Baudelot et Establet: expliquer le suicide exige un travail d’interprétation0

Posted on avril 29th, 2014 in En terminale

 

Le sociologue Emile Durkheim a observé que le suicide était moins fréquent chez les jeunes, les femmes et les personnes mariées. Il a émis l’hypothèse que le fait de se sentir intégré dans un groupe familial protège contre l’idée de mettre fin à ses jours. Mais il y a bien d’autres facteurs. On ne peut évaluer l’influence qu’ils ont sans faire un travail d’interprétation.

[…] il est difficile d’établir un rapport de causalité direct entre chômage et suicide, ou plus généralement encore entre suicide et crise économique. Certes, les deux phénomènes ne sont pas indépendants puisqu’à toute crise économique, à toute montée du chômage correspond un accroissement du suicide dans notre pays ; ce fut le cas dans les années 30, ce l’est encore plus nettement aujourd’hui où, depuis 1976, le taux de suicide ne cesse d’augmenter. Cette relation ne s’observe pourtant pas dans tous les pays : en Angleterre, où le chômage a plus que doublé entre 1960 et 1979, le taux de suicide se retrouve en fin de période ce qu’il était au début ; en Italie, où le nombre de chômeurs a été multiplié par 2.5 entre 1970 et 1978, le taux de suicide est demeuré constant.

Le chômage ne semble donc pas agir directement sur le suicide : il n’exerce son influence qu’au travers du milieu primaire où se trouvent insérés les individus, la famille en particulier. Le chômage peut contribuer à désintégrer la structure familiale de même que la solidarité des liens familiaux peut constituer un rempart efficace contre les difficultés économiques et protéger ses membres d’un geste de désespoir.

Christian Baudelot et Roger Establet, Durkheim et le suicide, PUF, 1984, p.107

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