Chronique n°19: Anatomie du cauchemar0
Anatomie du cauchemar, anthologie d’horreur publiée par les éditions House of Made Dawn, 2013
La jeune maison d’édition House of Made Dawn démarre avec une première anthologie d’horreur illustrée par Cyril Pi R.
Déjà le fichier pdf annonce 426 pages. Cela me paraît un peu gros. C’est la taille d’un bon roman, pas d’un recueil de petites nouvelles. J’étais sceptique au départ. Allais-je trouver la motivation de tout lire ? Je suis un gros lecteur, je descends rapidement les pavés quand je suis motivé mais quand on doit jongler avec le travail et la vie privée, on n’a pas forcément le temps de tout lire (et tous ceux dont la table de chevet et/ou la liseuse sont encombrés m’ont compris). J’ai fini l’anthologie en trois jours. Chaque auteur a choisi une branche bien particulière de l’horreur (slasher, folie, monstre fantastique, magicien maléfique, nuit noire, etc.) et s’est tenu à son style. Les références aux films et aux livres d’horreur sont palpables. La lecture est agréable, mais je vous laisse en juger…
Arctique par David Coulon
Je le dis souvent : ce n’est pas évident de démarrer une anthologie. L’éditeur doit choisir avec soin la nouvelle qui ouvrira le bal et donnera le ton. Choix étrange : la première histoire ne comporte pas d’élément surnaturel. On est plus dans l’horreur « psychologique ». C’est un peu gênant. Quand vous allez au cinéma, vous avez le choix entre deux types de films d’horreur. Dans les premiers, des personnes plus ou moins innocentes se font décimer par des créatures surnaturelles (vampires, loups-garous, zombies, fantômes japonais, etc.) Le spectateur balise quatre-vingt-dix minutes puis revient à la réalité. Ouf ! Mon appartement et ma télévision sont toujours là. Pas de monstre sous le lit. On joue à se faire peur. Dans les seconds, la menace est humaine et donc plus crédible. Hannibal pourrait être votre voisin. On s’inquiète avant et après (il paraît que maintenant, avec l’omniprésence des séries policières à la télé, les enfants développent de nouvelles phobies liées aux serial killers). Tout humain peut craquer et devenir un monstre. C’est bien plus inquiétant. Une amie m’a raconté un jour que lors de son premier amphi de psycho, l’enseignante a débuté en disant « nous sommes tous psychotiques ».
L’histoire commence normalement avec un couple en bout de course qui cherche un second souffle. Mais on sent dans la narration que les pensées du personnage principal sont de plus en plus déstructurées. L’escalade dans la violence conduit rapidement à la perte du contact avec la réalité.
Un joli petit coin par David Miserque
David Miserque m’a déjà bien fait rire dans le dernier numéro d’Absinthe avec son tour de magie. Du coup, je suis intrigué de le trouver dans un registre sombre.
On commence avec une voiture perdue au milieu de nulle part. Du propre aveu de l’auteur, c’est un grand classique. Au-delà de King et de Masterton, je pense que la moitié des films d’horreur et des épisodes de Supernatural commencent de cette manière mais c’est bien humain. Quoi de plus inquiétant que de se retrouver perdu au milieu de nulle part ? N’est-ce pas la peur primale de l’humain égaré dans la nature et cerné de bêtes féroces ?
La nouvelle est archi-classique dans sa construction mais elle est très bien écrite. L’auteur joue avec le second degré. C’est tout à fait le genre de scène qu’on attendrait d’un bon film d’horreur au cours des quinze premières minutes. Comme il s’agit d’une nouvelle et que l’auteur laisse une fin ouverte on est libre d’imaginer ce qui va suivre…
Colère noire de Thomas Baronheid
L’idée des mineurs piégés avec un monstre rappelle une triste actualité ainsi qu’un film d’horreur (le remake de Mortelle St-Valentin il me semble). Depuis The descent, les réalisateurs ont semble-t-il redécouvert l’intérêt de la claustrophobie. Nul besoin de tuer un personnage par minute quand le simple fait de respirer terrifie le spectateur. Le choix du lieu par l’auteur est sacrément pertinent pour une nouvelle d’horreur.
On se demande pendant un moment si le fameux diable des mines n’est qu’une hallucination. Finalement, je trouve que c’est le décor qui marque le lecteur, davantage que les personnages.
L’abomination dans l’assiette de Henri Bé
Parodie de Lovecraft. L’auteur a choisi de raconter une histoire située aux Etats-Unis (logique) mais c’est étrange de constater que de nombreuses nouvelles horrifiques du recueil prennent place à l’étranger.
