L’erreur0
Est-il bien vu de faire des erreurs ?
Le tableau de Jacques Louis David: La mort de Socrate
A priori non. Quand on dit « j’ai commis une erreur », en général, on regrette ce qu’on a fait. On s’est trompé. On aurait préféré faire autre chose.
Une erreur c’est faire autre chose que la chose attendue. C’est l’écart entre notre réponse « réelle » et la réponse « parfaite ».
Errare humanum est. « L’erreur est humaine » a-t-on coutume de dire car l’erreur est partout. Et plus particulièrement, elle est présente dans les apprentissages. Quand on cherche à apprendre, on fait inévitablement des erreurs.
Mais quel est le statut de l’erreur dans une démarche d’apprentissage ?
Pour certains, l’erreur est une mauvaise chose. Selon la conception béhavioriste, l’erreur est à éviter. Comment l’éviter ? En répétant de nombreuses fois les exercices. Il faut adopter la bonne méthode et la répéter. Ce système fonctionne très bien (c’est le principe suivi par les « boîtes à bachotage ») mais développe-t-il l’intelligence, l’initiative, la capacité à improviser devant un problème nouveau.
A l’inverse, certaines personnes pensent qu’une erreur peut être bénéfique. Cette population s’appelle « les profs ». Les professeurs sont des humains capables de dire « Voilà une erreur intéressante », « Vous avez bien fait de faire l’erreur maintenant », « Vous avez bien fait de faire cette erreur, tout le monde va en profiter ». Pourtant les professeurs sont les premiers à sanctionner les erreurs relevées dans les copies. Alors on peut se demander en quoi une erreur peut être utile.
Une erreur nous apprend quelque chose. Une erreur n’est pas innocente. Elle ne survient pas par hasard. L’erreur est le signe que l’élève a suivi une théorie, une démarche particulière. L’erreur peut nous permettre de comprendre ce que…l’élève n’a pas compris.
Je prends un exemple connu. Une maîtresse de CP demande à ses élèves de trouver des mots contenant le son [a].
Elève n°1 : Maaaaaaman.
Maîtresse : Oui.
Elève n°2 : Papa.
Maîtresse : Oui.
Elève n°3 : Tonton !!
Dans un premier temps, on peut être tenté de penser que l’élève n°3 dit n’importe quoi. Sa réponse n’a rien à voir avec la consigne. Pourtant cet enfant suit une certaine « logique ». Sa logique. Il a entendu qu’on parlait de « maman » et de « papa » et il a conclu qu’il fallait chercher d’autres membres de la famille.
Chaque humain suit sa propre logique. L’erreur permet d’entrevoir le cheminement de la pensée suivi par autrui.
Quelles sont les différentes familles d’erreur ?
Erreurs liées à la compréhension de la tâche :
– Situation mal comprise
– L’élève répond à autre chose qu’à la question
Ce type d’erreur peut être lié à la consigne. Si la consigne est floue, ambigüe ou trop complexe un élève peut s’emmêler les pinceaux. En outre, un élève peut se laisser tromper par les mots de la consigne.
Jean a 18 billes de plus que Paul. Jean a 22 billes. Combien Paul en a-t-il ?
Certains élèves lisent la première phrase. Ils lisent « de plus » et ils se disent immédiatement qu’il s’agit d’une addition puisqu’on parle de « plus ». Logique non ? Ensuite ils vont tenter de poser 18+22 pour trouver une réponse.
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Erreurs liées au mauvais traitement des données :
– Opérations mentales
– Erreurs de calculs
– Stratégies détournées ou mal adaptées
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Erreurs liées au comportement (lenteur par exemple).
Erreurs liées à la notion.
D’où viennent les erreurs ?
Les erreurs ont plusieurs sources possibles.
Selon la matière étudiée, il existe différents problèmes. Chaque matière, chaque discipline rencontre des difficultés particulières. C’est pourquoi on a créé les didactiques.
J’en profite pour indiquer une distinction. La pédagogie vise à étudier l’enseignement comme un phénomène global. A l’inverse la didactique étudie précisément une discipline (et la manière dont elle est enseignée). On parlera ainsi de la didactique des mathématiques, de la didactique des sciences, etc.
Par conséquent, les erreurs peuvent être liées aux « situations didactiques » de transmission des savoirs. Les erreurs peuvent provenir de la manière dont les activités sont mises en place. A ce stade les professeurs peuvent intervenir puisqu’ils contrôlent cette partie du dispositif. On peut choisir de modifier son activité.
Enfin, la compréhension d’un nouveau phénomène dépend de nos connaissances antérieures. Malheureusement nos connaissances antérieures peuvent nous induire en erreur. Bachelard avait identifié dix obstacles épistémologiques dans son livre La Formation de l’esprit scientifique. Il y a des obstacles dans l’esprit humain.
Exemple. Pendant des siècles on a cru que la rouille était une maladie du fer. Cette explication n’est ni rationnelle ni scientifique, ni vraie. En revanche, cette théorie avait le mérite d’être facilement comprise par tout le monde. On connaissait l’idée de « maladie » et on la « plaquait » bêtement sur ce phénomène pour tenter de l’expliquer.
Ce qu’a fait l’humanité pendant des siècles, chaque humain le refait à son échelle. Les jeunes enfants ont une approche animiste du monde (ils croient que tous les objets sont animés) et mettront un certain temps à concevoir rationnellement le monde. On essaie de comprendre les nouvelles choses à partir des anciennes. Donc si on parle de « l’aire d’un carré », certains élèves sont susceptibles de croire qu’on parle de l’air (atmosphère, ce qu’on respire), de l’air (sympathique, antipathique) ou encore de l’ère (historique).
Pour éviter ce genre de confusion, on demande généralement aux élèves de donner leurs « représentations initiales » (leur vision du phénomène) pour que leur professeur mesure la distance à parcourir entre la vision « actuelle » et la compréhension du phénomène.
Pour aller plus loin :
Amigues R. et Zerbato-Poudou M.-T., Les pratiques scolaires d’apprentissage et d’évaluation, Paris, 1996, Dunod
Bachelard, La formation de l’esprit scientifique
CNDP, Document d’application « Sciences et technologie (cycle 3) »
Reuter Y., Pour une autre pratique de l’erreur, Revue Pratiques n°44, décembre 1984
Roubaud M.N., Reconsidérer l’erreur, Les Cahiers pédagogiques n°438, l’évaluation des élèves, 2005.
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