Nietzsche : la morale du ressentiment0
Extrait :
Les agneaux gardent rancune aux grands rapaces, rien de surprenant : mais ce n’est point là une raison pour en vouloir aux grands rapaces d’attraper les petits agneaux. Mais si ces agneaux se disent entre eux : » Ces rapaces sont méchants ; et celui qui est aussi peu rapace que possible, qui en est plutôt le contraire, un agneau, celui-là ne serait-il pas bon ? », alors il n’y a rien à redire à cette construction d’un idéal, même si les rapaces doivent voir cela d’un œil un peu moqueur et se dire peut-être : « nous, nous ne leur gardons nullement rancune, à ces bons agneaux, et même nous les aimons : rien n’est moins goûteux qu’un tendre agneau. » Exiger de la force qu’elle ne se manifeste pas comme force, qu’elle ne soit pas volonté de domination, volonté de terrasser, volonté de maîtrise, soif d’ennemis, de résistances et de triomphes, c’est tout aussi absurde que d’exiger de la faiblesse qu’elle se manifeste comme force. »
NIETZSCHE, La Généalogie de la morale, 1er traité, §13, trad. E. Blondel
Que retenir ?
Retenez globalement que, pour Nietzsche, la morale chrétienne…c’est la morale des faibles. C’est une morale de jaloux. Une morale de ressentiment. Comme les faibles sont incapables d’être forts ils essaient de rabaisser les autres.
Ceci est une lecture (un peu) caricaturale. Les critiques que Nietzsche adresse à la morale sont un peu plus subtiles. Mais Nietzsche n’est pas un auteur facile. Les nazis se sont réappropriés ses œuvres (« le surhomme », « la volonté de puissance ») d’où sa mauvaise réputation (il faut bien préciser que Nietzsche n’a jamais été nazi et qu’il n’a jamais prôné l’anti-sémitisme).
Sans tomber dans une lecture caricaturale, on peut tout de même retenir de Nietzsche sa critique de la religion. Nietzsche n’a pas forcément raison quand il pense que la morale chrétienne est juste une morale du ressentiment mais cette hypothèse est intéressante. On peut effectivement envisager qu’une majorité de gens faibles se soient associés pour créer une morale qui rabaisserait les forts.
Le raisonnement pourrait être le suivant :
– Puisqu’on est trop faible pour dominer les autres, on va dire que la domination est une mauvaise chose. Comme ça personne ne nous dominera.
– Puisqu’on est trop incompétent pour gagner beaucoup d’argent, on va dire que gagner beaucoup d’argent est une mauvaise chose. Comme ça personne ne gagnera plus que nous.
– Puisqu’on est trop incompétent pour séduire des femmes, on va dire que séduire les femmes des autres est une mauvaise chose. Comme ça personne ne fera mieux que nous.
– Etc.
Il faut prendre cette hypothèse « avec des pincettes ». Peut-on réduire la morale à cette dimension de jalousie ? Avons-nous seulement inventé la religion pour abaisser les autres ? C’est discutable :
– D’une part, la religion définit des règles de vie universelles pour trouver le bien (si tout le monde décide de ne pas tuer, tout le monde est gagnant).
– D’autre part, on pourrait opposer à Nietzsche l’argument suivant : la morale implique un devoir de progrès. La morale (en tant qu’idéal) pousse l’humain à se dépasser. D’un être faible moralement (égoïste, peureux, lâche, paresseux) il est censé devenir un être fort moralement (altruiste, courageux, travailleur).
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