Nietzsche: Pourquoi vouloir ne pas tromper ?0

Posted on novembre 23rd, 2012 in En terminale

La volonté de vérité, une volonté de mort ?

« Donc la foi dans la science, cette foi qui existe en fait d’une façon incontestable, ne peut avoir son origine dans un calcul utilitaire ; elle a dû se former au contraire malgré le danger et l’inutilité de la « volonté de vérité », malgré le danger et l’inutilité de la « vérité à tout prix », danger et inutilité que la vie démontre sans cesse. (Vérité « à tout prix » ! Nous savons trop bien ce que c’est, nous ne le savons hélas que trop, quand nous avons offert sur cet autel, et sacrifié de notre couteau, toutes les croyances, une à une !)

« Vouloir la vérité » ne signifie donc pas « vouloir ne pas se laisser tromper », mais, – et il n’y a pas d’autre choix- : « vouloir ne pas tromper les autres ni soi-même », ce qui nous ramène dans le domaine moral.

Qu’on se demande sérieusement en effet : « Pourquoi vouloir ne pas tromper ? », surtout s’il semble – et c’est bien le cas ! – que la vie soit montée en vue de l’apparence, j’entends qu’elle vise à égarer, à duper, à dissimuler, à éblouir, à aveugler, et si, d’autre part, en fait, elle s’est toujours montrée sous son plus grand format du côté des fourbes (polytropoi) les moins scrupuleux ? Interprété timidement, ce dessein de ne pas tromper peut passer pour donquichotterie, petite déraison d’enthousiaste ; mais il se peut qu’il soit aussi quelque chose de pire : un principe destructeur ennemi de la vie… « Vouloir le vrai » ce pourrait être, secrètement, vouloir la mort. »

Nietzsche, Le Gai Savoir (1881-1887), § 344, trad. A. Vialatte

 

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