Malebranche: des motifs dans le choix…0

Posted on décembre 22nd, 2011 in En terminale

« Quand je dis que nous avons le sentiment intérieur de notre liberté, je ne prétends pas soutenir que nous ayons le sentiment intérieur d’un pouvoir de nous déterminer à vouloir quelque chose sans aucun motif physique ; pouvoir que quelques gens appellent indifférence pure. Un tel pouvoir me paraît renfermer une contradiction manifeste (…) ; car il est clair qu’il faut un motif, qu’il faut pour ainsi dire sentir, avant que de consentir. Il est vrai que souvent nous ne pensons pas au motif qui nous a fait agir ; mais c’est que nous n’y faisons pas réflexion, surtout dans les choses qui ne sont pas de conséquence. Certainement il se trouve toujours quelque motif secret et confus dans nos moindres actions ; et c’est même ce qui porte quelques personnes à soupçonner et quelquefois à soutenir qu’ils ne sont pas libres ; parce qu’en s’examinant avec soin, ils découvrent les motifs cachés et confus qui les font vouloir. Il est vrai qu’ils ont été agis pour ainsi dire, qu’ils ont été mus ; mais ils ont aussi agi par l’acte de leur consentement, acte qu’ils avaient le pouvoir de ne pas donner dans le moment qu’ils l’ont donné ; pouvoir, dis-je, dont ils avaient le sentiment intérieur dans le moment qu’ils en ont usé, et qu’ils n’auraient osé nier si dans ce moment on les en eût interrogés. »

 

Malebranche, De la recherche de la vérité

Motif physique : motif qui agit sur la volonté

 Questions pour les séries technologiques (les séries générales doivent rédiger une explication intégrale):

1)      Dégager la thèse et l’argumentation de l’auteur.

2)      Pourquoi certaines personnes soutiennent « qu’ils ne sont pas libres » d’après Malebranche ?

3)      Comment affirmer la certitude de la liberté tout en reconnaissant la présence de motifs dans l’élaboration de nos choix ? (mini-dissertation)

 

Explication du texte de Malebranche

 

A quoi s’oppose Malebranche ? (thèse adverse)

La liberté suppose une totale indifférence à l’égard des motifs sensibles (traduit grossièrement, on est libre quand on n’est pas influencé par des causes).

Procédé d’Argumentation

Malebranche pose la nécessité de rapporter la liberté à un motif physique en affirmant d’abord la contradiction de la thèse adverse : une liberté d’indifférence n’a pas de sens. Il répond ensuite à l’objection selon laquelle la présence de motifs physiques serait le signe d’une détermination extérieure. Ces motifs ne contraignent pas la volonté, et la liberté se révèle dans l’acte de consentement ou non à un motif physique.

Découpage du texte

La première partie du texte (depuis le début jusqu’à « … dans nos moindres actions ») montre que l’acte libre est toujours lié à un motif physique, qu’il soit immédiatement conscient ou non.

Dans la seconde partie du texte (depuis « et c’est même » jusqu’à la fin), Malebranche récuse l’objection du déterminisme.

Difficultés

L’originalité et la difficulté de ce texte résident dans le fait que Malebranche retourne un argument déterministe pour penser la liberté.

Pour bien comprendre l’enjeu du texte, il importe de s’attarder sur le terme de « motif », et de ne surtout pas assimiler motif et cause : tout le texte montre que le motif physique n’est pas contraignant. En d’autres termes, il n’y a pas de lien direct de cause à effet entre le motif physique et la décision d’agir.

 

Introduction

Si la liberté se définit comme un pouvoir d’autodétermination du sujet, la question est de savoir si ce pouvoir appartient effectivement à l’homme. La conscience immédiate de notre liberté peut en effet être remise en question, dès lors que l’on considère les causes extérieures qui déterminent, consciemment ou non, nos actions. La certitude de la liberté se trouve ainsi ébranlée.

On peut certes chercher à penser le pouvoir d’autodétermination du sujet en mettant en évidence la capacité de la volonté à se résoudre à une action, en l’absence de toute sollicitation sensible ou intellectuelle. Mais cette indifférence de la volonté peut-elle définir la liberté ? Est-elle seulement possible ? La volonté n’est-elle pas toujours nécessairement confrontée à des motifs ? Le problème est donc le suivant : comment affirmer la certitude de la liberté tout en reconnaissant la présence nécessaire de motifs dans l’élaboration de nos choix ?

