L’ignorant est-il libre ?0

Posted on décembre 22nd, 2011 in Non classé

En philosophie, il n’existe pas UNE réponse parfaite. Le correcteur ne s’attend pas à voir UNE dissertation parfaite. On peut écrire des dissertations différentes. De la même manière, il est possible d’écrire plusieurs introductions différentes. Ce qui demeure primordial, c’est la méthode. Je donne ici quatre exemples (avec des défauts et des qualités), composés à partir de vos copies :
 

Introduction n°1

« Je veux un scooter » demande l’adolescent. Mais est-ce bien « je veux » ?

La liberté se traduit dans le sens commun par la capacité à faire ce qu’on veut : pas de prison, pas d’horaire. Je veux être heureux, faire la fête. Être malade ? Non, je veux faire la fête sans les effets indésirables pourtant si je les ignore, c’est-à-dire si je n’en ai pas conscience, je risque de souffrir. Donc je n’aurais pas fait ce que je voulais.

L’ignorance dans certains cas risque de limiter ma liberté. Pourtant dans certains cas, si j’ignore les conséquences, je suis libre. Ainsi on peut se demander : l’ignorant est-il libre ?

 

Commentaire : Introduction à améliorer. L’introduction suit la méthode (amorce, définition, tentative de problématisation et problématique) mais il reste des points discutables. Amorce stéréotypée. Problématisation confuse. Le lecteur comprend qu’il y a un paradoxe mais il n’est pas formulé clairement. On comprend vaguement qu’il y a un problème concernant la connaissance des conséquences mais ici l’introduction lance la problématique sans prendre le temps de l’expliquer.

 

Introduction n°2

            « Que choisir en orientation ? CPGE, école d’ingénieur ou faculté de médecine ? » pourrait se demander un élève en terminale scientifique. Ce choix paraît libre.

En apparence l’élève a le choix. Il a le sentiment de liberté puisqu’il en fait l’expérience : il peut très bien cocher une case, ou l’annuler pour en cocher une autre. Il n’est pas soumis à une contrainte extérieure. L’élève a la capacité de choisir une option ou une autre. Pourtant, cet élève n’est-il pas comme une feuille emportée par le vent, ignorant des causes qui le déterminent. La feuille n’a pas connaissance (ni conscience du vent qui la pousse). L’étudiant qui n’a pas connaissance de son éducation fait peut-être un choix déterminé. Par exemple, s’il vient d’une famille de médecins, il peut envisager différentes orientations mais il est fortement incité à choisir la médecine et finira probablement par sélectionner cette voie.

Ainsi nous sommes amenés à nous poser la question : l’ignorant est-il libre ?

 

Correction : Bien. Cette introduction suit la méthode et problématise clairement. Le lecteur comprend pourquoi le problème se pose. Mais cette introduction semble déjà pencher légèrement d’un côté.

 

Introduction n°3

Pour Rousseau, « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers » (Du Contrat social, livre 1, chapitre 2). Le philosophe défend l’idée que les humains naissent libres mais qu’ils l’ont oublié. Puisqu’ils ont grandi dans un système sans liberté, les humains n’ont pas conscience d’avoir perdu leur liberté.

Rousseau pense que l’homme est libre par nature. Contrairement à l’animal qui sera au bout de quelques heures ce qu’il sera toute sa vie, un humain est libre de devenir ce qu’il veut. Mais l’homme est ignorant de cette liberté (capacité à faire ce qu’on veut sans rencontrer d’obstacle). Il a oublié. Puisqu’il ignore cette liberté il n’est pas libre. Par exemple, il ne sait pas qu’il est libre de contester la royauté et de demander une démocratie. Pourtant on pourrait opposer à Rousseau l’argument que l’ignorance nous rend plus libre que les gens qui ont la connaissance. Notre pensée n’est pas limitée par des préjugés. Par exemple, un jeune enfant soviétique qui n’aurait pas subi la propagande du Parti communiste en évitant d’aller à l’école garderait une pensée libre. Il peut encore penser que le libéralisme est une bonne chose.

Ainsi on est amené à se poser la question : L’ignorant est-il libre ?

 

Correction : Assez bien. Méthode suivie. L’élève témoigne d’une bonne maîtrise de Rousseau. Mais cette introduction se concentre seulement sur l’aspect politique de la question (oubliant que la possibilité des libertés politiques n’existe que par la liberté philosophique). En outre le contre-argument est intéressant mais opère une confusion entre connaissance et propagande. Suffit-il de ne pas aller à l’école pour échapper aux préjugés ?

 

Introduction n°4

Au lendemain de la Révolution de 1789, Condorcet réclamait dans ses Cinq mémoires sur l’instruction publique la création d’une instruction publique pour le peuple. D’après Condorcet, l’ignorance (c’est-à-dire l’absence de connaissances et de compétences) constitue un obstacle à la liberté (comprise comme la capacité à faire ce qu’on veut) car elle entraîne une dépendance (empêchant ainsi l’indépendance). Par exemple, un homme illettré est dépendant de l’homme qui sait lire à chaque fois qu’il doit lire un texte. On ne peut envisager un peuple français libre s’il n’est pas instruit (car il sera toujours dépendant). Pourtant on pourrait opposer à cet argument de Condorcet que la connaissance peut aussi limiter la liberté puisque l’homme instruit se met des barrières. L’homme ignorant est plus libre puisqu’il a moins de contrainte. Par exemple, si j’ignore le code de la route, je peux rouler à n’importe quelle vitesse.

Ainsi on est amené à se poser la question : L’ignorant est-il libre ? Il est nécessaire de se poser la question car de la réponse dépend l’existence du système d’éducation. Si on parvient à la conclusion que l’ignorance empêche la liberté, cela justifiera effectivement l’existence d’un système éducatif gratuit dans les pays libres.

 

Correction : Pas mal. Méthode respectée. Cette introduction saisit très bien les enjeux politiques de la question mais penche d’un côté. L’élève est clairement en faveur de Condorcet. La thèse opposée (qui défend l’ignorance) est ridicule. Ce n’est parce qu’on ignore les limites qu’elles n’existent plus. Même si on ignore le code de la route, on se fait arrêter par la police.

 

 

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