Les échanges favorisent-ils la paix?0

Posted on juin 6th, 2013 in En terminale

Sujet tombé au bac en juin 2007.

Introduction

Sans échange il n’y aurait pas de communauté humaine. Pour échanger, il faut d’abord se mettre d’accord sur la valeur de ce qui est échangé et sur les modalités de l’échange : la paix semble nécessaire et antérieure à tout échange. Cependant, pour pérenniser ces échanges, il faut maintenir une stabilité entre les partenaires. L’échange semble exclure les conflits. Mais, on le sait, le développement, l’expansion des échanges amène les partenaires à entrer dans une logique de concurrence peu propice au partage et à la moralité. Les entreprises se livrent de véritables batailles pour emporter les marchés. Alors, si la paix est synonyme de concorde, d’entente cordiale, ne doit-on pas concevoir que les échanges, loin de favoriser la paix, sont sources de conflits potentiels ?

I)                    La vertu socialisante de l’échange économique

A)     La coopération, origine de la société

Les échanges constituent le ciment de toute société. Analysant la formation de la cité, Platon explique, dans la République, que si l’on échange, c’est d’abord pour survivre : « La cité se forme parce que chacun d’entre nous se trouve dans la situation de ne pas se suffire à lui-même, […] c’est toujours à la pensée que cela est mieux pour lui. » Les échanges naissent donc de la nécessité dans laquelle chacun se trouve de coopérer avec autrui.

 

B)      Le commerce présuppose et garantit la paix

Or, la paix se comprend bien d’abord comme union, coopération, absence de conflit. Pour échanger les uns avec les autres, on doit s’accorder sur les valeurs échangées. Ainsi, Benjamin Constant montre que l’esprit de commerce est un autre moyen d’obtenir ce qu’on veut, moins plus sûr et moins dangereux que la guerre : « Un homme qui serait toujours le plus fort n’aurait jamais l’idée du commerce. C’est l’expérience qui, en lui prouvant que l’emploi de la guerre, c’est-à-dire l’emploi de sa force contre la force d’autrui, est exposée à diverses résistances et à divers échecs, le porte à recourir au commerce, c’est-à-dire un moyen plus doux et plus sûr d’engager l’intérêt des autres à consentir à ce qui convient à son intérêt. »

C)      L’échange permet de découvrir d’autres cultures

L’échange conduit d’autant plus à l’absence de conflit qu’il oblige à s’ouvrir aux autres et à sortir du repli sur soi. Les Etats commerçant ensemble ont des intérêts communs qui garantissent le maintien de la paix, et leurs échanges sont fructueux en ce qu’ils permettent à des civilisations de se connaître. Le développement du commerce s’accompagne d’un accroissement de la connaissance de l’autre, de l’étranger, propice à la tolérance et au respect. C’est en ce sens que Montesquieu écrit que « l’effet naturel du commerce est de porter à la paix. […] Le commerce guérit des préjugés destructeurs » (De l’esprit des lois).

Les échanges, visant l’intérêt des partenaires, présupposent et garantissent un état de paix : il est impossible d’échanger tant qu’il y a conflit. Cependant, la paix n’est-elle que l’absence de guerre ?

II)                  L’esprit de commerce ne suffit pas à garantir la paix

A)     L’instabilité de l’échange

Les échanges sont liés à l’intérêt : on s’accorde avec autrui pour ne pas être lésé soi-même, et les Etats ne sont pacifiques que tant que leur intérêt est en jeu. L’échange économique est instable : quand on n’a plus besoin d’un partenaire, les liens sont coupés. « Si l’intérêt rapproche les hommes, ce n’est jamais que pour quelques instants », affirme Durkheim, montrant que l’échange économique ne suffit pas à garantir la paix comme concorde, il ne fait que favoriser l’absence provisoire de conflit : « Toute harmonie d’intérêt recèle un conflit latent ou simplement ajourné. Car, là où l’intérêt règne seul, comme rien ne vient réfréner les égoïsmes en présence, chaque moi se trouve vis-à-vis de l’autre sur le pied de guerre et tout trêve à cet éternel antagonisme ne saurait être de longue durée. »(De la division du travail social, livre I, chap.7)

