Descartes: L’union de l’âme et du corps0
[…] je remarque une grande différence entre ces trois sortes de notions, en ce que l’âme ne se conçoit que par l’entendement pur ; le corps, c’est-à-dire l’extension, les figures et le mouvement se peuvent aussi connaître par l’entendement seul, mais beaucoup mieux par l’entendement aidé de l’imagination ; et enfin, les choses qui appartiennent à l’union de l’âme et du corps ne se connaissent qu’obscurément par l’entendement seul, ni même par l’entendement aidé de l’imagination ; mais elles se connaissent très clairement par les sens. D’où vient que ceux qui ne philosophent jamais, et qui ne se servent que de leurs sens, ne doutent point que l’âme ne meuve le corps, et que le corps n’agisse sur l’âme ; mais ils considèrent l’un et l’autre comme une seule chose, c’est-à-dire ils conçoivent leur union : car concevoir l’union qui est entre deux choses, c’est les concevoir comme une seule. Et les pensées métaphysiques, qui exercent l’entendement pur, servent à nous rendre la notion de l’âme familière ; et l’étude des mathématiques, qui exercent principalement l’imagination en la considération des figures et des mouvements, nous accoutume à former des notions du corps bien distinctes ; et enfin, c’est en usant seulement de la vie et des conversations ordinaires, et en s’abstenant de méditer et d’étudier aux choses qui exercent l’imagination, qu’on apprend à concevoir l’union de l’âme et du corps.
DESCARTES, Lettre à Elisabeth du 28 juin 1643
Cette lettre est une réponse de Descartes à la princesse Elisabeth qui se demandait pourquoi le commun des mortels (non formé à la philosophie ou aux mathématiques) comprenait mieux l’union de l’âme et du corps que les personnes cultivées.
Pour résoudre ce paradoxe Descartes distingue dans sa lettre les 3 notions (l’âme, le corps, l’union de l’âme et du corps), les facultés qui permettent de les saisir et la façon de travailler ces facultés.
Le corps | L’âme | L’union de l’âme et du corps | |
Facultés | L’entendement + l’imagination | L’entendement pur | Les sens |
Exercices | Les mathématiques | Pensées métaphysiques | Vie et conversations ordinaires |
Le grand paradoxe de ce texte est que Descartes explique à Elisabeth que pour comprendre la difficile notion d’union entre l’âme et le corps il faut arrêter de philosopher et se tourner vers la vie quotidienne. Le commun des mortels comprend bien l’union de l’âme et du corps parce qu’ils écoutent leur corps (ex: expérience de la douleur). En revanche à vouloir trop méditer ou philosopher on s’éloigne de l’expérience évidente.
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