La mort0

Posted on décembre 10th, 2011 in En terminale

J’imagine facilement la souffrance qui frappe les élèves du lycée. C’est avec beaucoup de tristesse que je ressors des cartons ce cours sur la mort que certaines personnes m’avaient demandé dans un contexte similaire.
 
Parler de la mort n’apise pas la souffrance des gens qui vivent l’expérience de la perte d’un être cher. Mais certaines personnes, en plus d’être accablées par le chagrin, sont assaillies par des questions, par le sentiment d’injustice ou d’incompréhension.
 
Je laisse cet article en ligne pour ceux qui éprouvent le besoin de réfléchir.
 
 
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Par définition, la mort est la fin de la vie. C’est elle qui nous fait apprécier la vie. Si vous n’aviez pas conscience de la mort, vous n’auriez pas conscience de la vie. Si vous n’aviez connu que le jour, auriez-vous connu votre chance de vivre dans la lumière ? A partir du moment où vous avez fait de l’expérience de la nuit, vous comprenez qu’il existe d’un côté la lumière et de l’autre les ténèbres.

De plus, la mort est un repère temporel. En tant qu’elle est l’achèvement de la vie, le point terminal, elle nous indique le « terminus ». Vous êtes capables de comprendre le concept de temps parce que vous sentez le temps qui passe, qui s’écoule inexorablement et qui ne reviendra jamais. La conscience de mourir un jour nous fait apprécier chaque instant.

Si vous étiez immortel, le temps aurait-il la même importance pour vous ?

Parler de la mort

La mort ne se pense et ne se comprend que par rapport à la vie.

Exercice : Quel est le mot pour signifier l’achèvement de ces différents termes ?

L’usure

Pour

Les choses
La fin Le monde
La mort Les vivants

 

La mort, c’est la cessation de la vie. Elle n’est un problème que pour l’Homme qui sait qu’il doit mourir.

Pascal disait que même un roi serait le plus malheureux des hommes s’il n’avait des gens pour le divertir (et l’empêcher de penser à la mort).

Est-ce qu’une pierre a conscience de la mort ?

Est-ce qu’une plante a conscience de la mort ?

Est-ce qu’un animal a conscience de la mort ?

Nous sommes attachés à la vie, aux joies qu’elle nous procure, à ceux que nous aimons, aux biens que nous possédons. Nous sommes surtout profondément attachés à l’être. L’idée de n’être plus, de sombrer dans le néant est pour nous un sujet d’angoisse.

« Le remède du vulgaire, c’est de n’y penser pas » (Montaigne, Essais, livre 1, chapitre 20). Et Montaigne remarque que, depuis l’Antiquité, le mot « mort » donne lieu à des périphrases : plutôt que de dire »Il est mort », les Romains disaient : « Il a cessé de vivre ».

Notre mort est pourtant la certitude la plus absolue concernant notre avenir. C’est donc un sujet qu’il faut aborder lucidement. Il intéresse d’abord la biologie. Quels sont les critères de la mort ? Autrefois, c’était l’arrêt du cœur. Aujourd’hui c’est un encéphalogramme plat pendant 48h. Cela pose des problèmes aux médecins.

Accepter la mort

Le premier mouvement de la Raison c’est d’accepter la mort puisqu’elle est inévitable. C’est à cela que se sont souvent efforcé les sages, en particulier les Stoïciens. Ils conseillent aussi de ne pas faire de cet événement un sujet de terreur, et de ne pas en accroître l’importance par un déchaînement de l’imagination. Dans l’Antiquité, Epicure (autre courant) et Lucrèce se sont appliqués à délivrer les hommes de leurs deux plus grandes craintes, celle des dieux et celle de la mort. La mort et moi ne nous rencontrerons jamais, dit Epicure. Ou j’existe et je ne suis pas mort, ou la mort est là, mais je n’y suis plus.

