Pourquoi les hommes sont-ils violents ?0

Posted on novembre 18th, 2013 in Sociologie

L’actualité est régulièrement entachée par des histoires de crimes conjugaux. Je suis sidéré par les réactions. Systématiquement les gens s’émeuvent, déplorent le drame et se figent dans l’incompréhension. « On comprend pas ». J’entends régulièrement cette phrase lors des interviews et les reportages ont tendance à présenter ces crimes comme des tragédies imprévisibles. Untel serait devenu fou. C’était inattendu. Vraiment ? Quand les assistantes sociales réalisent des signalements répétés pour des affaires de violences conjugales, il est difficile de croire que l’homicide soit un événement imprévu.

On nage complètement dans une conception de la causalité telle que Nietzsche la dénonçait : on croit qu’une action résulte des choix spontanés d’une personne et que cette dernière est entièrement responsable. En réalité, nous disposons de nombreux experts en sciences humaines qui travaillent sur ces problèmes et qui proposent des solutions. Mais les sociétés préfèrent se laver les mains. On tente par exemple de prétendre que les humains sont naturellement violents pour dissimuler le rôle de l’éducation dans la formation du comportement.

Je reproduis ci-dessous une partie de mon mémoire de master consacré à cette difficile question. Il s’avère que les chiffres et les phénomènes sont (malheureusement) toujours d’actualité.

 

Le Problème de la violence des jeunes hommes

 

a)      La violence des jeunes dans les pays anglo-saxons

Les pays anglo-saxons sont confrontés à ce qu’ils nomment la violence des « young white males ». J’ouvre cette partie avec l’incipit d’un article de l’américain Paul Kivel, éducateur pour la prévention de la violence chez les jeunes, « Young White Men : Scared, Entitled, and Cynical _ A Deadly Combination », publié dans le In Motion magazine du 9 décembre 1999.

 

WE HAVE A VERY SERIOUS PROBLEM in this country. No, it’s not welfare mothers, it’s not recent immigrants, it’s not African- American or Latino men, it’s not Arab terrorists—it is young white men.

Nearly 70% of the devastating violence we experience in our communities is committed by white men and nearly 50% of that is committed by young white men between the ages of fifteen and thirty[1]. What kind of violence am I referring to? Take your pick.

Domestic violence, rape, acquaintance rape, incest, male on male fights, serial killings, racist hate crimes, gay-bashing, arson, campus riots such as recently occurred at Michigan State University, and barroom brawls. Estimates are that 95% of all violence in our society is committed by males, and although women, men of color, and white men of all ages certainly can be violent, the overwhelming majority of acts of violence can be traced to young white men.

 

Nous avons un très grave problème dans ce pays. Non, ce n’est pas le bien-être des mères, ce ne sont pas les récents immigrants, ce ne sont pas les hommes afro-américains ou hispaniques, ce ne sont pas les terroristes arabes. Ce sont les jeunes hommes blancs.
Près de 70% de la violence dévastatrice que nous vivons dans nos communautés est commise par des hommes blancs et la tranche des 15-30 ans est responsable de 50% de ces actes violents.

Mais de quelle violence parlons-nous ?
La violence domestique, le viol, l’inceste, les combats entre hommes, les meurtres en série, les crimes haineux à caractère raciste et/ou homophobe, les incendies criminels, les émeutes de campus (comme récemment celle qui a eu lieu à la Michigan State University) et les bagarres. On estime que 95% de toutes les violences dans notre société sont commises par des hommes. Bien que les femmes, les hommes de couleur, et les hommes blancs de tous âges puissent certainement être violents, l’écrasante majorité des actes de violence peuvent être attribués à des jeunes hommes blancs.

 

Ce problème de la violence des « jeunes mâles blancs » (pour reprendre la terminologie anglo-saxonne) est-il récent ? Non, Elisabeth Badinter écrivait déjà en 1992 :

« Il est certain que là où la mystique masculine continue de dominer, comme c’est le cas aux Etats-Unis, la violence des hommes est un danger perpétuel. Au début des années 1970, la Commission nationale américaine des causes et de la prévention de la violence notait : « Ce pays connaît un taux beaucoup plus élevé d’homicides, de viols, et de vols que toutes les autres nations modernes, stables et démocratiques. » La Commission ajoutait que la plupart de ces violences criminelles étaient commises par des hommes entre quinze et vingt-quatre ans. « Prouver sa virilité, expliquait le rapport, exige la manifestation fréquente de sa dureté, l’exploitation des femmes et des réponses rapides et agressives. »

