Le bac par Simon Perrier0
Je reproduis ci-dessous un article de Simon Perrier (président de l’association des professeurs de philosophie).
On gagne beaucoup d’auditeurs ou de lecteurs avec le baccalauréat, et sans doute beaucoup d’argent, ce qui n’est pas un mal en soi, sinon qu’on se joue ici de l’anxiété des candidats et qu’on développe en même temps un désintérêt grandissant pour ce qu’il s’agit d’apprendre. Bachoter n’est pas nouveau et peut être nécessaire, mais tend à devenir la forme unique du travail. Un marché de cours de « révisions » va croissant, proposant de « réviser » sans avoir eu besoin d’apprendre. Sites, blogs ou magazines apportent chacun leur contribution. L’arrivée en librairie de petits livres qui se vantent de vous donner tout ce qu’il faut savoir, lance chaque année, pour toutes les disciplines, la grande braderie du bac : quelques pages, quelques conseils, quelques trucs, dont toute la valeur vantée est qu’il suffit d’en faire une application mécanique pour être assuré de réussir.
La philosophie, sans exclusivité, est une des cibles d’un tel commerce. Elle paie sans doute sa prétention à résister à toute procédure qu’il suffirait de reproduire pour réussir. Alors viennent de partout les recettes. Toute l’année scolaire, par exemple, seront publiés des corrigés dont beaucoup font d’une dissertation un catalogue de citations empilées. C’est plus facile pour leur auteur et cela donne l’impression aux élèves qu’il leur suffira d’apprendre par cœur et de répéter. Il s’agit de vendre, et si l’on veut vendre il faut plaire, donc proposer la facilité. Plus encore : à quoi bon prendre en note toute l’année un cours, faire l’effort de le relire, de le comprendre, quand on vous vend en très peu de pages, notion par notion, c’est-à-dire à l’opposé de ce qu’exige le programme de philosophie, l’essentiel des idées qu’il suffira de répéter, et de même les citations qu’il faudra apprendre par cœur et « placer » ici ou là pour faire savant. La prise de notes qu’exige un cours est ainsi dévaluée en étant abusivement assimilée à un travail de copiste. Bien faite, elle est pourtant l’acte d’un élève qui s’efforce de reproduire ce qu’il entend, a compris ou cru comprendre, se l’assimilant en l’écrivant, découvrant ce qu’il n’a en réalité pas compris dans son impuissance à le rendre clairement ou à en retrouver le sens quand il se relit. Il peut ainsi y revenir, questionner, et peu à peu s’approprier un savoir qui devient le sien. Mais quelques euros vous épargneront cet effort. Ajoutez-en encore quelques autres et l’on vous dira, mieux que Mme Irma ou que votre horoscope, quels sont les sujets à venir. Il n’y a plus d’élèves mais seulement des clients.
Ce marché qui se dit d’aide aux élèves suppose implicitement que l’école ne dispense pas l’utile. Elle manque d’efficacité puisqu’elle ne garantit pas le résultat et prétend même le faire dépendre autant de vous que d’elle. La vérité sur ce qu’il faut faire est sur Internet, à la télévision, à la radio, dans des magazines, pas à l’école, pas dans la parole des professeurs, sauf s’ils sont « blogueurs » et mettent à votre disposition un savoir tout fait. Le label « vu à la T.V. », à peine renouvelé ou adapté, fonctionne à plein, contribuant à une inquiétante dévalorisation de la relation pédagogique. La parole vivante du professeur qui élabore le savoir devant vous, avec vous, vous exerce à une appropriation qui ne sera pas mémorisation passive, est ainsi perdue.
Curieusement, l’importance de ce marché s’accroît en proportion d’une réussite de plus en plus assurée pour celles et ceux qui parviennent en Terminale. Au fur et à mesure des pourcentages qui montent et dont les ministres se vantent, la conscience est devenue commune que le bac n’est plus qu’un « examen pour tous », une sorte de certificat de fin d’études, et moins que jamais le premier grade universitaire qu’il est censé être. L’échec est donc à la fois humiliation et perte de temps insupportables, d’où le curieux mélange chez beaucoup d’élèves d’une hyperanxiété et d’une paresse, indifférence personnelle à tout ce qui est enseigné, mais qu’on veut bien ingurgiter à condition d’une rentabilité immédiate. À quoi bon tenter de se cultiver, de faire l’effort de comprendre, de développer sa sensibilité ? Tout porte à penser que le savoir est en lui-même inutile, simple instrument d’une formalité légalement obligatoire. Et puisque certains proposent de vous vendre le bac à bon marché, à la manière d’indulgences, autant payer.
Qu’on ne s’y trompe pas, d’excellents livres existent, d’excellentes émissions aussi, d’excellents sites ou blogs, qui s’adressent aux débutants, lycéens ou non et peuvent servir de points d’appui. Il n’en reste pas moins que ce commerce du bac est à la fois le symptôme et l’agent d’une perte de crédibilité de l’école, d’un utilitarisme grandissant, bachotage infernal et stérile, simulacre d’un vrai travail scolaire. Quantitativement, les élèves qui sont pris à ce piège travaillent, par périodes, énormément. L’arrivée au lycée d’un enseignement par compétences, dès l’année prochaine en Seconde, la volonté politique, revendiquée, de développer « culture du résultat » et « de la performance » ne feront qu’accroître ce processus.
Cela dit, si difficile qu’il soit d’affronter la concurrence de ce commerce de la réussite, illusoire à long terme, bien des élèves y échappent heureusement encore. Si la philosophie est une discipline qu’on peut avoir plaisir à enseigner, c’est qu’ils y trouvent alors souvent, quel que soit le travail que cela implique, un tout autre rapport à l’école.
Simon Perrier
Professeur de philosophie, Président de l’association des professeurs de philosophie (APPEP)
Commentaire: Justement! Concernant la question des chiffres, nous nous sommes penchés sur la question. Christian Godin (l’agrégé qui dirige la série « La philosophie pour les nuls ») annonce une moyenne nationale à 8. D’après les derniers rapports consultés, la moyenne serait montée à 9 ces 3-4 dernières années.
A vrai dire ce n’est guère étonnant. Les annales vendues dans le commerce auraient à peine 12-13 au bac. Si les élèves se content de ça, ce n’est pas étonnant que les notes soient si basses. Si un élève veut obtenir une bonne note, quel que soit le correcteur, il doit maîtriser la méthodologie (par un entraînement régulier) et toutes les connaissances de l’année. On ne pense pas avec du vide.
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