Hume : le scepticisme réfuté par l’expérience de la vie0
Les théories philosophiques peuvent-elles être jugées par l’expérience de la vie ? Hume répond sans ambiguïté : oui. Une philosophie peut bien être profonde et vraie théoriquement, elle n’est qu’une chimère si elle est impraticable. Telle est l’objection qu’il adresse dans ce texte au scepticisme pyrrhonien.
Un stoïcien ou un épicurien développent des principes, qui peuvent n’être pas durables, mais qui ont un effet sur la conduite et la manière d’agir. Mais un pyrrhonien ne peut compter que sa philosophie ait aucune influence constante sur l’esprit, ni que, si elle en avait, cette influence dût être bienfaisante pour la société. Au contraire, il est obligé de reconnaître, si tant est qu’il reconnaisse quelque chose, que toute vie humaine périrait forcément, si ses principes devaient universellement et fermement prévaloir. Tout
raisonnement, toute action cesseraient aussitôt ; et les hommes resteraient dans une totale léthargie, jusqu’à ce que les nécessités de la nature, n’étant pas satisfaites, missent fin à leur misérable existence. Il est vrai qu’un événement si fatal est très peu à craindre. La nature est toujours plus forte que les principes. Et un pyrrhonien a beau se jeter soi-même ou jeter autrui dans un étonnement et un embarras momentanés par ses profonds raisonnements : l’événement de la vie le premier venu et le plus trivial mettra en fuite tous ses doutes et ses scrupules, et le laissera identique, en tout sujet d’action et de spéculation, aux philosophes de toutes les autres sectes, ou à ceux qui n’occupèrent jamais d’aucune recherche philosophique. Quand il s’éveillera de son rêve, il sera le premier à prendre part au rire qui l’excite , et à avouer que toutes ses objections ne sont que pur amusement, et ne peuvent tendre à autre chose qu’à faire voir la bizarre condition de l’humanité, laquelle est obligée d’agir, de raisonner et de croire, encore qu’elle ne soit pas capable, fût-ce par la plus diligente recherche, de se satisfaire touchant le fondement de ces opérations, ou d’écarter les objections qui peuvent être élevées contre elles.
David HUME, Enquête sur l’entendement humain (1748), XIIe section, IIe partie
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