Depuis vingt ans, la situation a nettement empiré et l’écart s’est encore creusé entre l’Amérique et l’Europe. On a déjà évoqué l’augmentation de la violence masculine contre les homosexuels. Mais rien n’est comparable à celle dont les femmes sont les victimes, battues ou violées. Le viol est le crime qui augmente le plus aux Etats-Unis. Le FBI estime que si cette tendance se poursuit, une femme sur quatre sera violée une fois dans sa vie. Si l’on ajoute que le nombre de femmes battues par leur mari chaque année est estimé à 1.8 million, on aura une idée de la violence qui les entoure et de la peur des hommes qu’elles ressentent légitimement[2]. »

En France, nous nous refusons à pratiquer un classement racial[3] comme aux Etats-Unis pour la bonne raison qu’il est impossible de classer qui est « blanc » et qui ne l’est pas. Il s’agit de classifications arbitraires, les « races » n’ayant jamais été prouvées scientifiquement. Pour étudier le phénomène de la violence des « young white males », nous parlerons plutôt de la violence des jeunes hommes.

Elisabeth Badinter pointe un écart entre l’Amérique et l’Europe, mais qu’en est-il en France ?

b)      Vérification par les statistiques

Observons à travers les phénomènes de la criminalité, du suicide, du crime passionnel et de la violence scolaire s’il y a une sur-représentation des hommes et des jeunes.

  • En prenant pour source les statistiques officielles de la criminalité publiées[4] par ministère de l’intérieur, je vais étudier la question de la violence en France. Les hommes et les jeunes sont-ils plus impliqués ?

J’ai dressé un tableau à partir des statistiques officielles en relevant notamment les infractions relevant des crimes violents (homicides) et la répartition des personnes mises en cause selon le critère du genre et de l’âge. Il s’agit de vérifier notre hypothèse. Qui sont les criminels ? S’agit-il d’hommes ? Sont-ils mineurs ou majeurs ?

Oui. Les hommes sont sur-représentés statistiquement. En revanche, d’après les chiffres les mineurs ne sont pas les plus impliqués.

Globalement, dans la majorité des crimes, les hommes adultes sont les plus nombreux, abstraction faite de quelques exceptions. Dans le cas des vols de véhicules motorisés à deux roues les mineurs sont plus nombreux que les majeurs. Dans le cas des homicides contre des enfants de moins de 15 ans, les femmes sont légèrement plus nombreuses que les hommes.

 

  • Pour étudier le problème du suicide, de la violence retournée contre soi, j’utilise comme source le Rapport mondial sur la violence et la santé[5] de l’OMS publié le 3 octobre 2002.

 

Pays

Année

Nombre de suicides

Suicides pour 100 000 habitants

Ratio hommes/femmes

France

1998

10 534

20

3,2

Royaume-Uni

1999

4448

9,2

3,8

Etas-Unis

1998

30 575

13,9

4,4

Japon

1997

23 502

19,5

2,4

Pologne

1995

5499

17,9

5,5

Fédération de Russie

1998

51 770

43,1

6,2

Lituanie

1999

1552

51,6

6,2

Chili

1994

801

8,1

8,1

 

On constate que la France a un taux élevé de suicides (semblable à celui du Japon). J’avais posé l’hypothèse que les peuples anglo-saxons étaient violents mais leur taux de suicides est plus bas.

Il ressort nettement des chiffres de l’OMS que les hommes se suicident plus que les femmes, dans tous les pays. En France, les hommes se suicident trois fois plus que les femmes. Ce ratio peut augmenter sensiblement dans d’autres pays.

On peut incriminer les conditions socio-économiques quand on tente d’expliquer le suicide. Mais comment expliquer, malgré les interdits religieux, le nombre important de suicides dans les pays riches ou en voie de développement? Comment expliquer que les hommes se suicident plus que les femmes ? Faut-il l’expliquer par une plus grande violence des hommes, contre eux-mêmes ?

  • Qu’en est-il du crime passionnel (quand un homme tue sa femme ou inversement) en France ? D’après le rapport Coutanceau[6], publié en 2006, une femme meurt tous les 4 jours environ, sous les coups de son conjoint. Inversement, un homme meurt tous les 16 jours environ sous les coups de sa conjointe. Il faut en conclure que les hommes sont plus violents que les femmes.

Dans le cas des crimes passionnels « Plus de la moitié  des hommes (55%) tuent une femme qui les quitte ou menace de le faire, et une proportion presque  équivalente (53%), une femme qui les trompe, ou qu’ils soupçonnent de le faire[7]. »

Les hommes tueraient plutôt pour « garder les femmes, tandis que celles-ci seraient  souvent amenées à tuer pour se  débarrasser de leur conjoint[8] ».