Extrait d’un ouvrage de Malebranche De la recherche de la vérité, ce texte entend poser cette certitude en mettant en lumière l’acte de consentement qu’implique toute action.

1)     La liberté ne réside pas dans l’absence de motifs physiques

a)      La liberté est certaine, mais elle ne signifie pas l’indifférence totale à l’égard des motifs physiques

Le texte s’ouvre sur l’affirmation de la liberté humaine. Malebranche pose en effet le « sentiment intérieur » comme mode d’accès de cette liberté. En d’autres termes, la liberté n’a pas à être prouvée par un raisonnement ; au contraire, elle est éprouvée directement par le sujet, à travers la conscience d’un sentiment.

Mais à quoi se rapporte ce sentiment ? Que nous fait-il éprouver exactement ? Avant de répondre à cette question, Malebranche commence par réfuter une réponse possible : avoir le sentiment intérieur de la liberté, ce n’est pas ressentir un pouvoir d’autodétermination en l’absence de motifs physiques. Le « motif physique » désigne une occasion de mouvement ; c’est une inclination ressentie par le sujet et qui peut le mettre en mouvement. Pour Malebranche donc, aucun acte libre ne peut se concevoir en l’absence de motifs physiques.

b)      L’absurdité de la liberté d’indifférence

Malebranche critique la conception erronée de la liberté qui voit dans l’ « indifférence pure » sa définition même. Cette indifférence pure caractérise une décision de la volonté prise en l’absence de toute motivation, que cette motivation soit suscitée par un désir sensible ou par la raison. Parmi les philosophes implicitement critiqués par Malebranche, on peut citer Descartes, même si celui-ci désigne l’indifférence comme le plus bas degré de la liberté (Méditations métaphysiques). L’indifférence est pour Descartes un pouvoir de la volonté que le sujet peut sentir en lui-même, lorsqu’il se résout à agir en un sens plutôt qu’un autre, alors même que rien ne l’y pousse.

Pour Malebranche, une telle conception de la liberté est une contradiction. Une volonté indifférente n’est en effet pas à proprement parler un pouvoir, une faculté positive : être indifférent, ce n’est pas vouloir positivement quelque chose, ce n’est pas affirmer un choix motivé. C’est seulement se résoudre à agir sans motivation. Pour souligner cette contradiction, Malebranche affirme la nécessité d’un motif dans toute action (répétition du « il faut »). La liberté réside dans l’acte de consentement (ou non) à un motif préalablement senti. Consentir, c’est en effet accepter librement une inclination ressentie. En d’autres termes, si l’on veut penser positivement la liberté comme acte motivé, il faut nécessairement poser le motif qui occasionne la possibilité du consentement.

c)      Toute action suppose un motif, même si celui-ci est inconscient

Comment affirmer que toute action se rapporte à un motif ? On pourrait en effet objecter que l’on éprouve parfois l’impression de se résoudre à agir indépendamment de tout motif. Malebranche répond à cette objection implicite dans la fin de la première partie. S’il est vrai que « nous ne pensons pas » nécessairement au motif qui nous fait agir, on peut néanmoins affirmer la présence d’un motif : l’argument avancé est celui de l’inconscient, même si Malebranche n’utilise pas le terme. Un motif peut être lié à l’action sans que nous en ayons immédiatement et clairement conscience. C’est le cas notamment dans les « choses qui ne sont pas de conséquence », c’est-à-dire tous les actes que nous accomplissons sans y porter réelle attention, en raison de leur peu d’importance. Il est vrai que dans les actions plus importantes le motif apparaît plus aisément, ne serait-ce parce que la réflexion et ses hésitations nous font clairement concevoir les enjeux et les intérêts de cette action.

Comment caractériser l’aspect parfois inconscient des motifs ? Il semble que cette inconscience ne soit qu’une privation momentanée de conscience. Pour Malebranche, le motif qui échappe à la pensée (c’est-à-dire à la conscience immédiate) peut devenir conscient dès lors qu’on « y fait réflexion », c’est-à-dire dès lors que l’on s’interroge, par introspection, sur les motivations de nos actes. Cet argument de l’inconscient permet à Malebranche d’aller jusqu’à conclure que toute action, même la plus futile, est liée à un motif. Simplement celui-ci échappe parfois plus (« secret ») ou moins (« confus ») à la conscience immédiate.

