Pensée magique VS la raison: la note au bac
Il existe des croyances du style « ma note au bac dépend des croyances du correcteur ». Ce genre de fadaises fait partie des mythes et des légendes urbaines. Les gens de ma génération avaient des mythes du style « la note d’art plastique est jouée aux dés » ou « les marches d’escalier » mais tout ceci n’est que la représentation d’une pensée magique. Certaines matières comme le dessin, l’histoire, le français ou la philosophie ont l’air totalement opaques (à l’inverse des sciences exactes qui ont le mérite d’être claires). Du coup, certains élèves donnent des explications « magiques » à l’origine de leur note. Je dis « magique » parce que spontanément un humain, placé face à un phénomène qu’il ne comprend pas, va produire une explication facile, une explication magique. C’est exactement ce que faisaient nos ancêtres. Pendant l’Antiquité, on avait un dieu pour expliquer les orages, des mythes pour expliquer nos saisons. Les explications magiques ou religieuses ont fonctionné jusqu’à ce que la philosophie et les sciences viennent les détrôner en expliquant aux humains POURQUOI les phénomènes se produisent. Il en va de même pour les notes. Une note est basée sur des critères objectifs (comme vous le verrez en deuxième partie).
PSYCHOLOGIE
(ceci ne fait pas partie du programme officiel, vous n’êtes pas obligé de lire cette partie et de découvrir les mécanismes du comportement humain)
Vous avez probablement entendu parler des mécanismes de défense : le refoulement, l’annulation, la projection, la rationalisation, l’intellectualisation, la surcompensation, la régression, etc. Mais j’aimerais attirer votre attention sur la théorie de l’auto perception (de Daryl Bem).
Lorsque nous essayons de nous représenter notre propre comportement et de le juger, nous pratiquons la déformation avec maestria. Il existe 3 formes particulièrement intéressantes de déformation :
– L’effet de faux consensus (tendance à se surestimer) : nous pensons à tort que nos opinions et nos comportements, en particulier les plus condamnables, sont partagés par le plus grand nombre : « Tout le monde fait ça ! » Nous avons tendance à voir un consensus en accord avec notre opinion, que celui-ci existe ou non.
Exemples : « Je ne respecte pas le code de la route mais tout le monde fait ça ». « Je prends de la drogue mais tout le monde fait ça ». « Je tiens des propos racistes mais tout le monde le fait au bar ». Pourtant qui peut affirmer, chiffres à l’appui, que tout le monde fait ça ?
– L’effet de faux caractère unique (tendance à sous-estimer) : Certaines personnes ont tendance à croire que leurs problèmes sont si différents de ceux des autres que personne ne pourra vraiment les comprendre. Il s’agit donc de la tendance à sous-estimer la banalité de nos convictions, en particulier les plus louables.
Exemples : « Je suis la seule à me soucier du sort des animaux ». « Je suis le seul à laisser ma place aux personnes âgées dans le tramway ». « J’ai une vraie mélancolie dans mon cœur, personne ne comprend ce que je ressens ». Pourtant si on consulte la littérature française ou le cinéma ou Internet on constate que nos sentiments, nos problèmes ou nos idées ne se limitent pas à notre seule personne.
– Conduites auto-protectrices : Afin de protéger notre ego, nous inventons de nombreuses excuses. En tant qu’humains, nous utilisons ces conduites parce qu’elles sont plus économiques. Cela nous évite de nous remettre en question et n’implique pas de changement de comportement.
Conduites auto-protectrices
1) Biais d’auto-complaisance.
A qui attribuez-vous la cause d’une action ? On appelle « Attribution interne » quand on s’attribue la causalité d’un événement. On appelle « attribution externe » le fait d’expliquer un événement par des causes extérieures à nous. Ainsi un psychologue américain a mené une enquête auprès d’hommes politiques, après les élections. Les hommes politiques qui avaient été élus expliquaient tous leur succès par leurs qualités personnelles : « c’est mon charisme », « c’est ma personnalité », « on a gagné grâce à mon programme ». En revanche, tous les hommes politiques qui avaient échoué expliquaient leur échec par des causes extérieures à eux : « l’adversaire était trop fort », « on n’avait pas assez d’argent pour faire la campagne », « c’est la faute des journalistes si on a perdu », « on a perdu parce que l’adversaire a triché ».
