Monthly Archives: novembre 2011

Quitte à copier…copiez sur un bon: corrigé de la dissertation sur la liberté

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C’est fou les coïncidences! J’ai plusieurs copies qui ressemblent exactement à ça:

 

Introduction

La conscience me donne le sentiment d’être libre. Mais puis-je en déduire qu’elle me démontre que je suis réellement libre ? Non répond le déterminisme : se sentir libre n’est pas être libre. La croyance en notre liberté repose sur une ignorance des causes réelles qui nous font agir. A ce propos, Spinoza affirme dans l’Ethique que « ceux donc qui croient qu’ils parlent ou se taisent ou font quelque action que ce soi,  par un libre décret de l’âme, rêvent les yeux ouverts ». En effet, c’est concevoir l’homme un empire dans un empire », croire naïvement « que l’homme trouble l’ordre de la nature plutôt qu’il ne le suit, qu’il a sur ses propres actions un pouvoir absolu et ne tire que de lui-même sa détermination ».

Ne peut-on pas sauver la liberté contre ce déterminisme ? Comment penser la possibilité de la liberté humaine ? En un mot, La liberté n’est-elle pas une illusion ?

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Athéna, fille de Mètis

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Athéna est la fille de Mètis. « C’est donc par sa mère qu’Athéna se trouve bien pourvue en mètis, qu’elle est née polúboulos et polúmētis[1] »

Athéna semble cumuler les fonctions au point qu’on a du mal à définir son champ propre.  « Athéna semble se disperser dans la pluralité de ses fonctions et la diversité de ses interventions[2] »

Athéna déesse agraire

En plus d’être la déesse de la guerre, de la sagesse et des arts ménagers, Athéna est envisagée comme déesse agraire. Pestalozza s’est efforcé de démontrer que derrière Athéna, vierge et guerrière, se cachait une déesse-mère, avec l’araire pour attribut et le labourage comme activité première.

Mythe transmis par Servius :  Athéna avait pour amie Murmix une humaine, vierge et habile de ses mains.  Déméter invente le blé pour les humains. Athéna décide d’inventer « l’araire ». Murmix dérobe l’invention et va voir les hommes en prétendant l’avoir inventé. Murmix finira changée en fourmi.

Ce que ce mythe montre clairement c’est que, même si le champ d’action est le même (l’agriculture), les déesses Déméter et Athéna n’ont pas la même action. Déméter invente le blé. Athéna invente un outil. La fille de Mètis est du côté de l’invention technique.

« Athéna est une puissance technicienne qui peut intervenir dans le domaine agricole[3]. »

« l’habileté manuelle d’Athéna semble privilégier cette forme d’intelligence pratique que les Romains désignent par sollertia et les Grecs par mètis[4]. »

Sollertia : habileté manuelle et intelligence pratique.

Athéna, déesse de la guerre

Athéna semble empiéter sur le territoire de tous les dieux comme on va le voir. Elle intervient dans l’agriculture comme puissance technicienne. Athéna est aussi déesse de la guerre. Pourquoi les Grecs avaient-ils besoin d’avoir deux dieux de la guerre dans leur Panthéon ? Arès, dieu de la guerre, est-il insuffisant ? Ou bien, faut-il comprendre qu’à côté d’Arès, la férocité du guerrier, Athéna représente une autre facette du guerrier ? « Arès n’a pas une réputation de grande subtilité : c’est une brute sans ombre de mètis[5]. » La fille de Mètis fait donc figure d’intelligence rusée à côté de lui :

            « l’Athéna Chalkioikos de Sparte […] porte le nom de Mètis[6] ». Elle est une « Athéna armée, revêtue du bronze des guerriers[7] ».

Athéna passe souvent pour avoir inventé la danse pyrrhique : danse armée qui se danse soit avant, soit après un combat[8].

