Bilan: de la probabilité de réaliser ses rêves0
Bilan
De la probabilité de réaliser ses rêves
Bilan
A l’occasion du premier anniversaire de la page facebook « auteur », j’ai décidé de dresser un bilan de ces 12 mois d’aventure. Dans ma jeunesse, je m’étais déjà essayé à des fanfictions mais sans prétendre au statut de professionnel. En me lançant dans l’écriture de nouvelles et dans le monde de l’édition, j’espérais réaliser un vieux rêve mais j’étais loin d’imaginer tout ce qui allait m’arriver.
J’ai écrit 99 nouvelles.
Avec la philosophie et la littérature, une trentaine de textes ont été retenus pour publication, avec les résultats que vous connaissez.
C’est à la fois exceptionnel et insuffisant.
D’un côté, je suis extrêmement heureux. Je m’étais fixé comme objectif de décrocher une publication. Nous sommes nombreux à caresser le rêve de pouvoir lire notre nom sur la couverture d’un livre, ce qui conduit parfois des entreprises malhonnêtes à profiter de la crédulité des gens (mais nous y reviendrons). Pour ma part, je voulais y arriver de manière parfaitement honnête, à la sueur de mon front. Sartre considérait que chacune de nos actions avait valeur d’exemple. Je ne suis pas forcément partisan de cette thèse mais j’en comprends la logique : quand un humain se dit qu’il va réaliser ses rêves et qu’il s’en donne la peine, il dit à toute l’humanité « Hé ! Regardez ! Je l’ai fait, c’est possible ! ». L’humanité forme une grande chaîne de l’espoir depuis des siècles, chaque maillon inspirant les autres.
Ce bilan est exceptionnel. J’en ai discuté avec de nombreuses personnes qui connaissent mieux le milieu de l’édition que moi et visiblement ce résultat est inespéré pour un débutant. Apparemment, en France, la moitié des livres publiés sont vendus à moins de 300 exemplaires. Il n’y a qu’un ou deux % des auteurs qui peuvent vivre de leur plume. Je pense que la chance a également joué.
D’un autre côté, ce résultat est insuffisant au sens où je ne risque pas d’envisager une carrière d’écrivain. Certes, le résultat a dépassé toutes mes espérances. Par moments, il m’arrive encore de me demander si tout ça est réellement arrivé ou si j’ai rêvé. Et pourtant, j’ai bien conscience que l’écriture n’est pas une voie rentable et que par conséquent, on ne peut pas en vivre. Comme expliqué plus haut, la moitié des livres vendent moins de 300 exemplaires. Imaginez un écrivain qui a sacrifié une année d’efforts pour pondre son bébé et qui en retire à peine de quoi régler un mois de loyer (et je dis ça pour ceux qui comme moi habitent à la campagne). C’est un peu dur. S’il n’y a qu’un unique pour cent des écrivains français qui vivent de leur travail, je trouve légèrement prétentieux (ou follement courageux) de se lancer dans l’écriture.
Ceci m’amène à poser une problématique générale qui me turlupine depuis des années : peut-on réaliser ses rêves ? Et peut-on vivre de ses rêves ? Ou de sa passion ?
La génération Icare
J’appartiens à une génération d’Icares, de rêveurs aux ailes carbonisées par le feu de la réalité. Combien de personnes ont grandi avec des aspirations pour découvrir que la vie les avait piétinées ? Je prends le temps de rédiger cet article parce que j’ai eu souvent, voire des centaines de fois, cette conversation avec des gens de 20-40 ans. Dans une certaine mesure, je suis inquiet d’avoir entendu si souvent la même histoire.
Le jeune Icare a travaillé à l’école. Il a obtenu son bac avec mention puis sa licence avec mention puis l’idéaliste est rentré dans un master professionnel ou dans une école spécialisée. En parallèle de ses études, Icare a vécu pleinement sa passion (cinéma, littérature, musique, photographie, jeu vidéo, équitation, théâtre, etc.), y consacrant ses soirées, ses week-end et parfois ses vacances. Au final, après avoir brillamment décroché le diplôme de son école, Icare a travaillé dans le domaine qui le faisait rêver depuis tout petit. Les premiers jobs présentaient des difficultés et souvent un faible salaire mais, porté par la passion, le jeune a insisté. Parfois, il est allé jusqu’à travailler gratuitement. Icare a fait des efforts en pensant qu’un jour il serait récompensé mais un beau jour il s’est réveillé en constatant que son compte en banque battait des records de spéléologie. Au pôle Emploi, on a expliqué à Icare qu’il n’avait pas droit au régime d’intermittent (ou s’il l’a eu, on lui a expliqué qu’il l’avait perdu). Dégoûté, Icare a quitté Paris pour retourner dans sa région où il a pris un autre poste, qui lui permet de vivre.
