DM pour le 21/020
Devoir à la maison des TS1,TS2, TS3
Pour le 21/02/2012 (au plus tard)
Un sujet au choix
1) Dissertation :
Le langage est-il le propre de l’homme ?
2) Explication de texte :
Enfin il n’y a aucune de nos actions extérieures, qui puisse assurer ceux qui les examinent, que notre corps n’est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu’il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, excepté les paroles, ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent, sans se rapporter à aucune passion. Je dis les paroles ou autres signes, parce que les muets se servent de signes en même façon que nous de la voix ; et que ces signes soient à propos, pour exclure le parler des perroquets, sans exclure celui des fous, qui ne laisse pas d’être à propos des sujets qui se présentent, bien qu’ils ne suivent pas la raison ; et j’ajoute que ces paroles ou signes ne se doivent rapporter à aucune passion, pour exclure non seulement les cris de joie ou de tristesse, et semblables, mais aussi tout ce qui peut être enseigné par artifice aux animaux ; car si on apprend à une pie à dire bonjour à sa maîtresse, lorsqu’elle la voie arriver, ce ne peut être qu’en faisant que la prolation de cette parole devienne le mouvement de quelqu’une de ses passions ; à savoir, ce sera un mouvement de l’espérance qu’elle a de manger, si l’on a toujours accoutumé de lui donner quelque friandise, lorsqu’elle l’a dit ; et ainsi toutes les choses qu’on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux singes, ne sont que des mouvements de leur crainte, de leur espérance ou de leur joie, en sorte qu’ils les peuvent faire sans aucune pensée. Or il est, ce me semble, fort remarquable que la parole, étant ainsi définie, ne convient qu’à l’homme seul. Car, bien que Montaigne et Charron aient dit qu’il y a plus de différence d’homme à homme, que d’homme à bête, il ne s’est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite, qu’elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d’autres animaux quelque chose qui n’eût point de rapport à ses passions; et il n’y a point d’homme si imparfait, qu’il n’en use; en sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées. Ce qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent. Et on ne peut dire qu’elles parlent entre elles, mais que nous ne les entendons pas; car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s’ils en avaient.
René DESCARTES, Lettre du 23 novembre 1646 au marquis de Newcastle
Sur quels textes classiques peut-on s’appuyer ?
L’origine du langage
Le premier langage de l’homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eut besoin, avant qu’il ne fallût persuader des hommes assemblés, est le cri de la nature. Comme ce cri n’était arraché que par une sorte d’instinct dans les occasions pressantes, pour implorer du secours dans les grands dangers, ou du soulagement dans les maux violents, il n’était pas d’un grand usage dans le cours ordinaire de la vie, où règnent des sentiments plus modérés. Quand les idées des hommes commencèrent à s’étendre et à se multiplier, et qu’il s’établit entre eux une communication plus étroite, ils cherchèrent des signes plus nombreux et un langage plus étendu : ils multiplièrent des inflexions de la voix, et y joignirent les gestes, qui, par leur nature, sont plus expressifs, et dont le sens dépend moins d’une détermination antérieure. Ils exprimaient donc les objets visibles et mobiles par des gestes, et ceux qui frappent l’ouïe, par des sons imitatifs : mais comme le geste n’indique guère que les objets présents, ou faciles à décrire, et les actions visibles ; qu’il n’est pas d’un usage universel, puisque l’obscurité, ou l’interposition d’un corps le rendent inutile, et qu’il exige l’attention plutôt qu’on ne l’excite, on s’avisa enfin de lui substituer les articulations de la voix, qui, sans avoir le même rapport avec certaines idées, sont plus propres à les représenter toutes, comme signes institués ; substitution qui ne put se faire que d’un commun consentement, et d’une manière assez difficile à pratiquer pour des hommes dont les organes grossiers n’avaient encore aucun exercice, et plus difficile encore à concevoir en elle-même, puisque cet accord unanime dut être motivé, et que la parole paraît avoir été fort nécessaire, pour établir l’usage de la parole.
On doit juger que les premiers mots, dont les hommes firent usage, eurent dans leur esprit une signification beaucoup plus étendue que n’ont ceux qu’on emploie dans les langues déjà formées, et qu’ignorent la division du discours en ses parties constitutives, ils donnèrent d’abord à chaque mot le sens d’une proposition entière.