« Car si les coups de main contre les postes ennemis exigent, outre le courage, hardiesse du coup d’œil et rapidité d’exécution, si l’aguet et l’embuscade demandent la prudence du renard et l’habileté du « crypte » pour ne pas se faire voir ni se laisser surprendre, si ces différentes opérations militaires font appel à des qualités de ruse et de duplicité dont le IVe  siècle fera gloire à ses généraux et à ses stratèges, ces professionnels d’une guerre plus technique, et même si certaines de ces manœuvres mettent parfois en cause Athéna, son aide et ses conseils, la mètis de la déesse en armes met en œuvre des moyens plus secrets qui mobilisent d’inquiétantes magies et des sortilèges prestigieux[9]. »

Le guerrier a besoin des mêmes qualités que le chasseur : vivacité, discrétion, duplicité. Mais Athéna possède aussi une magie guerrière. La stratégie militaire ne se limite pas à la technique.

Si on étudie de plus près la guerre chez les Grecs[10], on remarque des choses apparemment incohérentes. Les hoplites recouvraient leur bouclier d’une mince feuille de bronze. Pourquoi alourdir volontairement son arme ? Parce que l’arme peut renvoyer la lumière. Une armée au soleil peut aveugler l’adversaire et contribuer à la déstabiliser « psychologiquement ».

On utilise un anachronisme en parlant de psychologie mais c’est bien de ce dont il est question. Il existe un cas exceptionnel où l’armée adverse décide de fuir avant même que le combat ne commence. La terreur (Phobos) peut s’emparer d’une armée et donner la victoire à l’autre. Le guerrier a donc besoin de s’adjoindre une magie pour résister et impressionner.

 

« Pour rendre invincible le guerrier qu’elle a choisi de protéger, la fille de Zeus le recouvre de l’égide « terrifiante », de cet objet mi-bouclier, mi-cuirasse, où s’étalent en couronne les masques de Déroute (Phóbos), de Querelle (Eris) et la tête monstrueuse de la Gorgone. Arme absolue qu’Héphaistos aurait donné à Zeus pour jeter la panique parmi les humains[11], à moins que Mètis selon une tradition parallèle[12], ne l’ait elle-même forgée pour sa fille, faisant ainsi cadeau à Athéna d’une arme « dont rien ne peut triompher, pas même la foudre de Zeus[13] » »

Athéna aurait hérité de sa mère une arme plus puissante que la foudre de Zeus qui aurait la capacité d’immobiliser et de terrifier. En tant que déesse de la guerre, Athéna représente plus que le savoir technique et la ruse, elle représente cette part de magie liée à la peur.

La mythologie grecque parle déjà de la méduse qui pétrifie les gens d’un regard. Zeus peut paralyser Typhon en ouvrant les yeux. Enfin, Athéna est la déesse « au regard brillant » (glaukôpis). Faut-il comprendre que le regard a un rôle à jouer dans la magie guerrière ?

« Comme la chouette (glaúx) qui séduit et terrorise les autres oiseaux par son œil fixe, plein de feu, autant que par les modulations de son chant, Athéna triomphe de ses ennemis par l’œil et par la voix de ses armes de bronze, ces armes dont la tradition épique compare volontiers l’éclat à la lueur de l’éclair et le bruit au grondement du tonnerre[14]. »

 « Sa mètis fonctionne comme un mécanisme de fascination qui combine certains comportements magiques du guerrier archaïque[15] »

Athéna domine ses adversaires par son regard et par sa voix. Elle terrorise. Un guerrier doit donc avoir un regard décidé et hurler pour impressionner ses adversaires. Cela ferait partie de la technique martiale.

Athéna et le mors

Ensuite, prenons l’exemple du « mors ». En apparence, il s’agit d’une invention technique donc elle appartient au champ d’Athéna qui dirige l’intelligence technique (à la veille de Salamine, c’est un mors que Cimon d’Athènes vient déposer sur l’autel d’Athéna[16]).

