Spinoza: l’erreur vient-elle des sens ou du jugement ?0
[…] quand nous fixons le soleil, nous l’imaginons à une distance d’environ deux cents pieds de nous, erreur qui ne consiste pas dans cette seule imagination, mais dans le fait que, tandis que nous l’imaginons ainsi, nous ignorons sa vraie distance et la cause de cette imagination. Car, même si plus tard nous savons qu’il est à une distance de nous de plus de 600 diamètres de la terre, nous n’en continuerons pas moins à l’imaginer proche de nous ; car, si nous imaginons le soleil si proche, ce n’est pas parce que nous ignorons sa vraie distance, mais parce qu’une affection de notre Corps enveloppe l’essence du soleil, en tant que le Corps lui-même est affecté par lui.
SPINOZA, Ethique, IIe partie, proposition XXXV, scolie
Descartes: le morceau de cire0
La perception d’une chose est un jugement Continue Reading
Sextus Empiricus: on se fie quand même aux sens0
Ceux qui disent que les sceptiques rejettent les choses apparentes me semblent ne pas avoir écouté ce que nous disions. Ce qui nous conduit à l’assentiment sans que nous le voulions conformément à une impression passive, nous ne le refusons pas, comme nous l’avons dit plus haut. Or c’est cela les choses apparentes. Mais quand nous cherchons si la réalité est telle qu’elle apparaît, nous accordons qu’elle apparaît, et notre recherche ne porte pas sur ce qui apparaît mais sur ce qui est dit de ce qui apparaît. Or cela est différent du fait de faire une recherche sur ce qui apparaît lui-même. Par exemple, le miel nous apparaît avoir une action adoucissante. De cela nous sommes d’accord, car nous subissons cette action adoucissante par nos sens. Mais, de plus, s’il est doux, pour autant que cela ne découle pas de l’argument précédent, nous continuons de le chercher : ce n’est pas la chose apparente mais quelque chose qui est dit de la chose apparente. Si nous proposons des arguments directement contre les choses apparentes, nous ne proposons pas ces arguments dans l’intention de rejeter les choses apparentes, mais bien pour montrer la précipitation des dogmatiques.
SEXTUS EMPIRICUS, Esquisses pyrrhoniennes, I, §19-20
Sextus empiricus: les sens ne peuvent juger des objets extérieurs0
En fait la vue, même dans son état naturel, dit de la [même] tour tantôt qu’elle est ronde, tantôt qu’elle est carrée ; le goût dit des mêmes aliments qu’ils sont déplaisants dans le cas de gens rassasiés et agréables dans le cas de gens affamés ; de même, l’ouïe saisit le même son intense pendant la nuit et assourdi pendant le jour ; à l’odorat il semble que les mêmes choses sont malodorantes pour la plupart des gens et ne le sont pas du tout pour les tanneurs ; et le même toucher nous donne une impression de chaleur quand nous entrons dans un établissement de bains par la galerie et de froid quand nous en sortons. C’est pourquoi, puisque les sens entrent en conflit entre eux même quand ils sont dans un état naturel, et que leur désaccord est indécidable, et puisque nous ne possédons pas de critère pour les juger sur lequel on soit d’accord, il s’ensuit nécessairement les mêmes difficultés. […] Il n’est donc sans aucun doute pas vrai que le sens seul puisse juger des objets extérieurs.
SEXTUS EMPIRICUS, Esquisses pyrrhoniennes, II, §54-56
Platon: le corps tombeau de l’âme0
SOCRATE ― […] Le corps fait-il, ou non, obstacle, quand, poursuivant une recherche, on s’avise de l’y associer ? Je veux dire à peu près ceci : la vue, ou encore l’ouïe, comportent-elles pour les hommes une vérité quelconque ? Ou, au moins, est-ce que cela ne se passe pas comme même les poètes ne cessent de nous le rabâcher : nous n’entendons rien, ne voyons rien avec exactitude ? Or, si parmi les perceptions du corps, ces deux-là ne sont ni exactes ni claires, ne parlons pas des autres. Car elles sont justes, j’imagine, plus imparfaites que celles-là. N’est-ce pas ton avis ?
SIMIAS ― Si, tout à fait, dit-il.
― A quel moment, donc, dit Socrate, l’âme saisit-elle la vérité ? Chaque fois en effet qu’elle se sert du corps pour tenter d’examiner quelque chose, il est évident qu’elle est totalement trompée par lui.
― C’est vrai.
― Alors ? N’est-ce pas dans l’acte de raisonner, et nulle part ailleurs, qu’en vient à se manifester à elle ce qu’est réellement la chose en question ?
― Oui.
― Et, je suppose, l’âme raisonne le plus parfaitement quand ne viennent la perturber ni audition, ni vision, ni douleur, ni plaisir aucun ; quand au contraire elle se concentre le plus possible en elle-même et envoie poliment promener le corps ; quand, rompant autant qu’elle en est capable toute association comme tout contact avec lui, elle aspire à ce qui est ?
― Oui c’est ainsi.
PLATON, Phédon, 65a-b
