Category Archives: En terminale

Spinoza: Les peurs gouvernent-elles nos croyances ? (2)

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            Si les hommes avaient le pouvoir d’organiser les circonstances de leur vie au gré de leurs intentions, ou si le hasard leur était toujours favorable, ils ne seraient pas en proie à la superstition. Mais on les voit souvent acculés à une situation si difficile, qu’ils ne savent plus quelle résolution prendre ; en outre, comme leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballote misérablement entre l’espoir et la crainte, ils sont en général très enclins à la crédulité […] Si, par exemple, pendant que la frayeur les domine, un incident quelconque leur rappelle un bon ou un mauvais souvenir, ils y voient le signe d’une issue heureuse ou malheureuse ; pour cette raison et bien que l’expérience leur en ait donné cent fois le démenti, ils parlent d’un présage soit heureux, soit funeste. Enfin, si un spectacle insolite les frappe d’étonnement, ils croient être témoins d’un prodige manifestant la colère ou des Dieux, ou de la souveraine Déité ; dès lors, à leurs yeux d’hommes superstitieux et irréligieux, ils seraient perdus s’ils ne conjuraient leur destin par des sacrifices et des vœux solennels. Ayant forgé ainsi d’innombrables fictions, ils interprètent la nature en termes extravagants, comme si elle délirait avec eux.

 

Baruch Spinoza, Traité théologico-politique, 1670, trad. C. Appuhn, Flammarion

 

            En philosophie, on distingue généralement « religion » et « superstition ». Les deux sont des croyances mais la première s’estime supérieure (vérité dite « révélée », code moral et communauté de croyants).

            Le texte de Spinoza occupe une position particulière et l’élève de terminale doit bien comprendre l’originalité du philosophe. Il critique la superstition et va même jusqu’à soupçonner la religion de comporter une part de superstition. Pourtant, Spinoza fait partie des philosophes croyants (contrairement à un philosophe comme Marx qui compare la religion à « l’opium du peuple »).

Détail de l’argumentation

            Dans cet extrait, Spinoza démonte les mécanismes de la superstition. Sachant qu’il s’agit de croyance irrationnelle, on peut se demander pourquoi les humains y adhèrent.

            Spinoza identifie d’abord les situations dans lesquelles nous sommes tentés par la superstition : quand nous sommes dans l’incertitude. En effet, quand je contrôle une action (par exemple : nouer mes lacets, réaliser une addition, écrire mon nom) je n’ai pas besoin de recourir à un quelconque acte magique. En revanche, dans les situations à l’issue incertaine (rencontre sportive, histoire d’amour, examen scolaire) les humains sont tentés par la superstition. Les élèves qui se disent « au cas où… » sont motivés par ce que Spinoza appelle « l’espoir ». Mais le philosophe insiste davantage sur l’autre sentiment : « la crainte ». C’est la peur de l’avenir incertain qui motive les superstitions.

            Le texte de Spinoza critique d’abord la superstition des peuples païens et la pratique de la divination. Par exemple, à Rome, les aruspices et les augures (qui ont donné l’expression « de mauvais augure » en français) étaient des professionnels chargés de prédire à l’avenir.

            Spinoza écrit son texte au XVIIe siècle, mais vous pouvez rappeler dans votre copie que les superstitions existent toujours à notre époque (horoscope, chat noir, miroir, etc.)

            Spinoza explique également comment se forment les superstitions. D’après lui, le superstitieux aurait créé une association abusive entre un souvenir et un sentiment heureux ou malheureux (par exemple, la première fois qu’une chouette est passée devant lui, il a gagné quelque chose, par conséquent il croit que le passage d’une chouette sera toujours un signe positif). « Même si l’expérience leur en a donné cent fois le démenti » : quand le superstitieux a forgé une croyance (par exemple : un chat noir porte malheur), il continue d’y croire même si la vie leur offre plusieurs contre-exemples (un chat noir sans malheur).

            Les présages (signes censés donner une indication sur l’avenir) peuvent être ordinaires (chat, sel) ou exceptionnels (foudre, comète). Ces derniers frappent davantage l’imagination. Spinoza accuse les païens (les adeptes des polythéismes de l’Antiquité) d’être victimes de superstitions. Mais il accuse sa propre religion de comporter une part de superstition (les Prophètes de l’Ancien testament auraient peut-être mal interprété certains phénomènes, croyant lire les intentions de Dieu, « la souveraine Déité » dans le texte).