« Le mors de filet que porte tout cheval attelé ou monté apparaît comme un équivalent des potions magiques, des drogues et des préparations mystérieuses dont Médée […] fait usage, mieux que personne pour donner à Jason la maîtrise des taureaux dans l’épreuve du labourage, ou pour subjuguer le serpent monstrueux, chargé de surveiller jour et nuit la Toison d’or[17]

Mais le « mors » a un statut double. C’est un objet créé et un objet magique. Pour expliquer cet effet « magique » il faut rappeler que pour les Grecs le même agit sur le même. Donc pour agir sur le cheval, il ne faut pas seulement un objet métallique issu de l’esprit humain, il faudrait quelque chose de même nature que le cheval. On parle d’un lien purement analogique (presque alchimique).

« D’une part, le chalinós est un produit de la métallurgie […] D’autre part, le frein placé dans la bouche du cheval agit sur lui comme une prise magique »[18].

« Pour avoir prise sur sa puissance inquiétante, le mors doit être, d’une certaine manière, de même nature que le cheval[19] »

« Le mors qui s’agite dans sa bouche, s’il est l’instrument dont use le cavalier pour mener sa monture, est aussi, par sa nature ignée et par le cliquetis métallique qu’il fait entendre, une  sorte de redoublement du bruit sinistre émis par la mâchoire de la bête.[20] »

Enfin dans le mythe de Pindare : « Le mors qu’Athéna donne à Bellérophon n’est pas tenu pour un produit de la métallurgie, un de ces chefs d’œuvre qu’Héphaïstos anime de sa puissance démiurgique ; il est pensé comme un objet technique qui permet de dominer un animal aux réactions imprévisibles[21]. »

Si le mors provient de deux divinités, elles n’ont pas le même statut. Héphaïstos, dieu des forges, représente le pouvoir démiurgique : il crée un objet. Athéna va ajouter sa « force magique » qui permet l’utilisation, la maîtrise, du mors pour dominer le cheval. La mètis d’Athéna serait du côté de la bonne utilisation.

 

Le char est attribué à Poséidon. Le char est mis sous la protection du dieu marin comme on peut le voir dans le rituel d’Onchestos. Celui-ci consistait à faire courir un char tiré par des chevaux à travers un bois sacré. Le conducteur dudit char devait descendre de son véhicule juste avant d’entrer dans le bois. Ainsi, on laissait à Poséidon le soin de calmer les chevaux. Car Poséidon possède également ce pouvoir d’effrayer et de calmer les chevaux.

Alors quelles sont les places respectives d’Athéna et de Poséidon ? La réponse nous est peut-être fournie par Mnaséas de Patara, historien du IIe siècle avant notre ère.

Selon lui, les Lybiens prétendaient avoir appris de Poséidon l’art d’atteler le char, hàrma zeûxai et d’Athéna l’art de conduire l’attelage, hēniocheîn[22]. Le char appartient à Poséidon et l’art de conduire à Athéna.

Athéna, la main sur le four

Athéna, en tant que déesse, va également aider l’artisan à choisir le moment opportun pour retirer le pain du four. Si on le retire trop tôt, il ne sera pas assez cuit. Si on le retire trop tard, il sera trop cuit. Il faut donc choisir le bon moment.

L’Athéna technicienne n’est pas simple ouvrière, bànausos, elle est toujours maître d’œuvre, cheironax, l’artisan qui possède la maîtrise[23]. Cette main étendue sur le four, c’est le signe de la maîtrise qu’Athéna exerce sur le kairós, le temps de l’opportunité à saisir[24].

Athéna, aithuia, veille sur la navigation.

Aristote[25] écrit que dans la navigation, il n’y a pas de savoir général de tous les cas particuliers, pas de connaissance certaine de tous les souffles qui sillonnent la mer. 

Puisqu’on ne peut pas se fier à une connaissance figée, il faut se fier à la mètis. Poséidon, peut apaiser ou déchaîner les flots, mais Athéna peut guider le pilote. Elle peut l’aider à trouver « une voie » dans le dédale que représente la haute mer.