Le pastiche est réussi. L’auteur a su retrouver le style de Lovecraft en le transposant à notre époque.
L’amour écorché par Cindy Paillet
Un manoir hanté au sein d’une dense forêt, un jour de pluie. A priori, le décor est encourageant. L’auteur a choisi un héros anonyme, ce qui est finalement aussi inquiétant.
Je trouve la construction de l’histoire bien dosée. On progresse par paliers. L’auteure ne joue pas sur le gore ou les taches de sang. Elle crée une atmosphère. Elle joue avec les histoires et le décor.
Petites pensées métaphysiques de David Coulon
On part d’un questionnement métaphysique et on poursuit avec des expériences sadiques.
J’aime assez le style qui me rappelait assez celui de Métaux lourds. Et pour une raison que j’ignore la série d’expériences a fait remonter de mes souvenirs une scène de la série The Shield dans laquelle un inspecteur étrangle un chat pour essayer de comprendre ce qui peut motiver un tueur. Le personnage de la nouvelle semble porté par ce type de désir malsain au carré.
La nouvelle a le mérite de posséder aussi une fin inattendue.
Nous chanterons sous le soleil de Colin Manierka
Un bon western. Cela me rappelle un peu les nouvelles de western de Robert Howard. Le cheminement de l’histoire m’a beaucoup plu : l’enchaînement est imprévisible mais cohérent.
En boucle dans la vallée par Aleister K
Un couple revient d’une soirée ennuyeuse et passe par une forêt dont ils ne sont pas sûrs de ressortir.
Ici l’horreur prend une tournure résolument magique et fantastique. L’angoisse construit dans le décor.
Zombies et mescaline par Damien Buty
La nouvelle est en réalité un chapitre d’un roman en cours de co-écriture donc si vous aimez cet épisode, il y a fort à parier que vous voudrez lire l’aventure intégrale des quatre survivants de ce monde post-apocalyptique.
L’histoire est plus dans le délire humoristique que dans l’horrifique même si on se paye de bonnes tranches de zombies et de coins glauques. L’auteur nous offre encore quelques clins d’œil à Lovecraft savamment disséminés.
Les voleurs de vie de Christophe Semont
Expédition dans une jungle latine. Le décor et l’équipe me faisaient beaucoup penser au premier Predator, Schwarzenegger en moins.
J’ai bien aimé cette nouvelle. Pour une fois, les humains réagissent au lieu d’attendre bêtement de se faire décimer par les monstres. On est plus dans le récit d’aventure.
Habla bien de Aca par Damien Buty
Il me semble qu’il s’agit de la nouvelle la plus longue du recueil, presque cent pages sur mon pdf. Histoire conséquente.
Un ancien des forces spéciales. Des marabouts. Plein de magie. J’adore. Jolie guerre magique. On va de révélation en révélation comme un bon thriller. Assez peu d’horreur, l’histoire prend une tournure action.
J’étais sceptique en lisant le titre mais j’ai lu cette novella d’une traite. A mes yeux (et c’est un jugement purement subjectif) c’est la meilleure histoire de l’anthologie. L’horreur est assez peu présente mais l’intrigue est vraiment prenante.
Lune rousse de Romano Vlad Janulewicz
On s’attend à une histoire de loup-garou mais l’histoire embraye assez vite sur celle d’une femme battue. Je n’ai pas aimé cette nouvelle à cause du dénouement mais je reconnais la qualité d’écriture de la nouvelle. La tension est subtilement amenée. Même si on devine ce qui va arriver, l’humanité des personnages fait ressortir l’horreur du drame.
Le puits a faim par Renaud Ehrengardt
La dernière nouvelle a été écrite par le directeur général de la maison d’édition qui publie cette anthologie. Si je devais deviner… je dirais que c’est un grand fan de l’horreur.
Un vieux couple se retire à la campagne dans une étrange maison dont le sous-sol obscur est occupé par un puits scellé.
Je dirai juste « flippant ». Finalement on conclut l’anthologie sur un petit frisson. C’est très Stephen King dans le traitement. Les choses ont presque l’air « normales » jusqu’au bout.
Je termine avec un petit mot sur l’anthologie. Je ne sais pas si vous êtes du genre à rester dans la salle de cinéma après la fin du film. Certains fanatiques veulent lire tous les noms du générique. Parfois, le monteur a gardé un petit bêtisier et parfois on attend dix minutes pour voir une scène inintéressante de dix secondes. Mais quand il s’agit d’horreur, que faîtes-vous ? Préférez-vous rester dans l’obscurité ou voulez-vous rejoindre la lumière le plus vite possible ?