De même à l’école, on retrouve souvent ce genre d’explication. L’élève qui a réussi utilisera des explications du type : « j’ai réussi parce que je suis intelligent » ou « j’ai réussi parce que j’ai beaucoup travaillé ». Un élève qui échoue peut utiliser des explications du type « la maîtresse ne m’aime pas » ou « je n’ai pas eu de chance ».
2) Auto-handicap : lorsqu’on doit passer un examen très difficile (le genre d’examen qu’on est pratiquement sûr de rater même en travaillant), on préfère ne pas réviser du tout. Ainsi, en cas d’échec, on peut se consoler en se disant qu’on n’avait rien fait, ce qui nous évite de remettre nos capacités ou notre intelligence en question. Lorsque nous cherchons des excuses pour expliquer un échec, pour protéger notre estime de soi ou notre image, nous pratiquons l’auto-handicap.
Un autre exemple : l’élève qui passe toute sa nuit à réviser et qui arrive fatigué en classe. S’il échoue il pourra toujours dire qu’il était fatigué. En pleine forme, il aurait réussi. Pour le coup il aurait mieux fait de venir en pleine forme.
3) Attribution au « génie »
Quand on explique les bonnes performances des autres grâce à leurs talents exceptionnels.
Exemple : « Lui il a eu une bonne note mais c’est normal, il est bon en maths ». Il faut se méfier du mythe du « génie ». Certaines personnes sont plus douées que d’autres mais nous ne connaissons aucun sportif, aucun prix nobel, aucun homme politique qui se soit contenté de naître pour réussir. Tous les gens « doués » font des études et travaillent pendant des années pour arriver à quelque chose.
4) Se comparer de manière favorable
On se compare avec des personnes moins bien loties que soi.
Exemple : « Oui j’ai eu que 10 mais machin n’a eu que 8 ».
5) Ne plus accorder d’importance
Un élève qui échoue à l’école, régulièrement, va décider de ne plus accorder de valeur à l’école (pour préserver son égo). C’est une cause classique du désengagement scolaire. Mais nous faisons tous ça. Celui qui n’est pas bon en sport décide que le sport n’est pas important. Tout comme celui qui a du mal à remplir les formulaires administratifs va décider que la bureaucratie est quelque chose d’inutile.
Pourquoi ai-je pris le temps de montrer ça ? C’est pour rappeler que l’humain n’utilise pas toujours sa raison pour analyser objectivement la situation. La première réaction, la réaction spontanée, c’est la pensée « magique ». L’explication invraisemblable mais facile. Il faut faire l’effort de se servir de sa raison pour comprendre comment fonctionnent les choses.
Nous en reparlerons quand nous aborderons la notion de liberté mais il existe une notion contre laquelle se bat la philosophie : le fatalisme. Les gens qui adoptent toujours en permanence des explications magiques n’ont que peu d’emprise sur leur vie. Ils croient qu’il y a un « destin », des « dieux » ou une « force supérieure » qui dirige tout et qu’ils ne peuvent rien y faire à part se plaindre. Les gens qui comprennent le POURQUOI de toute action acquièrent une puissance d’agir sur le monde et, dans une certaine mesure, une certaine maîtrise de leur vie.
De nos jours, la « force supérieure » est incarnée par l’Etat. Mais l’Etat n’est pas une force magique divine. L’Etat est constitué par des hommes et des femmes qui sont élus (d’où l’importance d’aller voter).
Et si vous croyez en l’existence d’un Dieu, qui serait la cause de toute chose, dites-vous que « Si Dieu envoie la maladie, c’est aussi Dieu qui envoie le médecin. » La croyance religieuse n’est pas incompatible (comme voudraient le faire croire les extrémistes) avec le fait de connaître le monde et d’apprendre POURQUOI les choses fonctionnent ainsi.