Jean-Jacques ROUSSEAU,
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes
Le langage des bêtes
La présomption est notre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et frêle de toutes les créatures, c’est l’homme, et quant[1] la plus orgueilleuse. Elle se sent et se voit logée ici, parmi la bourbe et le fient[2] du monde, attachée et clouée à la pire, plus morte et croupie partie de l’univers, au dernier étage du logis et le plus éloigné de la voûte céleste, avec les animaux de la pire condition des trois ; et se va plantant par imagination au dessus du cercle de la Lune et ramenant le ciel sous ses pieds. C’est par la vanité de cette même imagination qu’il s’égale à Dieu, qu’il s’attribue les conditions divines, qu’il se trie soi-même et sépare de la presse[3] des autres créatures, taille les parts aux animaux ses confrères et compagnons, et leur distribue telle portion de facultés et de forces que bon lui semble. Comment connaît-il, par l’effort de son intelligence, les branles[4] internes et secrets des animaux ? par qu’elle comparaison d’eux à nous conclut-il la bêtise qu’il leur attribue ?
Quand je joue à[5] ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi plus que je ne fais d’elle ? Platon, en sa peinture de l’âge doré sous Saturne[6], compte entre les principaux avantages de l’homme de lors la communication qu’il avait avec les bêtes, desquelles s’enquérant et s’instruisant, il savoit les vraies qualités et différences de chacune d’icelles[7] ; par où il acquérait une très parfaite intelligence et prudence, et en conduisait de bien loin plus heureusement sa vie que nous ne saurions faire. Nous faut-il meilleure preuve à juger l’impudence humaine sur le fait des bêtes ? Ce grand auteur[8] a opiné qu’en la plupart de la forme corporelle que nature leur a donnée, elle a regardé seulement l’usage des prognostications[9] qu’on en tirait en son temps.
Ce défaut qui empêche la communication d’entre elles et nous, pourquoi n’est-il aussi bien à nous qu’à elles ? C’est à deviner à qui est la faute de ne nous entendre[10] point ; car nous ne les entendons non plus qu’elles nous. Par cette même raison, elles nous peuvent estimer bêtes, comme nous les en estimons. Ce n’est pas grand merveille si nous ne les entendons pas (aussi ne faisons-nous les Basques et les Troglodytes). Toutefois aucuns[11] se sont vantés de les entendre, comme Apollonius, Thyanéus, Mélampsus, Tyrésias, Thalès et autres. Et puisqu’il est ainsi, comme disent les cosmographes, qu’il y a des nations qui reçoivent un chien pour leur Roi, il faut bien qu’ils donnent certaine interprétation à sa voix et mouvements. Il nous faut remarquer la parité qui est entre nous. Nous avons quelque moyenne intelligence de leur sens : aussi ont les bêtes du nôtre, environ à une même mesure. Elles nous flattent, nous menacent et nous requièrent ; et nous, elles.
Au demeurant, nous découvrons bien évidemment qu’entre elles il y a une pleine et entière communication et qu’elles s’entre’entendent[12], non seulement celles de même espèce, mais aussi d’espèces diverses.
Michel de MONTAIGNE, Les Essais, II, 12
D’une part, tous les êtres humains parlent. On n’a jamais trouvé une culture, aussi isolée soit-elle, qui ne possède pas de langage. D’autre part, aucune autre espèce animale ne possède un système de communication productif. D’autres animaux communiquent aussi entre eux, de manière plus ou moins complexe selon les espèces, mais il n’y a rien qui ressemble au langage, permettant de formuler un nombre infini de phrases à partir d’un nombre fini de « mots ». De nombreuses tentatives ont eu lieu pour apprendre une langue humaine à d’autres espèces, en particulier aux chimpanzés. Un exemple célèbre est celui de ce couple de chercheurs qui a décidé d’adopter un bébé chimpanzé à la naissance de leur propre enfant. Au bout de deux ans environ, il a fallu arrêter l’expérience : en effet le bébé humain commençait à parler, mais pas le bébé chimpanzé ; par contre, le chimpanzé grimpait parfaitement bien au sommet des arbres, et avait tendance à y entraîner son « frère » ! D’autres tentatives ont été faites en utilisant la langue des signes des sourds-muets, car si les chimpanzés ne peuvent pas articuler les sons des langues humaines, en revanche, ils ont des mains semblables aux nôtres. Or, les langues des signes (il en existe plusieurs) possèdent les mêmes caractéristiques que les langues humaines parlées : elles ont aussi des règles syntaxiques, qui suivent les mêmes principes structurels que les langues parlées. Mais cette tentative a aussi échoué : les chimpanzés arrivent à apprendre un vocabulaire assez important, de l’ordre de plusieurs centaines de mots (contre 50 000 ou 100 000 pour un être humain). Ils parviennent donc bien à utiliser un symbole pour un concept. Par contre, l’aspect syntaxique ou productif du langage, c’est-à-dire la capacité à combiner des mots pour former de nouveaux sens, n’apparaît jamais.
