain au budget modeste.

 

Geekopolis, un festival français qui mise sur la participation des fans

 

« You are not the hero », le RPG américain qui met en scène une PNJ.

Le jeu a encaissé sept fois et demi la somme demandée et pourra ainsi effectuer une foule d’améliorations (traitement des décors, niveaux supplémentaires, voix enregistrées).



[1] Ou plus. La plate-forme Ulule prélève 8% des dons pour les transactions par carte bleue.

[2] IRL : In Real Life, dans la vie réelle.

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