Nietzsche: L’existence humaine a-t-elle un sens, ou bien les hommes ont-ils été forcés de lui en inventer un ?0

Posted on novembre 25th, 2012 in En terminale

Faire la « généalogie de la morale », c’est selon N démythifier les discours sur le bien, le devoir, le mal ou la faute, en les ramenant à leur véritable origine.

[…] quel sens aurait toute notre vie, si ce n’est celui-ci, que la volonté de vérité a pris en nous conscience d’elle-même en tant que problème… Point de doute, à partir du moment où la volonté de vérité devient conscience d’elle-même, la morale s’écroule […]…

En dehors de l’idéal ascétique, l’homme, animal-homme, a été jusqu’à présent dépourvu de sens. Son existence sur terre n’avait pas de but ; « pourquoi l’homme ? » était une question sans réponse ; la volonté d’être homme et sur la  terre manquait ; toutes les fois qu’une grande destinée humaine venait à s’achever, le refrain se faisait entendre encore amplifié « en vain ! ». C’est ce que signifie l’idéal ascétique : il voulait dire que quelque chose manquait, qu’une immense lacune enveloppait l’homme, — incapable de se justifier, de s’expliquer, de s’affirmer, il souffraitdu problème de son sens. Il souffrait aussi d’autres choses, il était pour

l’essentiel un animal maladif : mais son problème n’était pas la souffrance en elle-même, c’était l’absence de réponse au cri dont il interrogeait : « Pourquoi souffrir ? » L’homme, l’animal le plus courageux et le plus habitué à souffrir, ne refuse pas la souffrance en elle-même : il la veut, il la cherche même, pourvu qu’on lui montre le sens, le pourquoi de la souffrance. Le non-sens de la souffrance, et non la souffrance, est la malédiction qui a pesé jusqu’à présent sur l’humanité, — et l’idéal ascétique lui donnait un sens ! Ce fut jusqu’à présent son seul sens ; un sens quelconque vaut mieux que pas de sens du tout ; jusqu’à présent l’idéal ascétique a été à tous égards le « faute de mieux » par excellence. En lui la souffrance était interprétée ; l’immense vide semblait comblé ; la porte se fermait devant le nihilisme et son suicide. Sans aucun doute, l’interprétation entraînait une nouvelle souffrance, une souffrance plus profonde, plus intime, plus venimeuse, plus dévorante : elle plaçait toute souffrance dans la perspective de la faute… Mais malgré tout – l’homme ainsi était sauvé, il avait un sens, il cessait d’être comme une feuille dans le vent, jouet de l’absurde, de la privation de sens, il pouvait désormais vouloir quelque chose, — et ce qu’il voulait, pourquoi et par quoi il le voulait importe peu : la volonté elle-même était sauvée.

Friedrich NIETZSCHE, La Généalogie de la morale (1887)

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