Anne CHRISTOPHE, « L’apprentissage du langage (les bases cérébrales du langage) »,
dans Le Cerveau, le Langage, le Sens,
Université de tous les savoirs, 5, Odile Jacob, 2002
Dieu et le langage
1.1
Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre.
1.2
La terre était informe et vide: il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.
1.3
Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut.
1.4
Dieu vit que la lumière était bonne; et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres.
1.5
Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le premier jour.
1.6
Dieu dit: Qu’il y ait une étendue entre les eaux, et qu’elle sépare les eaux d’avec les eaux.
1.7
Et Dieu fit l’étendue, et il sépara les eaux qui sont au-dessous de l’étendue d’avec les eaux qui sont au-dessus de l’étendue. Et cela fut ainsi.
1.8
Dieu appela l’étendue ciel. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le second jour.
1.9
Dieu dit: Que les eaux qui sont au-dessous du ciel se rassemblent en un seul lieu, et que le sec paraisse. Et cela fut ainsi.
1.10
Dieu appela le sec terre, et il appela l’amas des eaux mers. Dieu vit que cela était bon.
1.11
Puis Dieu dit: Que la terre produise de la verdure, de l’herbe portant de la semence, des arbres fruitiers donnant du fruit selon leur espèce et ayant en eux leur semence sur la terre. Et cela fut ainsi.
La Bible, la Genèse
1.1
Au commencement étaitla Parole, etla Parole était avec Dieu, etla Parole était Dieu.
1.2
Elle était au commencement avec Dieu.
1.3
Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.
1.4
En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes.
La Bible, Evangile selon St-Jean
Il en va ici comme pour le mouvement du soleil : dans ce dernier cas, ce sont nos yeux qui plaident constamment en faveur de l’erreur ; dans l’autre, c’est notre langage. Le langage remonte, par son origine, à l’époque de la forme la plus rudimentaire de psychologie : nous entrons dans un grossier fétichisme quand nous prenons conscience des présupposés fondamentaux de la métaphysique du langage, traduisez : de la raison. C’est elle qui voit partout sujet agissant et action ; elle, qui croit à la volonté comme cause ; elle, qui croit au « moi », au moi comme être, au moi comme substance, et projette la croyance au moi – substance sur toutes les choses – elle forge ainsi le concept de « chose ». Partout l’Être comme cause est rajouté par la pensée, glissé dessous tout phénomène ; c’est de la conception du « moi » que découle son dérivé, le concept d’ « être »…Au commencement se trouve l’erreur fatale qui veut que la volonté soit quelque chose qui agit, — que la volonté soit une faculté… Aujourd’hui, nous savons que ce n’est qu’un mot… […] De fait, rien n’a eu jusqu’ici de force persuasive plus naïve que l’erreur de l’Être, telle que l’ont formulée par exemple les Eléates : cette erreur a pour elle chaque mot, chaque phrase que nous prononçons ! – Même les adversaires des Eléates ont encore succombé à l’insidieuse séduction de leur concept de l’Être : entre autres, Démocrite, quand il a inventé son atome… La « raison » dans le langage : oh, quelle vieille bonne femme trompeuse ! Je crains que nous ne puissions nous défaire de Dieu, car nous avons encore foi en la grammaire…
NIETZSCHE, Le crépuscule des idoles
[1] Avec
[2] Le fumier
[3] Qu’il se distingue et se sépare de la foule
[4] Les mouvements
[5] Avec
[6] Il s’agit de « l’âge d’Or » décrit par Platon dans Le Politique.
[7] De chacune d’elles.
[8] Il s’agit encore de Platon, et cette fois-ci du Timée 72b-c.
[9] Les « arts divinatoires » sont en vogue au temps de Montaigne (pensez à Nostradamus).
[10] Comprendre, se comprendre.
[11] certains
[12] Qu’elles se comprennent les unes les autres.
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