Husserl : l’empirisme, un dogmatisme de l’expérience0

Posted on novembre 23rd, 2012 in En terminale

Husserl critique l’empirisme, qui réduit les choses aux choses de la nature et la réalité à la réalité ordinaire. L’impératif de connaissance « des choses mêmes », qui caractérise sa philosophie, n’implique nullement de se limiter à l’expérience et de rejeter les notions classiques d’ »idées » et d’ »essences » théorisées par la métaphysique.

 Le naturalisme empiriste procède – nous devons le reconnaître – de motifs hautement estimables. C’est, du point de vue méthodologique, un radicalisme qui, à l’encontre de toutes les « idoles », des puissances de la tradition et de la superstition, des préjugés grossiers et raffinés de tout genre, fait valoir le droit de la raison autonome à s’imposer comme la seule autorité en matière de vérité. Porter sur les choses un jugement rationnel et scientifique, c’est se régler sur les choses mêmes, ou revenir des discours et des opinions aux choses mêmes, les interroger en tant qu’elles se donnent elles-mêmes et repousser tous les préjugés étrangers à la chose même. On ne ferait qu’exprimer autrement la même chose, — estime l’empiriste – en disant que toute science procède de l’expérience, que les connaissances médiates qu’elle comporte doivent se fonder dans l’expérience immédiate. Ainsi, pour l’empiriste, c’est tout un de parler de science authentique et de science fondée sur l’expérience. En face des faits, que pourraient être les « idées » ou les « essences », sinon des entités scolastiques, des fantômes métaphysiques ? C’est précisément le grand service que nous ont rendu les sciences modernes de la nature d’avoir délivré l’humanité de ces revenants philosophiques. La science ne connaît jamais que la réalité naturelle, celle qui tombe sous l’expérience. […]

            La faute cardinale de l’argumentation empiriste est d’identifier ou de confondre l’exigence fondamentale d’un retour « aux choses mêmes », avec l’exigence de fonder toute connaissance dans l’expérience. En limitant au nom de sa conception naturaliste le domaine des « choses » connaissables, il tient pour acquis sans autre examen que l’expérience est le seul acte qui donne les choses mêmes. Or les choses ne sont pas purement et simplement les choses de la nature ; la réalité, au sens habituel du mot, ne s’identifie pas purement et simplement à la réalité en général.

Edmund HUSSERL, Idées directrices pour une phénoménologie (1913)

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