Dans le même esprit, Montaigne, constatant à quel point la mort laisse désemparés ceux qu’elle prend au dépourvu, recommande de s’y préparer à l’avance et d’y penser souvent. Il suggère aussi d’éviter « les mines effroyables,…les cris…les pleures…Les chambres sans jour et les cierges allumés… » Notre époque a retenu quelques-uns de ces conseils. Elle a considérablement atténué les signes extérieurs du deuil.

Quels sont les signes du deuil en France ?

Dans son œuvre célèbre « Les Thibault », Roger Martin du Gard nous présente un jeune médecin, Antoine, victime de gaz délétères pendant la guerre de 1914. Dans l’hôpital où il attend la mort, Antoine observe son état et le note. L’appréhension de la mort l’étreint. La dernière ligne qu’il écrit est celle-ci : « Plus simple qu’on ne croit ».

Accepter calmement la mort comme un fait qui trouve son explication dans les lois du cosmos, c’est aussi l’enseignement du monisme matérialiste moderne dans ses diverses formes : positivisme, marxisme, doctrines qui se veulent exclusivement scientifiques, celle par exemple, développée par Jacques Monod dans « La Hasard et la Nécessité ». La vie de l’homme est un éclair, parfois très brillant, entre deux éternités de mort.

Question : Pourquoi la vie existe-t-elle uniquement sur terre (à notre connaissance) ? Parce qu’il faut réunir un certain de nombres conditions (improbables)

Dépasser la mort

Cette sagesse pratique et cette résignation sont loin d’avoir raison de la révolte de l’homme contre la mort. D’abord, parce que la mort a souvent un caractère particulièrement scandaleux. « Pourquoi la mort prématurée » ? demandait déjà Lucrèce dans une interrogation passionnée. La mort des enfants a été pour Dostoïevski une grande question. Elle est au fond de la révolte de Camus. En outre, la volonté de vivre, l’attachement à l’être est constitutif de la conscience humaine. Ils ne s’atténuent pas avec l’âge. « Pourquoi suis-je né, si ce n’était pas pour toujours ? » s’écrie le Roi qui meurt, dans la pièce d’Ionesco : Le Roi se meurt. Le « vieillard rassasié de jours » éprouve peut-être une lassitude d’être ici-bas, mais il aspire davantage à rencontrer enfin ce vers quoi il a tendu toute sa vie qu’à l’anéantissement.

Question (difficile) : pourquoi la mort des enfants ? Ils n’ont pas eu le temps de suivre une discipline de vie ou d’accomplir quelque chose.

Est-il donc si sage d’accepter la mort, de s’y résigner ? N’est-elle pas une fausse évidence et ne serions-nous pas invités à réfléchir pour trouver ce qu’elle recouvre ? La mort semble inverser le mouvement de l’évolution qui est orienté vers le progrès et vers le développement. Bergson et Teilhard de Chardin nous ouvrent à ce sujet des perspectives grandioses.

Comment admettre que, de cette évolution triomphante, chacun de nous ne serait qu’un moment périssable ?

Depuis que les hommes existent, ils ont manifesté leur croyance en la survie. Anthropologiquement parlant, la première caractéristique de l’humain est la reconnaissance de la mort et l’organisation de la sépulture. L’homme de Néanderthal enterrait déjà ses morts. L’homme n’abandonne jamais ses cadavres. Il les enterre, il les embaume, il les brûle, mais il accomplit toujours pour eux une cérémonie sacrée. Toutes les civilisations ont affirmé la survie des personnes.

Quel animal s’occupe de ses morts ? Quels sont les rites à notre époque ?

La plupart des grandes philosophies ont soutenu qu’il y avait dans l’homme un principe immortel (voir cours de bioéthique), ce qui, en lui, pense, sent, veut, aime, cherche la vérité et le bien. Parmi eux nous citerons Platon, Descartes, Spinoza, Malebranche, Leibniz, Kant mais aussi Aristote, Saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin, Maine de Biran, Bergson. L’idée commune à ces courants philosophiques fort divers est un dualisme plus ou moins accentué, c’est-à-dire l’affirmation qu’il y a, dans le monde, deux ordres de réalités : la matière et l’esprit, l’univers des corps et celui des âmes. L’âme, immatérielle, subsiste et est, par sa nature, immortelle.