Athéna, Keleútheia, veille sur la course

Athéna veille également sur les courses. Sur trois moments particuliers : le départ, le tournant et la ligne d’arrivée. Pourquoi ? Parce que ces trois moments sont les plus difficiles et représentent l’occasion de renverser les rapports de force. C’est donc le moment d’utiliser sa mètis.

L’art de construire et l’art de conduire

Athéna ne se contente pas de surveiller la conduite du char. Elle préside également à sa construction. Même chose pour le bateau. Le rôle d’Athéna est double : art de conduire et art de construire.

 

Faut-il rattacher cette intelligence technique à la mètis ? On pouvait aisément comprendre que la mètis intervenait dans la conduite du bateau. On était placé dans un contexte mouvant, sans repère, et il fallait improviser pour réussir à franchir l’obstacle. Mais pourquoi parler d’Athéna au moment de construire le bateau ou le char ? Nous ne sommes pas en haute mer ou dans un contexte mouvant.

Athéna a inventé le navire. Elle l’a créé une première fois par une opération de l’intelligence, dans son esprit, puis elle l’a créé par une activité technique. Athéna invente le navire comme une solution face au problème de la mer.



[1] Detienne et Vernant, Les ruses de l’intelligence, p 172

[2] Ibid., p 169

[3] Ibid., p 171

[4] Ibid., p 171-172

[5] Ibid., p 269

[6] Dickins G., « the Hieron of Athena Chalkioikos », ABSA 13, 1906-1907, p137-154

[7] Aristophane, Lysistrata, 1320

[8] L. Séchan, La danse grecque antique, Paris, 1930, p 90-95 ; 107

[9] Detienne et Vernant, Op. cit., p 174

[10] Debidour M., Les grecs et la guerre

[11] Illiade, XV, 309

[12] [Hésiode], F. 343, 18

[13] Illiade, XXI, 401

[14] Il., XI, 16, 44-46 ; 83 ; XVII, 591-596

[15] Detienne et Vernant, Op. cit., p 176

[16] Plutarque, Cimon, 5, 1

[17] Detienne et Vernant, Op. cit., p 186

[18] Ibid., p 186

[19] Ibid., 187

[20] Ibid., 189

[21] Ibid., 191

[22] Detienne et Vernant, Op. Cit., p 198

[23] Ibid., p 187, note 49

[24] Ibid., p 187, note 49

[25] Aristote, Eth. Eud., VIII, 2, 1247 a 5-7, Eth. Nicom., III, 5, 1112 b 4-7

Le renard

Le renard

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« Le renard a dans son sac mille tours, mais sa ruse culmine dans ce qu’on peut appeler la conduite du retournement. De son côté, le poulpe symbolise, dans l’infinie souplesse de ses tentacules, l’insaisissabilité par polymorphie[1]. »

 

 

 

 

 

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Typhon

Typhon

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Typhon, un puissant monstre décide d’attaquer l’Olympe. Ce monstre ressemble à une tempête. Il est multiple.  On parle de Typhon polúplokos, un être multiple « aux cent têtes[1] ». « Chez Apollodore, Typhon, fils de Gè et de Tartaros, est le plus puissant, le plus gigantesque de tous les êtres engendrés par la Terre-Mère[2] ». Typhon possède l’infatiguable mobilité de ses pieds. Il profite d’un instant d’inattention dans la vigilance parfaite de Zeus pour attaquer l’Olympe.

C’est Zeus, le dieu qui possède toute la mètis du monde, qui parvient à le terrasser.

Que représente Typhon?

La Mobilité

« L’art de la guerre est l’art de garder sa liberté d’action. » (Xénophon)

Typhon possède une extrême mobilité. La capacité à se déplacer en permanence augmente l’imprévisibilité et réduit les chances d’être encerclé ou entravé.

La mobilité est une attitude physique et mentale. Le mobile exerce une liberté d’action, se réserve une pluralité d’options. La mobilité permet d’agir sur le monde et non pas d’attendre de réagir.