Vous vous reconnaissez dans cette description ? Ou vous reconnaissez un membre de votre entourage ?
Que faut-il en penser ? Sommes-nous une génération « désenchantée » ? (Marcel Gauchet si tu nous regardes…) Est-ce la faute de la « crise » ?
La « crise »
Premier point : Il arrive souvent que des élèves me disent « Mais, Monsieur, à votre époque, ça n’existait pas le chômage ». Alors pour information, je n’ai pas grandi dans les années 50 donc « non, le chômage existait déjà à mon époque ». Ce phénomène est apparu dans les années 70 suite à la première crise de l’énergie (mais je vous renvoie aux livres d’histoire et d’économie pour expliquer comment la hausse du coût de l’énergie a entraîné de profondes mutations de la société). La grande nouveauté à laquelle ma génération n’était pas préparée était la « crise ». Le mot semble galvaudé et me paraît utilisé à toutes les sauces mais quand les copains, ingénieurs, BAC+5, vous expliquent qu’ils doivent partir au Canada ou en Angleterre pour continuer à travailler, vous comprenez que ce n’est pas qu’un effet d’annonce des journalistes (ou un prétexte pour augmenter nos impôts). On vit dans une période différente de celle de nos parents ou de celle de nos grands-parents.
J’ai un « vrai » travail
Deuxième point : on me parle souvent de « job alimentaire ». Ou, souvent, nous employons l’expression « vrai travail ». Cela ne signifie pas qu’il existe de « vrais » statuts honorables et de « faux », comme si les artistes étaient forcément tous des escrocs qui simulent le travail. J’utilise parfois cette expression quand je me présente : « dans la vie, j’ai un vrai travail ». Techniquement, c’est une faute de langage mais on se comprend. Dans le cas des écrivains, si 99% d’entre eux ne vivent pas de leur plume, ils ont forcément un autre travail qui leur permet de subvenir aux besoins de leur famille. Ce n’est pas un « vrai » travail. Tous les métiers sont « vrais ». L’art étant souvent considérée comme une rêverie inutile, et peu rentable, se trouve souvent reléguée au statut de passion. Or l’art nécessite une technique et des efforts pour produire un résultat de qualité et à ce titre il est un travail comme un autre qui ne mérite pas le mépris.
« Job alimentaire »
Troisième point : je n’apprécie pas non plus le terme de « job alimentaire ». Certes, je comprends bien que certaines personnes sont contraintes, pour vivre, d’accepter un poste qui n’a peu de lien avec leur passion. Mais on ne peut réduire un métier à son statut « alimentaire ». Cela reviendrait à dire qu’on travaille uniquement pour l’argent. C’est peut-être le premier motif mais le travail sert aussi à développer nos qualités, à interagir avec le monde et à vivre dans la société. En ce sens, le travail permet la vie (et pas seulement la survie). Je pense qu’il ne faut pas déconsidérer certains métiers. Quand j’étais étudiant, j’ai travaillé six années comme animateur en colo. J’ai nettoyé un paquet de vomis d’enfants. Ce n’était pas glamour, ce n’était pas bien payé, mais c’était formidable pour travailler et développer mes facultés (je précise ma spécialité : animateur-conteur).
L’orientation
Et maintenant se pose le problème de l’orientation des nouvelles générations. Etant professeur en terminale, je suis chaque année confronté au problème de l’orientation des lycéens. Dans une certaine mesure, c’est assez étonnant. Les gens de ma génération, les Icares, partaient dans tous les sens. A mon époque nous n’avions pas de conseillers d’orientation et les licences affichaient moins de 50% de réussite. Les Icares choisissaient les filières qui leur plaisaient avec la conviction qu’ils allaient bien réussir. Aujourd’hui, les nouvelles générations font montre d’un certain pragmatisme : les élèves veulent un métier. Ils choisissent des voies qui déboucheront sur un poste. Les jeunes semblent plus rationnels que leurs aînés au sens où ils privilégient le possible et le probable. Le calcul est vite fait : avec un diplôme d’ingénieur, on a 95% de chance de trouver un poste d’ingénieur, avec un diplôme de plasticien, on a 1% de devenir un artiste rentable.
Je ne pense pas que tous les jeunes aient renoncé à choisir des métiers hors norme. On voit par exemple, des milliers de jeunes se lancer sur Youtube avec l’idée de devenir « youtuber » (c’est-à-dire un comédien ou un comique qui vit des revenus de la publicité en postant des vidéos sur un site de partage). C’est intéressant. Il faudrait peut-être les avertir que sur les 31 000 chaînes francophones, seulement 32 ont atteint le million d’abonnés. Une chance sur mille de vivre de sa passion (le métier d’écrivain paraît presque crédible en comparaison).