2)     Loin d’avoir pour conséquence le déterminisme, la présence du motif rend possible l’acte de la volonté libre

a)      L’objection déterministe

Malebranche retourne l’objection qu’on pourrait lui faire. Cette  objection est la suivante : si tout acte est lié à un motif, il faut remettre en question la liberté et affirmer que nos actes  sont déterminés, même si cette détermination est inconsciente. Il faut ici bien souligner l’originalité de la thèse de Malebranche : il a caractérisé la liberté en utilisant un argument qui appartient à ceux qui veulent  remettre en question la liberté. L’argument des motivations inconscientes est notamment utilisé par Spinoza dans l’Ethique : pour Spinoza, la liberté comme libre arbitre est une illusion qui provient de l’ignorance des causes réelles par lesquelles nous sommes déterminés à agir.

b)      La réfutation de l’objection

Comment Malebranche retourne-t-il cet argument ? La solution réside dans l’examen du lien qui unit un motif et un acte. Et cet examen implique que l’on pousse l’introspection quant aux motivations de nos actes. En effet, on a vu que la réflexion comme introspection approfondie permettait d’entrevoir les motifs confus ou secrets de nos actes. Malebranche concède bien qu’il y a une certaine passivité (« été agis », « été mus ») dans tout choix d’action. Mais cette passivité ne permet pas de caractériser une action, et il importe avant tout de prendre en considération le consentement apporté à un motif.

Le consentement est en effet un acte de la volonté qui signe l’adhésion à ce qui est simplement suggéré par le motif. Mais cet acte, il est du pouvoir du sujet de ne pas l’effectuer. En d’autres termes encore, aussi puissant que soit le motif, le pouvoir de la volonté peut toujours s’y opposer. C’est dire que le motif ne doit pas être conçu comme cause directe de l’action : il n’y a pas de lien direct de cause à effet entre un motif et une action. Nos actions sont donc libres même si elles sont toujours liées à un motif.

Le rôle du consentement est essentiel car, pour Malebranche, c’est bien dans le consentement à un motif que se trouve la source véritable de toute action. Le texte s’achève sur la question de l’accès à ce consentement. Pour Malebranche, il peut être éprouvé par le sujet : nous en avons une connaissance immédiate (« sentiment intérieur »). On trouve donc ici la réponse posée au tout début du texte : le sentiment intérieur de la liberté, c’est la conscience de cet acte qu’est le consentement. Et Malebranche d’affirmer que ce sentiment intérieur de la liberté est indéniable, quand bien même il est recouvert, après coup, par la conscience des motifs, voire l’illusion du déterminisme. En effet, si une introspection poussée permet de mettre au jour les motifs parfois inconscients, il ne faut pas s’arrêter à une philosophie du soupçon ou conclure que nos actes sont déterminés ; au contraire, il faut pousser cette introspection (« si on les eût interrogés ») et reconnaître a posteriori que le pouvoir ou non de consentir à une action était donné.

c)      La reconnaissance du pouvoir indéniable de la liberté : la responsabilité humaine

L’intérêt du texte réside dans l’originalité de sa conception de la liberté. Rejetant aussi bien l’indifférence que le déterminisme, il parvient à lier motif et liberté sans penser ce lien comme consécutif. La liberté apparaît ainsi dans le consentement au motif, et la façon dont Malebranche caractérise ce consentement est essentielle, puisqu’elle nous permet de fonder la responsabilité humaine.

Il montre en effet que la conscience de ce consentement au motif peut toujours être reconnu par l’homme, même si c’es de manière rétrospective. C’est pourquoi on peut lire ce texte de Malebranche comme un rappel à la responsabilité humaine. Il semble bien qu’il n’y ait pas d’échappatoire possible : l’homme ne peut invoquer la pression des motifs pour se dérober face à sa responsabilité. Et devant toute action, l’homme doit donc reconnaître et assumer son pouvoir de consentir ou non aux motifs.

Conclusion

Ainsi donc, pour Malebranche, les motifs physiques, conscients ou non, ne remettent pas en cause l’existence de la liberté. Au contraire, le texte montre que tout acte libre est lié à un motif. Simplement, ce lien ne doit pas être pensé comme un lien de cause à effet. Pour penser la liberté, il faut mettre en avant l’acte de consentement qu’implique toute action. C’est la conscience de cet acte qui nous permet d’accéder au sentiment intérieur de la liberté, et de fonder notre responsabilité.

 

 

 

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