 


[1] Platon, Phèdre, 230 a

[2] Detienne et Vernant, Op. Cit., p 117

Introduction à la mètis : Detienne et Vernant

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Les civilisations occidentales conçoivent l’intelligence d’après l’intelligence rationnelle. « Une » intelligence basée sur le logos, l’intelligence mathématique, la pensée démonstrative, capable de saisir les abstractions et les lois éternelles. Dans l’Antiquité, le philosophe est celui qui parvenait à s’extraire de l’impermanence des choses pour chercher le fixe, le stable. Pourtant il existait une autre forme d’intelligence chez les Grecs : l’intelligence pratique. L’intelligence rusée des chasseurs, des guerriers, des artisans dont Ulysse est le représentant. Cette intelligence, cette mètis fut l’objet d’une série de travaux de Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant. Il en ressort que l’intelligence rusée n’est pas une mais multiple.  

La déesse Mètis (avec une majuscule) est la mère d’Athéna dans la théogonie d’Hésiode. Ce que l’on définit comme la mètis  (avec une minuscule) serait un certain type d’intelligence engagée dans la pratique, affrontée à des obstacles qu’il faut dominer en rusant pour obtenir le succès dans les domaines les plus divers de l’action.

On pourrait définir, dans un premier temps, la mètis comme la ruse du menteur, l’astuce du tricheur, la malignité du dissimulateur. Un art du mensonge, de la tromperie et de la dissimulation.  Mais ce terme recouvre un champ sémantique bien plus vaste. D’après Detienne et Vernant, elle recouvre « un mythe de souveraineté, les métamorphoses d’une divinité aquatique, les savoirs d’Athéna et d’Héphaïstos, d’Hermès et d’Aphrodite, de Zeus et de Prométhée, un piège pour la chasse, un filet de pêche, l’art du vannier, du tisserand, du charpentier, la maîtrise du navigateur, le flair du politique, le coup d’œil expérimenté du médecin, les roueries d’un personnage retors comme Ulysse, le retournement du renard et la polymorphie du poulpe, le jeu des énigmes et des devinettes, l’illusionnisme rhétorique des sophistes.[1] »

Les deux anthropologues mettent en garde contre une autre interprétation possible. La mètis n’est pas l’inspiration hasardeuse. Ce n’est pas l’alibi incohérent inventé par un enfant pour échapper à la fessée. Il s’agit de « comportements intellectuels qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d’esprit, la feinte, la débrouillardise, l’attention vigilante, le sens de l’opportunité, des habiletés diverses, une expérience longuement acquise ; elle s’applique à des réalités fugaces, mouvantes, déconcertantes et ambiguës, qui ne se prêtent ni à la mesure précise, ni au calcul exact, ni au raisonnement rigoureux[2] ». Il s’agit donc d’un ensemble d’attitudes mentales.

 



[1] Vernant J.-P. et Detienne M., Les ruses de l’intelligence. La mètis grecque,1974, Flammarion, coll. Champs essais, p 8

[2] Vernant et Detienne, Op. Cit., p 10

Analyse d’un texte de Rousseau (Notions: nature, liberté)

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Texte de Rousseau

 

« Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence entre l’homme et l’animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c’est la faculté de se perfectionner ; faculté qui, à l’aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l’espèce que dans l’individu, au lieu qu’un animal est, au bout de quelques  mois, ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l’homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? N’est-ce point qu’il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la bête, qui n’a rien acquis et qui n’a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l’homme reperdant par la vieillesse ou d’autres accidents tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête elle-même ? Il serait triste pour nous d’être forcés de convenir, que cette faculté distinctive, et presque illimitée, est la source de tous les malheurs de l’homme  […] »

 

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes

P 183-184 de l’édition Garnier-Flammarion

 

 

Explication de texte

Qui est l’auteur ?

Jean-Jacques Rousseau.  

