Descartes : Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée
Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas invraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne marchent que fort lentement, peuvent avancer beaucoup davantage, s’ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s’en éloignent.
Pour moi, je n’ai jamais présumé que mon esprit fût en rien plus parfait que ceux du commun ; même j’ai souvent souhaité d’avoir la pensée aussi prompte, ou l’imagination aussi nette et distincte, ou la mémoire aussi ample, ou aussi présente, que quelques autres. Et je ne sache point de qualités que celles-ci, qui servent à al perfection de l’esprit : car pour la raison, ou le sens, d’autant qu’elle est la seule chose qui nous rend hommes, et nous distingue des bêtes, je veux croire qu’elle est tout entière en un chacun […].
René DESCARTES, Discours de la méthode, 1ère partie
Résumé pour vos fiches de révision :
Dans l’incipit du Discours de la Méthode, Descartes déclare que « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». Il suppose donc que tous les humains sont également pourvus de raison. Tout le monde peut raisonner.
Mais comment expliquer les inégalités d’intelligence ? Descartes suppose que nous sommes tous pourvus de raison alors que, dans les faits, on constate que certains raisonnements sont plus justes que d’autres, que certaines personnes sont plus efficaces que d’autres.
Il ne s’agit pas d’un problème d’intelligence mais de méthode. Ceux qui trompent suivent une mauvaise méthode. Pour Descartes, il faut suivre une méthode scientifique (rigoureuse) pour atteindre la vérité : le philosophe opère la comparaison entre deux penseurs et deux coureurs. Qui sera le premier arrivé ? Celui qui court rapidement mais qui s’éloigne de l’objectif ou celui qui avance lentement et sûrement ?
Et c’est tout le sujet du livre intitulé Discours de la méthode : Descartes expose à son lecteur (doté d’une raison comme lui) la méthode à utiliser pour s’approcher de la vérité.
Spinoza: Les peurs gouvernent-elles nos croyances ? (2)
Si les hommes avaient le pouvoir d’organiser les circonstances de leur vie au gré de leurs intentions, ou si le hasard leur était toujours favorable, ils ne seraient pas en proie à la superstition. Mais on les voit souvent acculés à une situation si difficile, qu’ils ne savent plus quelle résolution prendre ; en outre, comme leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballote misérablement entre l’espoir et la crainte, ils sont en général très enclins à la crédulité […] Si, par exemple, pendant que la frayeur les domine, un incident quelconque leur rappelle un bon ou un mauvais souvenir, ils y voient le signe d’une issue heureuse ou malheureuse ; pour cette raison et bien que l’expérience leur en ait donné cent fois le démenti, ils parlent d’un présage soit heureux, soit funeste. Enfin, si un spectacle insolite les frappe d’étonnement, ils croient être témoins d’un prodige manifestant la colère ou des Dieux, ou de la souveraine Déité ; dès lors, à leurs yeux d’hommes superstitieux et irréligieux, ils seraient perdus s’ils ne conjuraient leur destin par des sacrifices et des vœux solennels. Ayant forgé ainsi d’innombrables fictions, ils interprètent la nature en termes extravagants, comme si elle délirait avec eux.
Baruch Spinoza, Traité théologico-politique, 1670, trad. C. Appuhn, Flammarion
En philosophie, on distingue généralement « religion » et « superstition ». Les deux sont des croyances mais la première s’estime supérieure (vérité dite « révélée », code moral et communauté de croyants).
Le texte de Spinoza occupe une position particulière et l’élève de terminale doit bien comprendre l’originalité du philosophe. Il critique la superstition et va même jusqu’à soupçonner la religion de comporter une part de superstition. Pourtant, Spinoza fait partie des philosophes croyants (contrairement à un philosophe comme Marx qui compare la religion à « l’opium du peuple »).
Détail de l’argumentation
Dans cet extrait, Spinoza démonte les mécanismes de la superstition. Sachant qu’il s’agit de croyance irrationnelle, on peut se demander pourquoi les humains y adhèrent.
Spinoza identifie d’abord les situations dans lesquelles nous sommes tentés par la superstition : quand nous sommes dans l’incertitude. En effet, quand je contrôle une action (par exemple : nouer mes lacets, réaliser une addition, écrire mon nom) je n’ai pas besoin de recourir à un quelconque acte magique. En revanche, dans les situations à l’issue incertaine (rencontre sportive, histoire d’amour, examen scolaire) les humains sont tentés par la superstition. Les élèves qui se disent « au cas où… » sont motivés par ce que Spinoza appelle « l’espoir ». Mais le philosophe insiste davantage sur l’autre sentiment : « la crainte ». C’est la peur de l’avenir incertain qui motive les superstitions.
Le texte de Spinoza critique d’abord la superstition des peuples païens et la pratique de la divination. Par exemple, à Rome, les aruspices et les augures (qui ont donné l’expression « de mauvais augure » en français) étaient des professionnels chargés de prédire à l’avenir.
Spinoza écrit son texte au XVIIe siècle, mais vous pouvez rappeler dans votre copie que les superstitions existent toujours à notre époque (horoscope, chat noir, miroir, etc.)
Spinoza explique également comment se forment les superstitions. D’après lui, le superstitieux aurait créé une association abusive entre un souvenir et un sentiment heureux ou malheureux (par exemple, la première fois qu’une chouette est passée devant lui, il a gagné quelque chose, par conséquent il croit que le passage d’une chouette sera toujours un signe positif). « Même si l’expérience leur en a donné cent fois le démenti » : quand le superstitieux a forgé une croyance (par exemple : un chat noir porte malheur), il continue d’y croire même si la vie leur offre plusieurs contre-exemples (un chat noir sans malheur).
Les présages (signes censés donner une indication sur l’avenir) peuvent être ordinaires (chat, sel) ou exceptionnels (foudre, comète). Ces derniers frappent davantage l’imagination. Spinoza accuse les païens (les adeptes des polythéismes de l’Antiquité) d’être victimes de superstitions. Mais il accuse sa propre religion de comporter une part de superstition (les Prophètes de l’Ancien testament auraient peut-être mal interprété certains phénomènes, croyant lire les intentions de Dieu, « la souveraine Déité » dans le texte).
Spinoza ne dit pas qu’il est impossible de prédire l’avenir. Le scientifique peut prévoir certaines choses : les relations causes-conséquences. Il existe des lois scientifiques dans la nature mais la superstition fait « délirer » la nature au sens où elle enfreindrait ses propres lois.
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