Un autre courant, très ancien, d’origine hindoue, qui s’est ensuite répandu en Chine, au Japon, puis a pénétré en Grèce et au Moyen-Orient, a inspiré l’Orphisme, Pythagore, Empédocle, dans une certaine mesure Platon et, plus totalement Plotin. Ce courant ne reconnaît qu’une seule réalité : l’Un. Le passage au multiple est une dégradation dans la matière. Les âmes, issues de l’UN, sont exilées dans les corps. Par l’ascèse de vie et la discipline de l’intelligence elles méritent de rejoindre la Totalité d’où elles proviennent. L’immortalité des âmes est certaine, mais celles-ci, pour achever de se purifier, sont soumises à des réincarnations. Il n’est donc pas question d’immortalité personnelle. Ces croyances ont subsisté chez les Manichéens et les Cathares. Elles ont influencé le 19e siècle. On en retrouve des traces dans certaines sectes actuellement actives.

Métaphore : Soit vous êtes une goutte d’eau perdue dans l’océan, soit vous êtes un flocon de neige unique.

Les philosophies nourries de pensée chrétienne expliquent le monde en recourant à l’idée de création. Par un acte libre, qui est un acte d’amour, Dieu a créé le monde, tous les êtres vivants et les hommes auxquels il a donné l’être. Ainsi s’explique qu’il n’y ait pas un Être mais des êtres. C’est un don de l’amour du Dieu unique.

Pour Saint Thomas d’Aquin, l’âme est « la forme du corps », c’est-à-dire un principe qui donne l’unité du corps en le structurant, en en faisant un organisme, où toutes les parties dépendent les unes des autres. C’est ce qui fait que le corps de l’homme n’est ni une chose, ni un simple animal, que l’homme est capable de pensée, de vie morale et de liberté. Il est intéressant de noter aujourd’hui que la définition thomiste de l’âme « forme du corps », idée qui a sa source dans la distinction aristotélicienne entre la matière et la forme, prend une signification et une clarté nouvelles en fonction de la théorie de l’information. Le corps de l’embryon humain est programmé dès son origine. Ce cors qui fait partie de la création, est bon comme tout ce que Dieu a fait. Ce n’est pas une prison. Il n’y a pas lieu de la mépriser et d’aspirer à s’en débarrasser. Toutefois, l’âme, qui vivifie le corps, ne partage pas son destin à la mort. Elle est immatérielle et immortelle. Elle jouira d’une immortalité personnelle.

Parmi les philosophes cartésiens, Spinoza, qui n’adhérait pas au christianisme, se distingue. Chaque individu est une expression partielle de Dieu, qui est la substance infinie. A ce titre, il ne songe qu’à persévérer dans son être, à s’épanouir dans la joie. Sa durée est une expression directe de l’éternité divine, sa mort est l’effet de causes extérieures. Comme portion d’étendue, il est périssable, comme idée essentielle il est éternel. Il ne faut donc pas se placer au point de vue de l’individu égoïste et sensible. Le salut spinoziste consiste à nous affirmer dans un amour lié à l’exercice de l’entendement. Au niveau de la vérité et de la pensée divine, al mort n’a plus de sens. Réuni aux autres âmes dans la totalité qui est Dieu, « j’éprouve que je suis éternel ». (Ethique, V, proposition 23 et scolie.)