Maintenant, place au pouvoir de la Raison :
LA NOTE AU BAC DE PHILOSOPHIE
Quels sont les critères « objectifs » ?
Vous ne trouverez pas de barème commun pour tous les professeurs de philosophie car on nous demande de noter « globalement » une copie. Il n’y a pas quatre points et demi pour la pertinence et trois points pour la cohérence. C’est un jugement global. Ainsi une bonne copie, bien rédigée, bien articulée, avec de bonnes références mais qui a un fait un hors-sujet n’aura pas la moyenne.
Toutefois il existe de nombreux critères objectifs qu’on peut suivre pour évaluer une copie de façon neutre. Ce sont les critères que j’utilise quand j’évalue vos exposés. Je vous les présente sous forme de questions afin que vous puissiez vous auto-évaluer :
Comment est mon introduction ?
Le problème est-il clairement identifié ? Est-ce que mon lecteur comprendra la question que je pose ?
Est-ce que j’ai bien pensé à définir les mots-clés du sujet ? Est-ce que je me suis contenté de répéter mécaniquement une définition ? Est-ce que j’ai commencé à réfléchir à ma problématique à partir des définitions ?
IMPORTANT : Le problème est-il problématisé ? Est-ce que j’ai su montrer à mon lecteur pourquoi le problème se posait ? Est-ce que ma problématique (la question finale) semble « tomber du ciel » ou est-ce qu’on voit pourquoi je suis amené à me poser cette question ?
(La technique « bateau » qu’on utilise généralement pour montrer qu’un problème se pose consiste à opposer une thèse et une antithèse. Vous pouvez poser une question et vous montrez qu’un philosophe AAA y répond d’une certaine manière alors que le philosophe ZZZ dit exactement le contraire. Si les deux philosophes ne sont pas d’accord, c’est que la question est plus difficile qu’on ne le pensait. NB : quand on dit qu’un philosophe pense quelque chose, on dit rapidement POURQUOI. Exemple : les empiristes croient que toutes nos idées viennent de l’expérience parce qu’un homme ne peut pas avoir une idée de ce dont il n’a pas fait l’expérience, exemple : un aveugle ne peut avoir l’idée du rouge. MAIS les innéistes pensent le contraire : on possède des idées dont on n’a jamais fait l’expérience : exemple, on ne peut pas faire l’expérience de l’infini et pourtant nous avons cette idée.
Un philosophe n’est pas un magicien. Ses idées ne lui viennent pas d’une source magique. Chaque philosophie a des fondements. Chaque thèse est construite sur des fondements, sur des arguments. En mathématiques on n’invente pas la réponse, on la démontre. En philosophie c’est pareil.)
L’annonce du plan (si vous le faîtes) est-elle cohérente ? Est-ce que mon lecteur risque de deviner ma réponde finale rien qu’en lisant mon introduction ?
Première partie (thèse A)
Est-ce que la thèse défendue dans cette partie est clairement identifiable ?
Est-ce que l’élève est hors-sujet ? Est-ce que l’élève commet des contre-sens ? (je vous accorde que c’est difficile de s’auto-évaluer sur ce point mais votre correcteur ne vous loupera pas sur ces points)
Les arguments sont-ils identifiables ? Sont-ils clairs ?
Les arguments sont-ils illustrés par un exemple ? Lees exemples sont-ils pertinents (adaptés au sujet) ?
Est-ce que l’élève suit des articulations logiques ? Est-ce qu’il saute du coq à l’âne ?
Si on lit une copie dont les différentes parties semblent totalement détachées, on se doute que l’élève récite des connaissances. Si vous voulez montrer que vous avez une réflexion personnelle, montrez à votre correcteur POURQUOI vous avez besoin d’une partie supplémentaire. Vous ne faîtes pas ça pour allonger la copie ou noircir du papier, vous ajoutez une partie parce qu’il y a un aspect du problème qui n’a pas été vu ou parce qu’il y a un contre-exemple qui vient ébranler la thèse précédente.
L’élève a-t-il compris les notions utilisées ?