A l’inverse, certains métiers classiques souffrent de désaffection. Je lisais par exemple dans Le Monde que la France peine à recruter des professeurs de mathématiques. Pourquoi ? Apparemment l’article expliquait que depuis la mastérisation (à mon époque, on pouvait devenir enseignant à BAC+3 et depuis la réforme il faut BAC+5), les étudiants scientifiques boudent la filière. Avec un diplôme d’un tel niveau, les étudiants préfèrent le métier d’ingénieur ou d’autres plus rentables. Pourquoi s’embêter à faire cours devant des élèves quand on peut exercer un métier moins difficile et plus rentable ? Pour ma part je pense que la réponse est claire : la passion. On ne choisit pas un travail que pour le salaire. On choisit également notre place dans la société parce qu’elle nous définit en tant qu’être. Et je salue le courage et l’engagement de ces jeunes qui choisissent l’éducation, par passion. Il faut un sacré courage.
Et maintenant ?
Depuis février, j’ai décidé de mettre l’écriture en pause. C’est bien de réaliser ses rêves mais il ne faut négliger le reste. Mon emploi principal me prend déjà 55 heures par semaine. Si on veut trouver le temps d’écrire, il faut consentir à des sacrifices. Et quand je parle de sacrifices, je considère que vivre sans télévision et sans Internet constitue le minimum syndical. Consentir à gros sacrifices c’est, en plus, couper dans le sport, la lecture, les fêtes, les vacances et la vie privée.
Quand on veut faire quelque chose, il faut s’en donner les moyens. On m’objectera que dans les morales de l’intention, c’est l’intention qui compte et non les résultats, mais aucun philosophe n’aurait accepté de considérer que l’intention d’écrire un livre équivalait au fait d’écrire le livre. Ne tombons pas dans les raccourcis.
Le système freudien distinguait deux principes : le principe de plaisir et celui de réalité. En résumé, l’humain cherche ce qui va lui procurer du plaisir mais en grandissant l’humain comprend qu’il ne peut pas satisfaire tous ses désirs (car certains vont demander de longs efforts et d’autres seront simplement interdits). Il faut apprendre à différer ses désirs. Par exemple, si je veux une voiture, je peux essayer d’en voler une dans la rue OU je peux aller travailler une année pour gagner de quoi acheter légalement le véhicule.
Attention aux arnaques !
Je rappelle cette distinction pour expliquer que la réalisation des rêves prend du temps et demande des efforts. On pourrait être tenté de prendre des raccourcis mais il faut se méfier de ce qui semble plus simple et je vais maintenant traiter des « arnaques » annoncées au début. J’ai trois-quatre manuscrits de romans qui dorment dans les tiroirs et des maisons d’édition m’ont déjà fait des offres pour les publier. « C’est génial ! Qu’est-ce que tu attends alors ? » me demandent mes proches. « C’était pas ton objectif de publier un livre ? » Non. L’objectif n’est pas de publier un livre à n’importe quel prix mais de produire une œuvre de qualité. Je vais préciser.
En France, paraît-il, un français sur trois aurait déjà écrit un livre. Quand vous savez que les maisons d’édition (sérieuses) lancent environ cent nouveaux auteurs sur le marché chaque année, vous devinez rapidement que de nombreuses personnes sont déboutées. On se retrouve donc avec une foule d’individus qui ont consacré du temps et des efforts à produire une œuvre qui leur tient à cœur (et dans la majorité des cas, ce sont des témoignages ou des récits de famille). Quand ces personnes reçoivent des réponses négatives de la part des maisons, ils peuvent avoir le sentiment qu’on méprise leur production (et par extension leur histoire, leur vie, leur personne, etc.) Des individus peu scrupuleux vont alors proposer des éditions à ces exclus du système, mais pas n’importe quel type d’édition…
Un contrat à compte d’auteur. Si vous savez déjà de quoi il s’agit, vous pouvez passer directement à la fin de l’article, sinon prenez deux minutes pour vous cultiver et éviter une escroquerie. Dans l’édition, on distingue différents types de contrats. Quand une maison d’édition sélectionne un de mes textes, je signe un contrat à compte d’éditeur : cela signifie que l’éditeur me paye pour mon travail. Je vais toucher un forfait, un pourcentage sur les ventes ou encore un à-valoir (c’est-à-dire une avance sur les ventes). C’est le système normal. Puisque l’éditeur gagne de l’argent avec le produit de mon travail, je suis rémunéré. En revanche, certaines maisons vont proposer un contrat à compte d’auteur c’est-à-dire que l’auteur va devoir payer pour avoir le plaisir d’être publié. Si vous avez suivi, vous devez payer pour travailler. Et en général, ces histoires ne finissent pas en success story. Les clients abusés se retrouvent avec un petit tirage de 300 exemplaires, pas de publicité et ne récupèrent jamais leur investissement. Et je ne rentre pas dans le détail de toutes les arnaques existant sur le marché parce que les blogs spécialisés ont déjà épinglé les pratiques de certaines maisons (dont nous ne citerons pas les noms).
