Monod: Le vitalisme est un asile de l’ignorance0
La science échoue-t-elle à connaître le vivant ? Le biochimiste Jacques Monod se livre ici à une critique du vitalisme. Certes, il faut reconnaître dans les êtres vivants une adaptation fonctionnelle de leurs organes (cf Grassé, Kant) mais c’est le progrès même de la science positive qui rendra compte de cette originalité, laquelle ne justifie aucunement le vitalisme.
Il est parfaitement vrai que le développement embryonnaire est l’un des phénomènes les plus miraculeux d’apparence de toute la biologie. Il est vrai aussi que ces phénomènes, admirablement décrits par les embryologistes, échappent encore, pour une large part (pour des raisons techniques) à l’analyse génétique et biochimique qui seule, de toute évidence, pourrait permettre d’en rendre compte. L’attitude des vitalistes qui considèrent que les lois physiques sont ou s’avéreront, en tous cas, insuffisantes à expliquer l’embryogenèse ne se justifie donc pas par des connaissances précises, par des observations finies, mais seulement par notre actuelle ignorance.
[…] Le vitalisme a besoin, pour survivre, que subsistent en biologie, sinon de véritables paradoxes, au moins des « mystères ». Les développements de ces vingt dernières années en biologie moléculaire ont singulièrement rétréci le domaine des mystères, ne laissant plus guère, grand ouvert aux spéculations vitalistes, que le champ de la subjectivité : celui de la conscience elle-même. On ne court pas grand risque à prévoir que, dans ce domaine pour l’instant encore « réservé », ces spéculations s’avéreront aussi stériles que dans tous ceux où elles se sont exercées jusqu’à présent.
MONOD, Le hasard et la nécessité, chap II, 1970
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