            Spinoza ne dit pas qu’il est impossible de prédire l’avenir. Le scientifique peut prévoir certaines choses : les relations causes-conséquences. Il existe des lois scientifiques dans la nature mais la superstition fait « délirer » la nature au sens où elle enfreindrait ses propres lois.

Ricoeur : Qu’est-ce qu’un texte, qu’est-ce que lire ?

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Une parole n’a qu’une permanence réduite et reste captive des circonstances où elle a été prononcée. L’écrit, lui, se libère de ces deux contraintes. Dès lors, il devient disponible pour une lecture nécessairement ouverte et plurielle. Ce que l’auteur a voulu dire n’est pas plus figé que ce que le lecteur voudra lire. Il n’y a donc pas de sens unique… Continue Reading

Nietzsche: Où se trouve le sens des motifs que les hommes se donnent pour agir ?

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Il faut peut-être, dit Nietzsche, ne pas trop les interpréter : ce que l’on croit subjectivement est sans doute plus « vrai » que des causes qui paraissent objectivement plus profondes. Continue Reading

Freud: Que révèle le rêve ?

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 Non les signes d’un hypothétique au-delà, mais des désirs inavoués. Le rêve est le message codé venu de l’intériorité du dormeur, qu’on ne comprendra qu’en défaisant par l’analyse ce qu’a réalisé un travail inconscient. Continue Reading

Aron : Qu’est-ce exactement que comprendre ?

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On ne peut pas expliquer directement un phénomène naturel : toute une construction abstraite est d’abord nécessaire. Si l’on peut en revanche saisir du premier coup par intuition les faits de la vie humaine, un autre niveau de compréhension est possible, celle du sociologue ou de l’historien. C’est ce qu’explique ici le sociologue Aron, pour présenter la méthode de Max Weber. Continue Reading

Galilée: Peut-on concilier un texte sacré et une démonstration scientifique ?

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 Copernic puis Galilée démontrent que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil et non l’inverse, comme l’implique un passage célèbre de la Bible. Galilée repousse ici l’accusation d’hérésie. Continue Reading

Nietzsche: L’existence humaine a-t-elle un sens, ou bien les hommes ont-ils été forcés de lui en inventer un ?

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Faire la « généalogie de la morale », c’est selon N démythifier les discours sur le bien, le devoir, le mal ou la faute, en les ramenant à leur véritable origine.

[…] quel sens aurait toute notre vie, si ce n’est celui-ci, que la volonté de vérité a pris en nous conscience d’elle-même en tant que problème… Point de doute, à partir du moment où la volonté de vérité devient conscience d’elle-même, la morale s’écroule […]…

En dehors de l’idéal ascétique, l’homme, animal-homme, a été jusqu’à présent dépourvu de sens. Son existence sur terre n’avait pas de but ; « pourquoi l’homme ? » était une question sans réponse ; la volonté d’être homme et sur la  terre manquait ; toutes les fois qu’une grande destinée humaine venait à s’achever, le refrain se faisait entendre encore amplifié « en vain ! ». C’est ce que signifie l’idéal ascétique : il voulait dire que quelque chose manquait, qu’une immense lacune enveloppait l’homme, — incapable de se justifier, de s’expliquer, de s’affirmer, il souffraitdu problème de son sens. Il souffrait aussi d’autres choses, il était pour