Philosophe du 18ème siècle. Originaire de la république de Genève, il est compté comme un philosophe français. Il a écrit quelques ouvrages en philosophie politique. Il pense notamment que la société résulte d’un « pacte social ». Rousseau conteste l’inégalité entre les hommes à c’est la société qui crée les inégalités.

Rousseau a également laissé une œuvre conséquente sur les théories de l’éducation. Mais pour expliquer ce texte il faudra se concentrer sur l’aspect « philosophie politique ». Rousseau ayant abandonné ses cinq enfants ses adversaires l’ont accusé de ne rien connaître à l’éducation.

De quel livre est extrait ce passage ?

Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.

Discours écrit par Rousseau. Le philosophe cherche à montrer qu’à « l’état de nature » les hommes étaient égaux, heureux. Ensuite, la société a créé les inégalités (le riche/le pauvre).

Quelle est la thèse de l’auteur dans ce texte? (quelle est la position défendue par l’auteur ?)

L’homme n’a pas une nature comme les animaux mais une perfectibilité, c’est-à-dire la capacité d’évoluer, de se perfectionner.

A quelle problématique répond-il ?

L’homme a-t-il une nature ?

Vous pouvez replacer ce texte dans une confrontation entre nature et culture. Il peut être également utilisé dans un sujet sur la société ou la liberté.

 

Quelle est l’argumentation utilisée par le philosophe ?

Comment débute l’argumentation de Rousseau ? Il explique qu’une espèce animale n’évolue pas en mille ans. Un bébé animal ressemble déjà à ce qu’il sera toute sa vie. Un bébé cheval sait courir. Il ne fera rien de nouveau.

On devine que par opposition l’homme est différent.

Le bébé humain est très différent de l’adulte qu’il va devenir. Il est différent des adultes qu’il peut devenir. Car Rousseau définit la nature humaine comme « perfectibilité », c’est-à-dire la capacité d’évoluer (en bien ou en mal).

Place de ce texte dans l’œuvre de Rousseau

Rousseau cherche à montrer que l’homme est bon par nature et que la société le pervertit. Alors pourquoi ce texte ?

Si l’homme est vraiment « bon par nature », que c’est notre nature inaltérable d’être bon à on devrait être bon et la société n’y pourrait rien. Or ce n’est pas le cas.

Comment expliquer ça ?

Rousseau montre que la nature de l’homme est d’être perfectible : on peut évoluer. Donc on peut évoluer en mal. On devient jaloux, arrogant. La société nous déforme.

Pessimiste ce texte ? Non. Si Rousseau établit la capacité de l’homme à évoluer, il établit également l’espoir d’un changement. Certes la société est mauvaise mais on peut changer. Ce qui ouvre la possibilité pour un « nouvel homme », un nouveau « contrat social » (qui sera développé dans le livre suivant de Rousseau Du contrat social).

 

Qu’est-ce que la mètis ?

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Qu’est-ce que la « mètis » ?

 

Êtes-vous capable d’improviser, de vous adapter aux situations, de vous déguiser ou de conduire malgré les imprévus?

Si vous avez répondu oui à ces interrogations, alors vous avez déjà la mètis. L’intelligence rusée. L’intelligence du poulpe et du renard.

Je vous vois déjà sourire en lisant cette définition de l’intelligence. À vos yeux, l’intelligence rime avec les gens forts en mathématique ou en littérature. Alors que l’intuition et la créativité s’apparente mieux aux gens « rusés » ou « habiles ».

Qu’est-ce que la mètis ? Ce terme inusité se traduit en français par intelligence rusée ou intelligence pratique. Les anciens Grecs ont écrit des traités de logique ou de philosophie mais aucun concernant la métis. Pourquoi ? Probablement à cause de son aspect insaisissable. La mètis représente la souplesse de l’intelligence qui s’adapte aux circonstances et aux imprévus. Bien que difficile à définir, le sujet devait être discuté entre eux. Comment ? Au moyen de la narration. Pensez aux histoires qui jalonnent la mythologie grecque.