Si vous choisissez de recopier une citation ou d’utiliser la doctrine d’un philosophe vu en classe (Platon, Lucrèce, Averroès, Descartes, Kant, etc.) ne donnez pas l’impression de faire du « copier-coller ». Vous devez expliquer à votre correcteur le sens de la citation (cela montre que vous avez parfaitement compris) et ensuite montrer ce que cela apporte à votre réflexion (je n’ai pas cité cet auteur pour montrer que j’ai de la culture, je l’ai cité parce qu’il apporte un élément de réflexion qui va faire avancer mon problème).
Deuxième partie (thèse B, souvent opposée à la thèse A)
Est-ce que la thèse défendue dans cette partie est clairement identifiable ?
Est-ce que l’élève est hors-sujet ? Est-ce que l’élève commet des contre-sens ? Les arguments sont-ils identifiables ? Sont-ils clairs ?
Les arguments sont-ils illustrés par un exemple ? Lees exemples sont-ils pertinents (adaptés au sujet) ?
Est-ce que l’élève suit des articulations logiques ? Est-ce qu’il saute du coq à l’âne ?
Si on lit une copie dont les différentes parties semblent totalement détachées, on se doute que l’élève récite des connaissances. Si vous voulez montrer que vous avez une réflexion personnelle, montrez à votre correcteur POURQUOI vous avez besoin d’une partie supplémentaire. Vous ne faîtes pas ça pour allonger la copie ou noircir du papier, vous ajoutez une partie parce qu’il y a un aspect du problème qui n’a pas été vu ou parce qu’il y a un contre-exemple qui vient ébranler la thèse précédente.
L’élève a-t-il compris les notions utilisées ?
Si vous choisissez de recopier une citation ou d’utiliser la doctrine d’un philosophe vu en classe (Platon, Lucrèce, Averroès, Descartes, Kant, etc.) ne donnez pas l’impression de faire du « copier-coller ». Vous devez expliquer à votre correcteur le sens de la citation (cela montre que vous avez parfaitement compris) et ensuite montrer ce que cela apporte à votre réflexion (je n’ai pas cité cet auteur pour montrer que j’ai de la culture, je l’ai cité parce qu’il apporte un élément de réflexion qui va faire avancer mon problème).
Troisième partie ???
Si vous vous contentez d’opposer une thèse et une antithèse vous risquez d’aboutir à une contradiction. Or vous ne pouvez pas finir sur une contradiction. C’est pourquoi je conseille une troisième partie (mais vous pouvez le faire dans la conclusion si vous ne vous sentez pas de faire une troisième partie). Dans la troisième partie vous tentez de dépasser le « oui/non » apparent. Montrez à votre correcteur que vous avez réfléchi. Vous n’êtes pas l’homme de la rue qui répond bêtement « oui » ou « non » ou « ça dépend ». Vous avez compris le problème. Vous savez pourquoi les gens disent « oui », vous savez pourquoi les gens disent « non » mais vous êtes capable de penser par vous-même, vous êtes capable de trouver une troisième réponse.
Conclusion
Donnez une réponse au problème posé. Donnez une réponse claire au problème posé. A ce stade, on ne veut pas lire un vague « ça dépend », il va falloir se montrer précis. Vous pouvez rapidement récapituler les étapes de votre argumentation mais l’important est de donner une réponse. Il est déconseillé de finir sur une question. En français, on vous demandait de finir sur une ouverture. En philosophie, on vous demande une réponse claire.
Exemple de dissertation :
« Toutes les opinions sont-elles respectables ? »
Exemple d’élèves qui ne réfléchissent pas : oui / non / ça dépend
Exemple d’élève qui réfléchit : j’ai montré à mon correcteur pourquoi les opinions de chacun étaient respectables (liberté d’expression, chaque homme est censé détenir la raison, etc.) et j’ai montré pourquoi certaines opinions n’étaient pas acceptables (les propos haineux ou infondés risquent de déchirer la société, les propos anti-démocratiques veulent abolir notre liberté d’expression, etc.). J’en conclus que toutes les opinions sont respectables parce que XYZ mais qu’il nous faut interdire les opinions PZT parce que KMN.
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