l’essentiel un animal maladif : mais son problème n’était pas la souffrance en elle-même, c’était l’absence de réponse au cri dont il interrogeait : « Pourquoi souffrir ? » L’homme, l’animal le plus courageux et le plus habitué à souffrir, ne refuse pas la souffrance en elle-même : il la veut, il la cherche même, pourvu qu’on lui montre le sens, le pourquoi de la souffrance. Le non-sens de la souffrance, et non la souffrance, est la malédiction qui a pesé jusqu’à présent sur l’humanité, — et l’idéal ascétique lui donnait un sens ! Ce fut jusqu’à présent son seul sens ; un sens quelconque vaut mieux que pas de sens du tout ; jusqu’à présent l’idéal ascétique a été à tous égards le « faute de mieux » par excellence. En lui la souffrance était interprétée ; l’immense vide semblait comblé ; la porte se fermait devant le nihilisme et son suicide. Sans aucun doute, l’interprétation entraînait une nouvelle souffrance, une souffrance plus profonde, plus intime, plus venimeuse, plus dévorante : elle plaçait toute souffrance dans la perspective de la faute… Mais malgré tout – l’homme ainsi était sauvé, il avait un sens, il cessait d’être comme une feuille dans le vent, jouet de l’absurde, de la privation de sens, il pouvait désormais vouloir quelque chose, — et ce qu’il voulait, pourquoi et par quoi il le voulait importe peu : la volonté elle-même était sauvée.

Friedrich NIETZSCHE, La Généalogie de la morale (1887)

Freud: Un univers où tout ferait signe ne serait-il pas profondément inquiétant ?

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 Pour Freud, le superstitieux et le paranoïaque se rejoignent dans la conviction que tout doit être interprété. A la différence de l’homme rationnel, ils confondent le monde extérieur avec leur monde intérieur.

Ce qui me distingue d’un homme superstitieux, c’est donc ceci : Je ne crois pas qu’un événement, à la production duquel ma vie psychique n’a pas pris part, soit capable de m’apprendre des choses cachées concernant l’état à venir de la réalité ; mais je crois qu’une manifestation non intentionnelle de ma propre activité psychique me révèle quelque chose de caché qui, à son tour, n’appartient qu’à ma vie psychique ; je crois au hasard extérieur (réel), mais je ne crois pas au hasard intérieur (psychique). C’est le contraire du superstitieux : il ne sait rien de la motivation de ses actes accidentels et actes manqués, il croit par conséquent au hasard psychique ; en revanche, il est porté à attribuer au hasard extérieur une importance qui se manifestera dans la réalité à venir, et à voir dans le hasard un moyen par lequel s’expriment certaines choses extérieures qui lui sont cachées.

            […] La distance qui sépare le déplacement opéré par le paranoïaque de celui opéré par le superstitieux est moins grande qu’elle n’apparaît au premier abord. Lorsque les hommes ont commencé à penser, ils ont été obligés de résoudre anthropomorphiquement le monde en une multitude de personnalités faites à leur image ; les accidents et les hasards qu’ils interprétaient superstitieusement étaient donc à leurs yeux des actions, des manifestations de personnes ; autrement dit, ils se comportaient exactement comme les paranoïaques, qui tirent des conclusions du moindre signe fourni par d’autres, et comme se comportent tous les hommes normaux qui, avec raison, formulent des jugements sur le caractère de leurs semblables en se basant sur leurs actes accidentels et non intentionnels.

Sigmund FREUD, Psychopathologie de la vie quotidienne (1904)

Kant: Force motrice et force organisatrice

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Puisqu’un mécanisme ne peut en engendrer un autre, ne convient-il pas de distinguer, malgré Descartes, l’animal de la machine, et, en conséquence, la force qui organise le premier de celle qui meut la seconde ? Continue Reading

Bichat: La vie est ce qui résiste à la mort

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Les manifestations du vivant s’expliquent-elles par l’action d’un « principe vital » ? En se fondant sur des observations semblables à celles de Charles Bonnet, Xavier Bichat, médecin français, donne une définition vitaliste de la vie.

            On cherche dans des considérations abstraites la définition de la vie ; on la trouvera, je crois, dans cet aperçu général : la vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort.

            Tel est, en effet, le mode d’existence des corps vivants, que tout ce qui les entoure tend à les détruire. Les corps inorganiques agissent sans cesse sur eux ; eux-mêmes exercent les uns sur les autres une action continuelle ; bientôt ils succomberaient s’ils n’avaient en eux un

principe permanent de réaction. Ce principe est celui de la vie ; inconnu dans sa nature, il ne peut être apprécié que par ses phénomènes : or, le plus général de ces phénomènes est cette alternative habituelle d’action de la part des corps extérieurs, et de réaction de la part du corps vivant, alternative dont les proportions varient suivant l’âge.

BICHAT, Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1800)

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