Je suis surpris quand je constate que des gens diplômés et probablement très intelligents se font fait avoir. C’est sournois. On table sur les rêves des gens pour les escroquer. Et moi de m’étonner : « Tu as travaillé avec Kiro*** ? Mais tu n’as jamais entendu parler d’eux ? », « Heu… votre éditeur était ***vent ? Et ça s’est bien passé ? »
Quand je dis que j’ai été contacté par des éditeurs, ce n’est pas le directeur de Gallimard qui m’a joint sur mon portable. Ce sont principalement des maisons qui pratiquent l’édition à compte d’auteur ou des versions déguisées ou encore des maisons modernes qui travaillent uniquement en numérique. Si on me demande de participer financièrement, poubelle. Si on me propose une publication sans aucune relecture, sans aucun travail, poubelle. Si quelqu’un me contacte sans avoir lu ce que j’écris, poubelle.
1) Votre travail a une valeur donc vous devez être payé. Pas forcément une fortune ! Quand on travaille avec une petite structure, on peut accepter une faible rémunération. Et cela peut m’arriver de travailler gratuitement, si un projet me motive particulièrement (action écologique ou sociale, par exemple).
2) Le travail de l’éditeur est essentiel. L’auto-publication est un système qui fonctionne relativement bien aux Etats-Unis mais peine à produire des résultats en France. N’importe qui peut s’auto-publier sur Internet mais le résultat n’est pas le même qu’un texte qui serait passé dans le circuit de l’édition. D’abord, le rôle de l’éditeur (et du comité de lecture) est de sélectionner. Si votre texte est publié c’est qu’il a un minimum de qualités. Ensuite, le travail de l’éditeur (et des correcteurs) consiste à reprendre un écrit pour le perfectionner. Vu de l’extérieur, cela peut paraître anecdotique mais quand on est sur le terrain on réalise à quel point les éditeurs ont un rôle crucial. On corrige à peine 10% d’un texte mais ces corrections, qui réclament plusieurs jours de travail, vont faire la différence entre le bon et le très bon.
3) Si quelqu’un vous contacte alors qu’il n’a jamais lu votre prose et qu’il n’a qu’une vague idée de votre style, c’est très probablement une arnaque. Un vrai éditeur sélectionne. Un vrai éditeur porte un regard critique. Et un vrai éditeur possède souvent un style qui peut coller ou ne pas coller avec un auteur, c’est-à-dire qu’un éditeur peut reconnaître la qualité technique d’un texte mais ne pas vouloir le publier. Un auteur et un éditeur, c’est une rencontre. Je suis en train de dérouler un cliché. Bientôt je vais vous parler d’alchimie entre l’auteur et son éditeur, et on va sombrer dans le mysticisme. Néanmoins, je retire de mon expérience personnelle qu’il y a effectivement, parfois au-delà des simples questions techniques, un petit plus. Donc je regarde les propositions de publication envoyées par des inconnus avec le même regard sceptique que je porte sur les mails, émaillés de fautes d’orthographe, qui m’affirment que je vais hériter d’un oncle africain si j’accepte de prêter dix mille euros…
En bref, pas de précipitation. Si votre rêve est de publier un livre, il vaut mieux prendre le temps de travailler votre technique et la qualité de votre production. Réussir à rédiger dix excellentes pages sera peut-être plus difficile que d’en griffonner dix mille de piètre qualité mais c’est un défi qui en vaut la peine.
Est-ce qu’il me reste des rêves ?
Non, j’ai accompli ou vécu tout ce dont je rêvais quand j’étais petit. Mais la vie ne s’arrête pas là car elle propose sans cesse de nouveaux défis. Je travaille depuis trois ans sur ma thèse de doctorat, en réfléchissant sur la manière d’agir dans l’incertitude. Un problème qui concerne tout à la fois les individus, les entreprises et les nations. Peut-on concilier la prudence aristotélicienne avec l’audace machiavélienne ? Et j’ai rejoint un projet de jeu vidéo international pour la fin de l’année 2014. Nouveau défi, nouveau travail, nouvelles compétences à développer.
Je conclus. Il s’agit simplement d’une réflexion personnelle et je ne prétends pas avoir raison mais nous sommes nombreux à nous poser ce genre de question. Peut-on réaliser nos rêves ? Si vous croyez qu’il suffit de frotter une lampe magique et d’énoncer trois vœux, vous risquez d’être déçu. En revanche, si vous êtes prêt à travailler des années avec sérieux, votre rêve — que ce soit un film, une chanson, un pont ou un programme — peut devenir réalité.