B)      La concurrence

En outre, la lutte pour la conquête des marchés tient une place importante dans les conflits contemporains entre nations et entre individus. C’est que l’échange est devenu chrématistique, il n’est plus un moyen de survivre, mais un moyen de s’enrichir. Marx dénonce la perversion par l’argent : « L’argent […] apparaît alors comme cette puissance de perversion contre l’individu et contre les liens sociaux[…] il transforme la fidélité en infidélité, l’amour en haine… […] Comme l’argent, qui est le concept existant et se manifestant de valeur, confond et échange toutes choses, il est la confusion et la permutation universelle de toutes choses, donc le monde à l’envers. » (Manuscrits de 1844) Les échanges, motivés par un souci croissant de satisfaction personnelle, mènent à un mépris des règles morales et à un état de concurrence constante.

C)      L’esprit de commerce fait fi de toute morale

Montesquieu le soulignait déjà : « Dans les pays où l’on est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines et de toutes les vertus morales. » L’esprit de commerce, loin de favoriser la paix, mène à une volonté de domination qui justifie toutes les pratiques, morales ou immorales, l’important étant que « les affaires marchent ».

Puisque les échanges sont sources aussi bien de conflit que d’entente, il faut se demander à quelles conditions ils peuvent favoriser la paix.

III)                Les échanges sociaux, fondements de la paix

A)     La nécessaire régulation des échanges

Il faut réguler les échanges afin  d’éviter toute injustice, source de conflit. L’échange, d’abord, suppose une équivalence, une valeur égale entre ce qui est échangé. On n’échange pas un pain contre une maison. Avec l’échange naissent les idées d’égalité et de justice, valeurs fondatrices de la société. Il faut donc distinguer l’échange équitable (auquel la notion de « commerce équitable » fait écho) du vol : lorsque Mar s’insurge de l’exploitation dont sont victimes les prolétaires dans le mode de production capitaliste, il ne fait pas autre chose que de dénoncer une absence d’équivalence entre la valeur du travail rendu et la valeur du salaire qui est donné en retour. La notion de salaire minimum doit réguler les échanges entre travailleurs et capitalistes. Pour qu’il y ait absence de rébellion, de grève, les échanges économiques doivent garantir une certaine forme de justice.

B)      L’échange social

Pour déterminer à quelles conditions il y a justice, il faut aux hommes échanger sur cette idée, échange qui est une étape nécessaire à l’instauration de la paix. Comme le note Lévi-Strauss, « il y a bien plus dans l’échange que les choses échangées » (Les structures élémentaires de la parenté) : l’échange ne se réduit pas à sa dimension économique. Si les échanges favorisent la paix, c’est qu’ils sont plus que l’interaction par laquelle chacun sert ses intérêts personnels. Par le dialogue, les hommes doivent se rendre capables d’un accord qui manifestera la paix au sens positif du terme : non pas seulement l’absence de conflit, mais la concorde véritable. « Le langage, écrit Aristote, existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible et par suite aussi le juste et l’injuste. » Il permet aux hommes de s’accorder sur le bien, le mal, le juste et l’injuste. « Or, avoir de telles notions en commun, c’est ce qui fait une famille et une cité » et favorise la paix.

Conclusion

Les échanges favorisent donc la paix, à condition d’être de véritables échanges, et non des usurpations en tout genre. D’un point de vue économique, les échanges peuvent pervertir les relations humaines s’ils sont instables et dénués de toute notion de justice. Ainsi, pour que les hommes instaurent un climat d’harmonie, d’entente cordiale, il leur faut échanger, dialoguer afin de trouver un accord, de se rapprocher de la vérité : l’échange n’est fructueux que s’il fait passer la dimension spirituelle de l’homme avant sa dimension corporelle, toujours liée à l’intérêt égoïste. C’est à cette seule condition que la paix peut être établie.

Dissertation d’après Katy Grissault

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