 

Refuser la mort

La pensée contemporaine ne se satisfait pas de systèmes. Elle fait, de la mort, une approche très concrète, très personnelle. C’est, avant tout, de ma mort qu’il s’agit, et de la mort de ceux que j’aime. Si la mort est l’anéantissement, si ce qu’il y a de meilleur et de plus haut en nous est à la merci de forces aveugles, le monde est, à la fois absurde et scandaleux. La conscience refuse cette absurdité, que Jacque Rivière soulignait après la guerre meurtrière de 1914 : « Parce qu’un petit morceau de fer vous a traversé la tête, il serait devenu impossible de s’entendre avec des gens comme Péguy ou Alain Fournier ? » Georges Dumézil, illustre historien des religions indo-européennes, répondait avant de mourir à quelqu’un qui l’interrogeait sur l’au-delà de la vie : « Ou bien c’est le grand repos ; alors, pourquoi se poser des questions ? Ou bien c’est autre chose : alors je rencontrerai Homère et Virgile ». C’est la vie même qui se trouve dépréciée par le caractère définitif de la mort. Staline le reconnaissait amèrement dans une entrevue avec le général De Gaulle : « A la fin, il n’y a que la mort qui gagne ».

De telles réflexions sont au centre de la pensée du philosophe contemporain Gabriel Marcel. L’espérance est, peut-être, « la substance dont notre âme est faîte ». C’est elle qui oriente nos réactions en face de la mort. Que se passe-t-il alors ? Ce n’est qu’une machine qui cesse de fonctionner. Rationnellement, je ne pourrais affirmer que la mort est un anéantissement que si je pouvais identifier moi et mon corps. Or, si je suis intimement lié à mon corps, je ne suis pas mon corps. Comment puis-je dire que j’ai « perdu » celui que j’aime ? On ne perd que des objets, on ne perd que ce que l’on a. Quand je suis uni à quelqu’un par amour, c’est pour toujours. La mort ne tue pas l’amour. Il dépend de moi de ne pas trahir par l’oubli celui que j’aime, et d’entretenir avec lui une relation intersubjective réelle. L’aimer vraiment, c’est lui dire : « Toi, tu ne mourras pas. » (G. Marcel : Le mort de Demain). La mort est une absence. Elle est un « silence ». Nous ne savons pas ce qu’il recouvre, ce qu’il protège, ce que, peut-être, il prépare ». (R.Troisfontaine : De l’existence à l’Etre). Contre le rationalisme scientiste, Gabriel Marcel trouve des arguments de valeur pour nous faire envisager la mort non comme la fin de tout, mais comme une métamorphose, une autre forme de vie. Il nous met en présence du mystère dans lequel nous baignons (voir, en particulier, Le Mystère de l’être) et souligne ce qu’il y a de philosophiquement fondé dans l’enseignement chrétien : « La vie ne nous est pas enlevée, elle est transformée. »

L’idée de réincarnation exerce sur les esprits contemporains une séduction nouvelle. Nous avons vu ses origines très anciennes. Elle a repris vigueur au 19e siècle, en particulier chez Goethe. Défendue aujourd’hui par le penseur Ernst Bloch, elle a acquis un certain crédit chez les néo-marxistes qui répondent à l’énigme de la mort de l’individu par la thèse de la survie de l’être profond dans l’achèvement de l’histoire. Le moi singulier est négligeable. L’individu meurt. Mais l’existence humaine est indéfinie. La mémoire des vies antérieures est abolie, mais l’être, soumis à des transmigrations successives, ne connait ni commencement ni fin. A un moindre niveau philosophique, on retrouve cette tendance dans un certain nombre de sectes. On aboutit toujours à un sentiment cosmique exaltant de fusion dans l’univers. Mais nous sommes à l’opposé de l’immortalité personnelle. Les trois grandes religions qui fondent leur compréhension de la réalité sur la création refusent la transmigration des âmes, parce que la création implique le caractère bon des réalités singulières et respecte les individualités.

Lectures complémentaires

PLATON, Le Phédon

Saint Augustin, La cité de Dieu, XIV

MONTAIGNE, Essais, livre 1, chapitre XX

JANKELEVITCH : La Mort

DESCARTES : Méditation seconde et Secondes réponses aux objections sur les Méditations

CAMUS : L’homme révolté

 

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