Introduction à la mètis : Detienne et Vernant0

Posted on novembre 16th, 2011 in LA MÈTIS

Les civilisations occidentales conçoivent l’intelligence d’après l’intelligence rationnelle. « Une » intelligence basée sur le logos, l’intelligence mathématique, la pensée démonstrative, capable de saisir les abstractions et les lois éternelles. Dans l’Antiquité, le philosophe est celui qui parvenait à s’extraire de l’impermanence des choses pour chercher le fixe, le stable. Pourtant il existait une autre forme d’intelligence chez les Grecs : l’intelligence pratique. L’intelligence rusée des chasseurs, des guerriers, des artisans dont Ulysse est le représentant. Cette intelligence, cette mètis fut l’objet d’une série de travaux de Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant. Il en ressort que l’intelligence rusée n’est pas une mais multiple.  

La déesse Mètis (avec une majuscule) est la mère d’Athéna dans la théogonie d’Hésiode. Ce que l’on définit comme la mètis  (avec une minuscule) serait un certain type d’intelligence engagée dans la pratique, affrontée à des obstacles qu’il faut dominer en rusant pour obtenir le succès dans les domaines les plus divers de l’action.

On pourrait définir, dans un premier temps, la mètis comme la ruse du menteur, l’astuce du tricheur, la malignité du dissimulateur. Un art du mensonge, de la tromperie et de la dissimulation.  Mais ce terme recouvre un champ sémantique bien plus vaste. D’après Detienne et Vernant, elle recouvre « un mythe de souveraineté, les métamorphoses d’une divinité aquatique, les savoirs d’Athéna et d’Héphaïstos, d’Hermès et d’Aphrodite, de Zeus et de Prométhée, un piège pour la chasse, un filet de pêche, l’art du vannier, du tisserand, du charpentier, la maîtrise du navigateur, le flair du politique, le coup d’œil expérimenté du médecin, les roueries d’un personnage retors comme Ulysse, le retournement du renard et la polymorphie du poulpe, le jeu des énigmes et des devinettes, l’illusionnisme rhétorique des sophistes.[1] »

Les deux anthropologues mettent en garde contre une autre interprétation possible. La mètis n’est pas l’inspiration hasardeuse. Ce n’est pas l’alibi incohérent inventé par un enfant pour échapper à la fessée. Il s’agit de « comportements intellectuels qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d’esprit, la feinte, la débrouillardise, l’attention vigilante, le sens de l’opportunité, des habiletés diverses, une expérience longuement acquise ; elle s’applique à des réalités fugaces, mouvantes, déconcertantes et ambiguës, qui ne se prêtent ni à la mesure précise, ni au calcul exact, ni au raisonnement rigoureux[2] ». Il s’agit donc d’un ensemble d’attitudes mentales.

 



[1] Vernant J.-P. et Detienne M., Les ruses de l’intelligence. La mètis grecque,1974, Flammarion, coll. Champs essais, p 8

[2] Vernant et Detienne, Op. Cit., p 10

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