« Le meurtre d’une femme par son partenaire est vu comme un fémicide dans le mesure où la dynamique de pouvoir y est toujours prédominante : les hommes violent, tuent, non pas parce qu’ils perdent le contrôle d’eux-mêmes, mais parce qu’ils cherchent à exercer un contrôle sur leur partenaire (Radford et Russel 1992).[9] »

D’après le rapport Coutanceau 31% des crimes conjugaux seraient liés à la séparation. Que peut-on en conclure ? Dans ces différents cas, il n’est pas question de savoir s’adapter aux circonstances. Nous avons des individus qui réagissent par la violence. Incapables de garder le contrôle sur une situation, sur une personne, ils recourent à la force brute, à la violence.

 

  • Pour s’interroger sur le problème de la violence des jeunes, on peut également étudier la sociologie scolaire et le problème de la violence scolaire en France. Sylvie Airal[10] remarque que la grande majorité des élèves punis au collège sont des garçons (plus de 80 %). Ce taux augmente encore pour les problèmes de violence. Faut-il en conclure que les jeunes garçons sont violents ? Sylvie Airal arrive à la conclusion que les garçons cherchent systématiquement la transgression et la sanction (devenues l’équivalent d’une épreuve, d’un rite de passage) pour affirmer leur identité sexuelle. Toutefois cette étude récente montre encore une fois que les garçons sont plus violents que les filles.

 

D’après le rapport mondial sur la violence et la santé[11] de l’OMS publié le 3 octobre 2002 :

« Il est très courant, dans bien des régions du monde, que les enfants d’âge scolaire se battent. Un tiers environ des élèves déclarent s’être battus, et les garçons sont deux à trois fois plus nombreux que les filles dans ce cas. Il est fréquent aussi que l’on s’intimide entre enfants d’âge scolaire. Il ressort d’une étude des comportements liés à la santé visant les enfants d’âge scolaire de 27 pays que, dans la plupart des pays, la majorité des enfants de 13 ans cherchent à intimider autrui pendant une partie du temps au moins. Hormis le fait qu’il s’agit de formes d’agression, l’intimidation et les bagarres peuvent également déboucher sur des formes de violence plus graves ».

Les chiffres de l’OMS semblent confirmer une prédisposition des mâles à la violence.

c)      Les hommes sont-ils naturellement violents ?

Les hommes sont-ils violents par nature ? Existe-t-il une violence innée chez les mâles ? Bien sûr que non. L’observation de divers peuples nous amène à penser que l’éducation est primordiale dans le développement de caractères violents. Si les jeunes hommes des sociétés occidentales du XXe siècle sont violents, ce n’est pas le cas dans certains peuples comme les Semai[12] :

« Les Semai pensent que l’agressivité est la pire des calamités et la frustration de l’autre, le mal absolu. Résultat, ils ne se montrent ni jaloux, ni autoritaires, ni méprisants. Ils cultivent des qualités non compétitives, sont plutôt passifs et timides et s’effacent volontiers devant les autres, hommes ou femmes. Peu préoccupés par la différence des sexes, ils n’exercent aucune pression sur les enfants mâles pour qu’ils se distinguent des filles et deviennent de petits durs[13] ».

C’est la société qui conditionne les individus. La question se pose donc : qu’est-ce qui provoque ce mal-être et cette violence dans nos sociétés occidentales ?

 

Pour aller plus loin, voici un lien pour suivre les résultats du colloque « Genre et violence dans les institutions scolaires et éducatives » auquel j’ai failli participer en octobre: http://mixite-violence.sciencesconf.org/


 

[1] Department of Justice statistics for 2000 which can be found at http://www.justice.gov

[2] Badinter E., XY De l’identité masculine, 1992, Le livre de poche, p 206-207

[3] Courrier de l’UNESCO, édition de juillet-août 1950 , « Les Savants du monde entier dénoncent un mythe absurde… le racisme »

[5] ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE, Rapport mondial sur la violence et la santé, Genève, 2002 : http://www.who.int/violence_injury_prevention/violence/world_report/fr/index.html

[7] Annik Houel et Patricia Mercader, Psychosociologie du crime passionnel, 2008, PUF, p 65

[8] Ibid., p 66

[9] Ibid., p 111-112

[10] Sylvie Airal. La fabrique des garçons, Sanctions et genre au collège, PUF, 2011.

[12] Lire D. Gilmore, Manhood in the Making. Cultural Concepts of Masculinity, Yale University Press, 1990 et Robert K. Dentan The Semai: A Non Violent People of Malaysia, N.Y. Holt, Rinehart and Wurston, 1979

[13] Badinter E, op. cit., p 49, note 5

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