            Ainsi Ulysse, le héros rusé de l’Odyssée incarne la capacité à se déguiser pour tromper ses ennemis. Le poulpe représente le pouvoir de s’adapter à son environnement comme un homme politique s’adapte à son public. Le Titan Prométhée symbolise le pouvoir de prévision et d’anticipation nécessaire aux artisans et aux sentinelles.

 

À quoi sert la mètis?

 

Impossible de tout planifier. Il existera toujours un écart entre la théorie et la pratique. L’intelligence pratique permet justement de combler cet écart. Le langage courant dispose de plusieurs expressions pour désigner cette capacité à adapter notre savoir à des situations concrètes singulières : l’expérience, l’intuition, le coup d’œil, le coup de main, etc. Vous avez une conception floue de cette intelligence. En revanche, les Grecs avaient dès l’Antiquité repéré et compris les subtilités de cette intelligence rusée qu’ils nommaient la mètis.

Quoi de mieux que de raconter une histoire qui donne un exemple concret de cette faculté ? Les Grecs ont utilisé ce procédé à maintes reprises.

La mètis se rencontrait dans de nombreuses disciplines dès l’Antiquité : la chasse, la pêche, la guerre mais aussi la boulangerie, la navigation, la politique, la médecine, etc. Aujourd’hui on peut encore la croiser dans de nombreux domaines : politique, domaines régaliens (tactiques policières ou criminelles, stratégie militaire, espionnage, protection rapprochée), domaines économiques (économie, création d’entreprise, stratégies de vente, stratégies de négociation), domaines sportifs (arts martiaux, football, escrime), domaines artistiques, etc.

 

Une alternative au phantasme de contrôle absolu

Au XXIe siècle, vous vous demandez quel est l’intérêt d’utiliser une intelligence souple, vaguement mythologique, pour résoudre des problèmes concrets. « Nous avons déjà la science. Nous avons des théories. Nous avons le contrôle. Nous nous représentons « comme maîtres et possesseurs de la nature », pensez-vous avec conviction. Et pourtant…

Écoutez bien les propos des hommes politiques ou la publicité : « Nous ferons une guerre propre », « Trouvez l’amour sans risque », « Avec cette voiture, vous aurez le contrôle en toutes circonstances ».

Vous pensez avoir le contrôleou que la science vous donne une maîtrise absolue de tous les phénomènes. Est-ce vraiment le cas ? Est-il possible de réduire les problèmes pratiques à des équations parfaites ?

Peut-on avoir toujours la sécurité et le contrôle ?

Peut-on faire une guerre propre par exemple ? Une guerre scientifique, précise, millimétrée ? Clausewitz pensait qu’il était impossible de tout connaître. Un « brouillard » cache toujours une partie de la réalité. Le maréchal Foch écrivait au début du vingtième siècle qu’ « à la guerre, il est impossible de tout prévoir[1] ». On pourrait l’expliquer par la technologie de l’époque. Aujourd’hui, il semble possible grâce aux progrès technologiques de tout contrôler et de tout prévoir dans les moindres détails.

C’est en tout cas un credo national aux Etats-Unis : la foi en la technologie qui viendra à bout de la complexité du monde. Mais selon le général Scales, un des dirigeants de l’invasion américaine en Irak, cette tendance américaine « repose sur une profonde méconnaissance historique, méprise les leçons du passé et dédaigne l’examen raisonnable des conflits récents[2] ». « Les futuristes qui clamaient que les nouvelles technologies de l’information permettraient aux forces américaines de balayer le « brouillard de la guerre » se sont trompés ».

Les enquêtes sur les attentats du 11 septembre attestaient déjà de cette trop grande confiance dans la technologie.  « L’un des rapports parlementaires conclut à la défaillance des capacités d’analyse ; il considère que la technologie a fourni les informations nécessaires sans être capable de les traiter[3]»

La guerre en Irak a prouvé, une fois de plus, que les plans théoriques conçus sur le papier ou sur un écran d’ordinateur ne valent pas grand-chose sur le terrain. Dans le sable, c’est la capacité des soldats à s’adapter sans cesse à la réalité changeante qui permet de triompher.

            Ce phantasme de contrôle n’est pas réservé à quelques hauts gradés militaires. Tout le monde risque d’être concerné, et ce, même dans sa vie intime.

Le philosophe français Alain Badiou[4] critique dans son Eloge de l’amour ce qu’il appelle « l’amour sécuritaire », typique de notre époque. Les gens se cachent derrière des sites de rencontre par mesure de prudence. Tout cadrer, ne plus prendre de risque, supprimer l’incertitude ! Ne) plus souffrir, se protéger). Contrôler l’amour, le disséquer, le ranger dans une boîte. Un amour « zéro risque », analysable, objectivable, fixe, mort.

            La médecine est confrontée au même type de problème. Les médecins sont accusés  de ne plus considérer leurs patients comme des êtres humains, de les réduire à des problèmes abstraits ou à des tas d’organes. La technicisation croissante du geste médical[5] fait que nos personnels soignants sont appelés à développer un savoir professionnel pointu. Ils agissent ainsi parce qu’on attend d’eux qu’ils agissent ainsi.

            Imaginez un instant qu’on décide de former les médecins à l’intuition. Devant un patient, ceux-ci choisiraient le traitement au « pifomètre ». Quelle serait votre réaction ? Angoissée probablement. Au Québec, les médecins font neuf ans d’études et utilisent des technologies de pointecomme un scanneur, des  radios qui peuvent grossir des milliers de fois une anomalie, l’introduction d’ une caméra pour visualiser l’intérieur du corps et des marqueurs radioactifs pour étudier un élément spécifique de l’organisme. Quel réconfort de savoir que des savants érudits utilisent du matériel coûteux et des machines « scientifiques » !

Le management moderne considère également les employés comme interchangeables. On calcule tout, le nombre de clients potentiels, la surface, la durée, les objectifs chiffrés à atteindre. On prescrit le travail et…le travail effectué est différent.

Le suicide en entreprise est apparu en Europe dans les années 1990[6]. On peut supposer un lien entre le durcissement des méthodes d’évaluation et la souffrance des employés. Mais encore une fois, faut-il s’étonner ? On demande aux entreprises de rentabiliser. Il s’agit d’exercer sa raison pour contrôler au mieux les coûts de production et éviter les pertes inutiles. Logiquement on fiabilise le travail.

Malheureusement, s’il est possible de tout contrôler en théorie, cela s’avère impossible sur le terrain.

Car la guerre, l’amour, la santé et le travail ne sont pas des problèmes abstraits traités sur le papier. Ces différents domaines appartiennent à la réalité. Il y a un décalage entre la théorie et la réalité.  

            C’est ici que l’intelligence pratique trouve sa place. Certes, nous avons besoin de la raison. Nous avons besoin d’une rationalité théorique pour penser de manière rigoureuse. Mais pour affronter la réalité. Pour se frotter à la complexité du monde. Pour suivre les situations changeantes, il est temps de renouer avec la mètis c’est-à-dire avec une intelligence souple, issue de l’expérience, capable de s’adapter à chaque nouvelle situation.

            Comme le conseillait Christophe Haag[7], « Adoptez la poulpe attitude ».



[1] Ferdinand Foch, De la conduite de la guerre, Economica, Paris, 2000, p. 76

[2] Scales Major (general), The Irak War, Harward, 2003

[3] Général Vincent Desportes, Agir dans l’incertitude, Economica, p. 76

[4] Badiou A., Eloge de l’amour, Flammarion, 2009

[5] Jean-Philippe Pierron, Vulnérabilité. Pour une philosophie du soin, Paris, PUF, 2010

[6] Dejours C. et Florence Bègue, Suicide et travail : que faire ?, PUF, 2009

[7] Christophe Haag, La poulpe attitude, 2011, Michel Lafon

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